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Le maire n’a pas liberté de surseoir à statuer, il en a l’obligation. Par Emmanuel Lavaud, Avocat.
Parution : lundi 4 janvier 2021
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La solution n’est pas tout à fait nouvelle en jurisprudence administrative mais le Conseil d’Etat l’affirme ici avec force : l’autorité qui est saisie d’une demande d’autorisation d’urbanisme est dans l’obligation de surseoir à statuer dès lors que le projet envisagé est compromis par un futur plan local d’urbanisme en cours d’élaboration.

Aux termes de l’article L153-11 du code de l’urbanisme :

« L’autorité compétente mentionnée à l’article L153-8 prescrit l’élaboration du plan local d’urbanisme et précise les objectifs poursuivis et les modalités de concertation, conformément à l’article L103-3.
La délibération prise en application de l’alinéa précédent est notifiée aux personnes publiques associées mentionnées aux articles L132-7 et L132-9.
L’autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délai prévus à l’article L424-1, sur les demandes d’autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan dès lors qu’a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable
 ».

A la lecture de la jurisprudence administrative, le terme peut décider de surseoir à stater est trompeur.

En effet, l’interprétation à donner à cette disposition est qu’il ne s’agit pas d’une faculté de l’autorité compétente, mais d’une obligation.

Pourtant, dans un arrêt ancien du Conseil d’Etat, le recours avait été rejeté précisément au motif que l’autorité compétente n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en s’abstenant d’exercer une simple faculté :

« En s’abstenant d’exercer la faculté, qu’il tenait de l’article L123-5 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer sur la demande de sieur X…, le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation des circonstances de l’espèce » [1].

La jurisprudence récente s’est écartée de cette approche libérale du pouvoir d’appréciation de l’autorité compétente quant à l’opportunité de surseoir à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme qui serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan local d’urbanisme.

Pour exemple, la Cour administratif d’appel de Lyon, dans un arrêt du 13 juin 2019, a censuré une autorisation d’urbanisme au motif que le maire de la commune aurait dû prononcer un sursis à statuer sur un projet compromis par le futur plan d’urbanisme [2].

C’est également ce qu’a retenu la Cour administrative d’appel de Paris dans un arrêt du 26 décembre 1995 [3].

Le Conseil d’Etat entérine cette solution dans un arrêt du 20 octobre 2020 [4].

Dans cette espèce, le maire de la commune de Noves (13) a délivré un permis de construire par un arrêté du 11 janvier 2019, portant sur une maison d’habitation.

Or, le terrain d’assiette du projet est situé dans une zone du plan local d’urbanisme faisant l’objet d’une profonde modification dans le projet de règlement du PLU en cours d’élaboration.

Ce dernier prévoyait en effet d’interdire les constructions nouvelles à usage ou non d’habitation dans la zone d’implantation du projet, laquelle est destinée à devenir une zone Nf1 définie comme un secteur naturel boisé d’aléa de feux de forêt moyen à exceptionnel.

Le maire a fait le choix de ne pas tenir compte du futur plan local d’urbanisme en cours d’élaboration.

Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi d’une demande de suspension de cette autorisation d’urbanisme, a refusé de faire droit à cette suspension exclusivement en raison de l’absence d’urgence à prononcer la suspension de l’arrêté querellé.

Le Conseil d’Etat, saisi en cassation, censure cette ordonnance au motif qu’en application de l’article L600-3 du code de l’urbanisme, la condition de l’urgence en référé suspension est présumée.

La requête ne pouvait donc pas être rejetée pour défaut d’urgence.

Ensuite, le Conseil d’Etat retient le doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée au motif que :

« Le moyen tiré de ce que le maire de Noves, en décidant de ne pas surseoir à statuer sur la demande de permis de construire qui lui a été présentée, a commis une erreur manifeste d’appréciation, est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ».

L’arrêté querellé est en conséquence suspendu par la haute juridiction administrative.

Il est vrai que la décision du 20 octobre 2020 vise seulement une ordonnance de référé et que ce n’est pas une solution au fond qui est censurée par le Conseil d’Etat.

Toutefois, la rédaction de la décision du 20 octobre 2020 ne laisse selon nous aucun doute quant à sa portée qui n’accorde aucune latitude au maire d’une commune saisi d’une demande d’autorisation d’urbanisme dont le projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan local d’urbanisme.

Cette solution est peut-être une solution de bon sens. Mais ce n’est pas une solution conforme à la rigueur du texte.

Si les mots ont un sens, le code de l’urbanisme dispose bien que l’autorité compétente peut prononcer un sursis à statuer.

Le juge administratif retient pourtant que l’autorité compétente doit prononcer un sursis à statuer.

Emmanuel Lavaud, avocat au barreau de Bordeaux http://www.laudet-lavaud-avocats.fr

[1CE, 14 octobre 1977, n°01646.

[2CAA Lyon, 13 juin 2019, n°18LY02937.

[3N°94PA01696.

[4N°430729.