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Garantie intrinsèque d’achèvement et responsabilité du Notaire. Par Richard Jonemann, Avocat.
Parution : lundi 4 janvier 2021
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En cas de vente en l’état futur d’achèvement, et pour garantir la bonne fin des travaux, les acquéreurs étaient susceptibles de se voir proposer, à la seule appréciation du vendeur, l’une des deux garanties que sont la garantie extrinsèque de première part (garantie accordée par un organisme financier) et la garantie intrinsèque de seconde part.

S’agissant de la garantie intrinsèque, il sera précisé que celle-ci ne constituait pas une véritable garantie mais une dispense de garantie extrinsèque, un pari fait sur l’achèvement de l’immeuble au vu des conditions propres de l’opération.

Ainsi par exemple, la garantie intrinsèque d’achèvement pouvait être constituée si, au jour de la vente, l’immeuble était mis hors d’eau et n’était grevé d’aucun privilège ou hypothèque.

Ainsi par exemple, la garantie intrinsèque d’achèvement pouvait être constituée si, au jour de la vente, les fondations étaient achevées et le financement de l’immeuble ou des immeubles compris dans le même programme était assuré (selon les modalités prévues par le législateur) à hauteur de 75% du prix de vente prévu.

Au vu des nombreux désastres financiers qu’elle a engendré, la garantie intrinsèque d’achèvement a été profondément réformée par décret du 27 septembre 2010 [1] (applicable aux opérations dont le permis de construire a été déposé après le 1er avril 2010) avant d’être supprimée pour tous les programmes dont le permis de construire avait été déposé à compter du 1er janvier 2015 [2] puis, à compter du 1er juillet 2016, pour toutes les ventes [3].

Bien qu’elle ne soit donc plus autorisée depuis le 1er juillet 2016, et compte tenu du décalage qui existe par principe, dans le cadre d’une vente en l’état futur d’achèvement, entre la date de signature de l’acte authentique et la date prévisionnelle d’achèvement, on peut penser que la garantie intrinsèque soit, pour quelque temps encore, source de contentieux.

Dans le cadre de ce contentieux, le notaire ayant reçu l’acte authentique de vente en l’état futur d’achèvement occupe une place prépondérante.

Une place prépondérante due au fait, compréhensible et bien compris, qu’en cas de défaillance du promoteur, l’acquéreur aura naturellement vocation à diriger son action judiciaire contre une partie solvable.

Une place prépondérante due au fait, qu’au delà des considérations financières précitées et en droit, le notaire, pris en sa qualité d’officier public ministériel et de professionnel du droit, est tenu par des obligations dont la violation est sanctionnée de manière rigoureuse par les Tribunaux.

Parmi ces obligations, le notaire est bien entendu et en premier lieu tenu d’assurer la validité des actes authentiques qu’il reçoit.

Si la garantie intrinsèque d’achèvement proposée par le vendeur n’est pas constituée régulièrement (i.e. conformément aux prescriptions du Code de la construction et de l’habitation), alors l’acte de vente en l’état futur d’achèvement reçu par le notaire encourt la nullité et ce conformément aux dispositions des articles L261-10 et L261-11 du Code de la construction et de l’habitation.

La nullité de l’acte authentique, si elle est prononcée du fait d’une garantie intrinsèque irrégulière, est source de responsabilité pour le notaire. En effet, et selon une jurisprudence constante et bien établie, l’impossibilité pour l’acquéreur de récupérer auprès du vendeur le prix de vente suivant la nullité de l’acte authentique constitue un préjudice indemnisable dont il est fondé à solliciter la réparation auprès du notaire qui a instrumenté l’acte [4].

Outre l’obligation d’assurer la validité (ou l’efficacité) des actes qu’il instrumente, le notaire est par ailleurs tenu à l’égard des parties par une obligation de renseignement et un devoir de conseil.

Au titre de ce devoir de conseil ou de renseignement, la jurisprudence rappelle constamment que le notaire doit mettre en garde les parties sur les risques engendrés par les engagements qui sont sur le point d’être pris [5].

Sur le fondement de ce devoir de conseil, des acquéreurs, pris dans la nasse d’une opération de promotion immobilière inachevée du fait de la faillite du vendeur, ont fait valoir que le notaire aurait dû attirer leur attention sur les risques auxquels ils étaient exposés compte tenu de la garantie intrinsèque choisie par le vendeur.

En fonction des circonstances d’espèce, un tel argumentaire est susceptible de connaître des fortunes différentes.

Si la garantie intrinsèque est régulièrement constituée, et sauf à justifier que le notaire avait connaissance d’éléments laissant supposer que la garantie fournie ne pourrait être mise en œuvre, le notaire n’encourt aucune responsabilité.

Tel est le sens de plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation qui rappellent notamment que la garantie intrinsèque est une option ouverte par la loi et que si elle ne présente pas la même sûreté que la garantie extrinsèque, elle n’est pas moins licite [6].

Si à l’inverse, la garantie intrinsèque d’achèvement n’a pas été régulièrement constituée, alors la responsabilité du rédacteur de l’acte est encourue.

Il a ainsi été jugé dans un pareil cas que le notaire aurait dû alerter les acquéreurs sur les risques spécifiques de la garantie ne répondant pas aux exigences légales [7].

On signalera qu’au cas d’une garantie intrinsèque irrégulière, et en cohérence avec le principe selon lequel il tenu de garantir la validité juridique des actes qu’il instrumente, le notaire ne devrait pas se contenter d’alerter les acquéreurs sur les risques attachés à cette garantie.

Dès lors que comme il a déjà été indiqué l’irrégularité de la garantie intrinsèque affecte la validité même de l’acte authentique à recevoir, le notaire attentif et diligent devrait attirer l’attention du vendeur sur cette irrégularité et, en l’absence de modifications apportées à la garantie par le vendeur, tout simplement refuser de recevoir l’acte.

Richard Jonemann Avocat à la Cour https://www.jonemann-avocats.com [->rjonemannavocat@hotmail.fr] [->https://www.jonemann-avocats.com]

[1Décret n° 2010-1128 du 27 septembre 2010 relatif aux ventes d’immeubles à construire ou à rénover.

[2Ordonnance n° 2013-890 du 3 octobre 2013 relative à la garantie financière en cas de vente en l’état futur d’achèvement.

[3Décret n° 2016-359 du 25 mars 2016 relatif à la garantie financière en cas de vente en l’état futur d’achèvement.

[4En ce sens, voir notamment Cass., 1ère civ., 10 juillet 2013, pourvoi n°12-23746 et Cass., 3ème civ., 1er juin 2017 publié au Bulletin, pourvoi n° 16-14428.

[5En ce sens, voir notamment Cass., 1ère civ., 7 novembre 2000, pourvoi n° 96-21732.

[6En ce sens, voir notamment Cass., 1ère civ., 20 mars 2013, pourvoi n°12-25060 et Cass., 1ère civ., 2 juillet 2014, pourvoi n° 13-19083.

[7En ce sens, voir notamment Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 5 mars 2019, RG 17/10815.

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