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Principes d’égalité et de non-discrimination en raison de la parentalité du collaborateur libéral. Par Hélène Adnane, Avocat.
Parution : jeudi 31 décembre 2020
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Les propositions formulées à l’occasion des Etats généraux de l’avenir de la profession d’avocat pour l’évolution du statut de collaborateur, visant notamment le congé maternité ou parentalité, ont été adoptées lors de l’Assemblée générale du 13 novembre 2020.

La décision à caractère normatif portant modification de l’article 14 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat, prise à l’issue de cette Assemblée générale, a été publiée au Journal officiel du 28 novembre dernier.

L’article 14.5 du RIN relatif à la parentalité de l’avocat collaborateur a notamment été réformé pour y introduire la notion de parentalité en remplacement de la paternité afin de prendre en compte les différents types de parentalité.

C’est l’occasion de se pencher sur les conditions d’exercice des avocats collaborateurs, notamment sur le risque de discrimination lié à l’annonce de la grossesse ou du projet de parentalité, puis à l’occasion de la maternité ou de la parentalité des collaborateurs.

I) La protection juridique et déontologique du droit à la parentalité.

Les textes en vigueur qui prévoient la protection de la collaboratrice ou du collaborateur à l’annonce faite au cabinet de sa volonté de suspendre son contrat de collaboration à raison de sa parentalité ainsi qu’à son retour, ont été le fruit de combats intenses et pourtant éminemment légitimes, de la part d’associations telles que l’Union des Jeunes Avocats (UJA), qui ont œuvré sans relâche pour la promotion de l’égalité des chances au sein de la profession.

Ce n’est qu’en 2014 que le Conseil National des Barreaux a voté la plupart des textes protecteurs pour la collaboratrice ou le collaborateur en matière de parentalité, qui figurent dans le RIN.
Avant cela, de nombreuses dérives étaient constatées dans le fonctionnement de certains cabinets d’Avocats qui, pour limiter les dépenses, n’hésitaient pas à rompre des contrats de collaboration après avoir été informés de la grossesse de la collaboratrice ou de la parentalité de la collaboratrice et du collaborateur.
Désormais, les collaborateurs bénéficient d’une protection dès l’annonce de leur volonté de suspendre leur contrat de collaboration, et ce, jusqu’à leur retour de congé parentalité, mais également à l’issue de cette période de suspension.

A. Le droit à une période de suspension du contrat de collaboration libérale.

La suspension du contrat de collaboration concerne indifféremment la collaboratrice avocate enceinte, le conjoint collaborateur de la mère, ou le collaborateur adoptant, seule la durée de suspension diffère en fonction du mode de parentalité.

1. Le congé maternité lié à l’accouchement de la collaboratrice libérale.

L’article 14.5.1 du RIN prévoit que la collaboratrice libérale enceinte est en droit de suspendre l’exécution de sa collaboration pendant au moins seize semaines à l’occasion de son accouchement. Cette période de suspension peut être répartie selon son choix avant et après son accouchement, avec un minimum de trois semaines avant la date prévue de l’accouchement et un minimum de dix semaines après l’accouchement, et sans confusion possible avec le congé pathologique.

L’article a été modifié pour allonger la durée du congé maternité à compter du troisième enfant ou en cas de grossesses multiples : désormais, à compter du troisième enfant, la collaboratrice bénéficie d’un congé maternité de vingt-six semaines ; en cas de naissances multiples, cette durée peut être portée à trente-quatre semaines et à quarante-six semaines pour les grossesses multiples de plus de deux enfants.

2. Le congé parentalité.

La décision du 13 novembre 2020 a permis la mise en conformité des dispositions du RIN relatives au congé parentalité avec l’article 18 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 appliquant le congé paternité à d’autres formes de parentalité, ne se bornant plus à la seule notion de « père » découlant du terme initialement utilisé, afin d’être plus en adéquation avec la réalité.

Désormais, l’article 14.5.1 du RIN prévoit que le père collaborateur libéral ainsi que le conjoint collaborateur libéral de la mère ou la personne collaboratrice libérale liée à elle par un pacte civil de solidarité ou vivant maritalement avec elle, a le droit de suspendre l’exécution de sa collaboration pendant onze jours consécutifs à l’occasion de la naissance de l’enfant.

En cas de naissances multiples, cette durée est portée à dix-huit jours consécutifs. Cette période de suspension débute dans les quatre mois suivant la naissance de l’enfant.

3. Le congé en cas d’adoption.

L’article prévoit également le cas de la parentalité par l’adoption, et octroie à ce titre au collaborateur libéral ou à la collaboratrice libérale qui adopte un enfant, le droit de suspendre l’exécution de son contrat de collaboration jusqu’à dix semaines, à l’occasion de l’arrivée de l’enfant.

Le texte prévoit qu’en cas d’adoptions multiples, le congé d’adoption peut être porté à seize semaines.
La période de suspension doit débuter dans les quatre mois suivant l’arrivée au foyer de l’enfant.

Dans tous les cas de parentalité, le collaborateur ou la collaboratrice est tenu d’en aviser celui avec lequel il ou elle collabore un mois avant le début de la suspension.

B. Le droit au maintien de la rétrocession d’honoraires et aux congés payés.

L’article 14.5.2 du RIN prévoit qu’à l’occasion du congé maternité ou parentalité de la collaboratrice ou du collaborateur libéral, celle-ci ou celui-ci doit percevoir, pendant toute la période de suspension de son contrat, sa rétrocession d’honoraires habituelle, sous la seule déduction des indemnités perçues dans le cadre du régime d’assurance maladie des professions libérales ou dans le cadre des régimes de prévoyance collective du barreau ou individuelle obligatoire.

L’allocation de repos maternel ou du congé parentalité versée le cas échéant par les différents organismes ne peut être déduite par anticipation des sommes dues, qui doivent être intégralement avancées par le cabinet.
Par un arrêt n° 16/04122 en date 28 septembre 2017 [1], la Cour d’appel de Lyon a ainsi condamné un cabinet qui avait refusé de payer une partie des rétrocessions d’honoraires à une collaboratrice en congé maternité, celui-ci ayant de lui-même anticipé la déduction du montant des indemnités auxquelles la collaboratrice pouvait prétendre.

Par ailleurs, les périodes de suspension liées à la parentalité sous toutes ses formes ouvrent droit à repos rémunérés.
A cet égard, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt n° 2016/25806 du 10 avril 2019, a confirmé la décision du bâtonnier du 14 novembre 2016, considérant que la période de protection intervenant au retour du collaborateur ou de la collaboratrice au cabinet, trouvait son point de départ à l’issue de la période de congé payé quand celui-ci était accolé à la fin de la période de suspension.

C. Le droit à une période de protection pendant et à l’issue de la période de suspension.

1. Le régime de protection au cours de la période de suspension du contrat.

A compter de la déclaration par la collaboratrice libérale de son état de grossesse, ou de l’annonce par collaborateur ou de la collaboratrice de sa parentalité, et jusqu’à l’expiration de la période de suspension de l’exécution du contrat, l’article 14.5.3 du RIN prévoit que le contrat de collaboration libérale ne peut être rompu par le cabinet, sauf à démontrer un manquement grave aux règles professionnelles qui ne peut être lié à l’état de grossesse, à la maternité ou à la parentalité.

Ainsi, c’est à compter de la déclaration de la parentalité marquant le point de départ de la suspension du contrat que le régime de protection prend effet.

Dans tous les cas de parentalité, le collaborateur ou la collaboratrice dispose d’un délai de quinze jours pour déclarer l’état de grossesse ou la parentalité à compter de la réception de la notification de la rupture du contrat par le cabinet. Cette annonce doit être effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception ou en main propre et contresignée, en joignant un certificat médical attestant de sa grossesse dans le cas de la maternité. Partant, la période de protection est opposable, la rupture du contrat de collaboration décidée par le cabinet devient nulle de plein droit.

2. Le régime de protection à l’issue de la période de suspension du contrat.

Au retour de son congé maternité ou parentalité, la collaboratrice ou le collaborateur bénéficie d’une nouvelle période de protection de huit semaines pendant laquelle le contrat de collaboration libérale ne peut être rompu, sauf manquement grave aux règles professionnelles, non lié à la maternité ou la parentalité. Dans ce cas, la rupture doit être notifiée par lettre dûment motivée.

Par un arrêt n°19-11.459 en date du 21 octobre 2020 [2], la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a pu rappeler que la période de protection de la collaboratrice libérale débute à compter de la déclaration par celle-ci de son état de grossesse, jusqu’à l’expiration de la période de suspension du contrat à l’occasion de la maternité. Au cours de cette période, le contrat de collaboration libérale ne peut être rompu par le cabinet, sauf manquement grave aux règles professionnelles non lié à l’état de grossesse ou à la maternité. Or, en l’espèce, l’avocat associé à l’origine de la rupture du contrat de collaboration pendant la période d’essai, après l’annonce de sa grossesse par l’avocate collaboratrice, n’établissait pas l’existence de manquements graves de sa collaboratrice aux règles professionnelles, de ce fait, la rupture du contrat était nulle.

Ainsi, la réglementation posée par l’article 14 du RIN dans sa version réformée et son application jurisprudentielle, posent un principe de protection renforcé pour la collaboratrice ou le collaborateur dans le cadre de sa parentalité. Pour autant, ce dispositif très protecteur ne permet pas d’endiguer un phénomène de discrimination bien ancré dans la plupart des milieux professionnels, pis encore, il tend à le renforcer.

II) La persistance d’un risque de discrimination et d’atteinte au principe d’égalité.

L’annonce de l’arrivée d’un enfant devrait être un moment de joie dans la vie de tout être humain, pour autant, la primauté des considérations économiques dans le milieu professionnel privent le père ou la mère en devenir du plaisir de s’en prévaloir. Cette annonce est génératrice de droits mais devient source d’angoisse pour la collaboratrice ou le collaborateur, craignant de voir ses chances de promotion retardées ou anéanties, de subir un climat hostile sur son lieu de travail, ou tout simplement de perdre son emploi.

La dure réalité vécue par de nombreuses femmes actives, et parfois hommes actifs, touche tous les milieux professionnels qui ont en commun la lucrativité de leur activité, et ne cesse guère au pas de la porte d’un cabinet d’Avocats.

Les futures mères et futurs pères courent ainsi le risque de voir leurs horizons professionnels ternis et leurs ambitions de carrière réduites par la réalisation d’un projet qui est des plus humains : la parentalité.

1. Le risque de discrimination.

a. La discrimination à raison du sexe et de la grossesse.

Il arrive parfois que la collaboratrice enceinte voie son contrat rompu peu de temps après l’annonce de sa grossesse, dans cette hypothèse, il peut être facilement établi que celle-ci fait l’objet d’une discrimination à raison de son état de grossesse.

Dans les faits, ce sont les collaboratrices qui, à l’annonce de leur maternité à venir, courent davantage le risque de subir une discrimination en se voyant reprocher une flopée de manquements professionnels que rien ne laissait présager, permettant ainsi de justifier la rupture de leur contrat. En effet, la durée de suspension du contrat de collaboration est de seize semaines pour les collaboratrices enceintes contre onze jours pour les collaborateurs conjoints, et il persiste chez certains avocats « patrons » une gêne manifeste de rétribuer le repos physiologique dû à la femme enceinte ante et post partum.

Auparavant, la collaboratrice enceinte qui faisait, dans les premiers temps, le choix de ne pas informer le cabinet de sa grossesse, souvent pour ne pas subir une dégradation de ses conditions de travail sur le long terme, pouvait se trouver piégée le jour où l’avocat « patron » découvrait par lui-même ou à la suite d’indiscrétions, son état de grossesse. Il pouvait à ce moment-là se fendre d’un courrier pour annoncer la rupture de la collaboration sans se voir reprocher une discrimination que la collaboratrice n’aurait pas été en capacité de prouver.

De même, quand la collaboratrice informait oralement les Avocats « patrons » de sa grossesse, celle-ci n’était pas protégée tant que la notification officielle n’était pas réalisée par courrier recommandé avec accusé de réception ou par courrier remis en main propre et contresigné. Il lui était alors très difficile, voire impossible, d’apporter la preuve que ceux-ci étaient réellement informés de son état de grossesse.

Les textes posent désormais une présomption de discrimination et imposent au cabinet d’Avocat qui souhaite rompre le contrat de collaboration de la collaboratrice enceinte, de lui notifier la rupture par lettre dûment motivée par des éléments concrets témoignant de manquements graves aux règles professionnelles, et ce, que l’annonce de la grossesse ait été réalisée avant ou dans les quinze jours suivant la notification de la rupture.

b. La discrimination à raison de la maternité ou de la parentalité.

Il peut arriver que la collaboratrice ou le collaborateur se voie notifier la rupture de son contrat peu de temps après l’expiration de la période de protection qui suit son retour au cabinet. Cette rupture de contrat parfois soudaine qui suit la période de suspension du contrat et intervient à l’issue de la période de protection, n’est pas prohibée par les textes, pour autant, elle peut constituer une discrimination.

Cette situation a fait l’objet de la première décision du Défenseur des Droits en date du 25 novembre 2015 [3] en matière de parentalité et d’égalité des sexes dans le cadre des contrats de collaboration.

Le Défenseur des Droits avait été saisi de la rupture d’un contrat de collaboration libérale huit semaines après le retour de congé maternité, soit au lendemain du dernier jour de la protection qui suit la période de suspension du contrat, la collaboratrice estimant à bon droit que cette rupture était en lien avec sa grossesse et son sexe.

A l’issue d’une instruction et après avoir entendu des membres du cabinet, le Défenseur des Droits a conclu à l’existence d’une discrimination.

Dans sa décision, le Défenseur des Droits a relevé que les dispositions de la directive 2006/54/CE relative à la mise en œuvre du principe d’égalité des chances et de l’égalité entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail ainsi que la loi du 27 mai 2008 relative à la lutte contre les discriminations sont applicables à la collaboration libérale.

Sur les faits, le Défenseur des Droits a relevé que la collaboratrice, qui avait 4 ans et demi d’ancienneté, justifiait de la reconnaissance des membres du cabinet collaborant pour ses qualités professionnelles et son sérieux, et qu’elle avait vu sa rétrocession d’honoraires augmenter régulièrement, percevant même des primes et des bonus, avant l’annonce de sa grossesse.

A la lumière de ces éléments, le Défenseur des Droits a pu considérer que la circonstance que la rupture intervienne quelques semaines après la fin de son congé maternité « et alors qu’aucun grief ne lui avait été formulé avant sa grossesse, [était] un élément permettant de supposer l’existence d’une discrimination liée à sa grossesse et à son sexe ».

La collaboratrice a par ailleurs révélé avoir connu une dégradation brutale de ses conditions de travail consistant dans des pressions sur la quantité de travail à fournir, des reproches professionnels, des contrôles accrus de son travail, des propos désobligeants etc. et ce, à compter de l’annonce de sa grossesse. Celle-ci a produit des arrêts maladie qu’elle avait pris, corroborant les évènements qu’elle dénonçait.

Le Défenseur des Droits a pu constater que le cabinet n’en était vraisemblablement pas à son premier cas de rupture discriminatoire car, sur les six collaboratrices ayant annoncé leur grossesse dans l’année ayant précédé la rupture critiquée, une seule d’entre elles demeurait encore collaboratrice au sein du cabinet.

A vu de tous ces éléments, le Défenseur des Droits a donc conclu à l’existence d’une présomption de discrimination en lien avec l’état de grossesse et le sexe de la collaboratrice, rappelant que conformément à l’article 4 de la loi du 27 mai 2008, il appartenait au cabinet de justifier que sa décision de rompre le contrat était fondée sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, ce que celui-ci n’était pas parvenu à faire en l’espèce.

Dès lors, le Défenseur des Droits a estimé que la rupture du contrat de collaboration était discriminatoire à raison de l’état de grossesse et du sexe, décidant ainsi de transmettre ses observations au Bâtonnier de Paris pour information, et de saisir l’Ordre des Avocats de Paris de la procédure.

Cette première décision a fait un effet de levier comme en témoignent plusieurs arrêts et décisions des instances ordinales et judiciaires rendus par la suite en la matière.

Par un arrêt en date du 26 mai 2016, la Cour d’appel de Versailles a pu considérer l’existence d’une discrimination à l’égard d’une avocate collaboratrice libérale, qui, de retour de congé maternité, a vu son contrat rompu et ce, seulement cinq jours après son retour. La discrimination était d’autant plus caractérisée que la lettre de rupture n’était pas motivée. Selon la Cour, il incombait au patron de prouver que la rupture du contrat de collaboration ne présentait pas de caractère discriminatoire.

Plus récemment, le bâtonnier de Paris, saisi d’un litige concernant la discrimination au retour d’une collaboratrice de son congé maternité, a pu constater l’existence de discrimination à son encontre. En l’espèce, l’avocate de retour de son congé maternité, ne s’était pas vu remettre un jeu de clés des nouveaux locaux, et ne disposait plus d’un bureau personnel, ni d’un poste de travail lui permettant d’exercer son activité professionnelle. Neuf semaines plus tard, celle-ci se voyait notifier la rupture de son contrat de collaboration. Le bâtonnier a estimé que la brièveté du retour de l’avocate au sein du cabinet laissait présumer une discrimination, le cabinet ne rapportant pas la preuve que la rupture était liée à des éléments étrangers à la grossesse et à la maternité de sa collaboratrice. Celle-ci a donc obtenu réparation pour le préjudice subi (décision du bâtonnier de Paris en date du 16 septembre 2019, dossier n°721/316327).

2. Des critères d’appréciation insuffisants.

Ces décisions qui visent à protéger le collaborateur lésé se fondent sur des critères qui ne sont pas toujours suffisants pour caractériser une situation de discrimination à son encontre en raison de sa parentalité.

Le premier critère relevé par l’autorité ou la juridiction qui rend sa décision est celui de la temporalité : la rupture du contrat de collaboration survient soit rapidement soit quelques temps après la fin de la période de suspension du contrat de collaboration, soit à l’issue de la période de protection qui suit le retour du collaborateur. Ce critère est objectif mais ne suffit pas à lui seul à caractériser une situation de discrimination. En effet, la rupture du contrat de collaboration est un droit, seules des considérations subjectives fondées sur des critères illégitimes à l’origine de cette rupture l’interdiraient.

Le deuxième critère repose sur des éléments concernant le parcours professionnel du collaborateur ou de la collaboratrice.
Ce critère permet d’évaluer la légitimité de la rupture au regard d’éléments objectifs tenant à la réalisation des diligences demandées, ou encore la qualité du travail fourni, et d’éléments subjectifs tenant au comportement de la collaboratrice ou du collaborateur dans le cadre de ses fonctions au sein du cabinet.

A cet égard, l’Ordre des Avocats considère qu’un manquement grave, flagrant, aux règles professionnelles s’entend comme le fait pour un collaborateur de ne pas faire ou de mal faire des diligences demandées. Ainsi, le non-respect des principes de confraternité, de délicatesse et de courtoisie, ou bien la tentative de captation ou le détournement de clientèle peuvent constituer un manquement grave susceptible d’entraîner la rupture du contrat de collaboration en dépit de la période de protection dont bénéficie le collaborateur ou la collaboratrice.

L’Ordre considère en outre que ces manquements doivent mettre en péril la cohésion ou l’existence même du cabinet pour justifier la rupture du contrat [4].

De prime abord, ce mode d’évaluation semble être un moyen efficace pour déterminer l’aptitude du collaborateur ou de la collaboratrice, à se maintenir au poste qu’il ou elle occupe, et donc de considérer la légitimité de la rupture. Pourtant, ce critère subjectif peut être trompeur et constituer pour la victime un élément injustement à charge contre elle.

En effet, la dégradation des conditions de travail liée à la discrimination que subit le collaborateur ou la collaboratrice, en raison de sa parentalité, peut avoir des répercussions sur son comportement au travail. Il ou elle peut ainsi être poussé(e) à la faute car il s’agit du seul moyen permettant de justifier la rupture de son contrat de travail. Quand les conditions de travail se détériorent alors que l’organisation de sa privée se trouve plus difficile en raison de la parentalité, il est tout de même loisible d’envisager que la qualité de travail puisse s’en ressentir, ou que son comportement puisse évoluer de manière plus ou moins négative. De surcroît, il serait particulièrement difficile pour le collaborateur ou la collaboratrice mis(e) en cause, de prouver le lien de causalité entre des évènements, dont souvent lui ou elle seul(e) peut attester, et la dégression qualitative de son travail, les comportements ou l’attitude, qui lui sont reprochés.

Pourtant, la moindre atteinte aux principes de notre serment commise par le collaborateur ou la collaboratrice, permettrait à l’Avocat « patron » de justifier sa décision. Et c’est là que le bât blesse.

3. Les principes d’égalité et de non-discrimination érigés en principes essentiels de la profession.

La jurisprudence des autorités administratives, ordinales ainsi que des juridictions judiciaires, témoigne de la persistance de comportements discriminatoires au préjudice des collaborateurs libéraux à raison de leur parentalité, et notamment des collaboratrices à raison de leur sexe et de leur maternité. Pour cette raison, le règlement intérieur national de la profession a été enrichi de nouveaux principes essentiels.

a. Un dispositif encourageant.

Le Barreau de Paris a fait figure de précurseur en matière de lutte contre les inégalités et la discrimination, notamment à l’égard des femmes, grâce à l’action de sa bâtonnière, Madame Marie-Aymé Peyron, au cours de son mandat.

La bâtonnière avait affirmé sa volonté de faire de la lutte pour l’égalité entre les sexes, une priorité de son mandat débuté en 2018 : « Le constat au barreau est tel qu’il nous faut contribuer, par l’éducation et la prévention, à la lutte contre les discriminations » avait-t-elle énoncé, en rappelant que les femmes, qui représentaient 54 % du barreau, gagnaient, en moyenne, 50 % moins que les hommes. Cette différence importante s’expliquant notamment par le fait qu’elles occupaient seulement 4 % des postes de direction dans le secteur des affaires, banque-finance, considérés comme étant les plus lucratifs.

Par décision à caractère normatif du Conseil National des Barreaux en date du 13 juin 2019, publiée au Journal officiel du 29 juin 2019, les principes d’égalité et de non-discrimination ont par la suite intégré les principes essentiels de la profession, énumérés à l’article 1.3 du RIN. Ainsi, Il n’est plus seulement question de l’allocation de dommages et intérêts alloués à la victime d’agissements discriminatoires ou d’atteinte au principe d’égalité, mais bien d’une violation des principes essentiels de la profession commise par leur auteur.

L’avocat qui commettrait un acte discriminatoire ou qui ne respecterait pas le principe d’égalité encourt désormais une sanction disciplinaire pour l’atteinte portée à son serment.

De plus, l’inscription de ces principes au rang des principes essentiels de la profession, permet de sensibiliser les organes décisionnaires de la profession, ainsi que les juridictions judiciaires, à la question de l’égalité et du risque persistant de discrimination au sein de la profession. De même, ces notions prennent une place prééminente car tout avocat devra prêter le serment de respecter ces principes afin de pouvoir accéder à la profession.

b. Un dispositif de protection insuffisant.

Si le principe d’égalité et d’interdiction des discriminations liées à la maternité ou à la parentalité en général est désormais posé par les textes dans le cadre de la collaboration libérale, il n’en demeure pas moins que la lutte en matière d’égalité est loin d’être terminée.

Pour être suivies d’effet, les mesures ne doivent pas seulement consister dans l’adoption de termes forts, elles doivent aussi prévoir des dispositifs concrets en faveur de la lutte contre la discrimination et l’atteinte au principe d’égalité en raison de la parentalité.

Dans les faits, les femmes et les hommes sont tout autant impliqués dans la parentalité, bien que, dans le cadre de la parentalité par l’accouchement, seules les femmes en supportent les conséquences physiologiques. C’est ainsi que celles-ci subissent davantage de discriminations liées à leur condition de femmes. En les protégeant plus que les hommes, la loi est juste dans ses considérations, mais elle génère un sentiment de défaveur, constitutif de discrimination, de la part des employeurs vis-à-vis des femmes.

En 2011, Brigitte Gresy, alors membre de l’Inspection générale des affaires sociales en charge de la rédaction d’un rapport sur l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et familiales dans le monde du travail, y a parfaitement décrit ce phénomène : "les systèmes de représentation à l’œuvre dans le monde du travail, en raison d’une prise en charge de la parentalité majoritairement effectuée par les femmes, font de ces dernières des ’agents à risque’, comme si la valeur du travail des femmes était estimée inférieure à celle des hommes en raison de la projection faite par les employeurs d’un moindre investissement ou d’un risque de sortie du marché du travail, à cause des enfants".

Le rapport pointait la difficulté avec laquelle une femme parvient à occuper un poste à responsabilités, et surtout à s’y maintenir, et ce en dépit de ses compétences. Celle-ci devant souvent faire le choix entre brider ses ambitions pour pouvoir concilier son activité professionnelle avec sa vie de famille, ou abandonner tout projet de maternité pour satisfaire aux responsabilités de son poste.

En dix années, la situation des femmes n’a pas réellement évolué, notamment au sein de la profession d’avocat, dont l’image et les préceptes demeurent très masculinisés, et ce, en dépit d’une féminisation croissante de la profession. En effet, en 2019, la profession recensait 56,4% de femmes contre 50,5% dix ans auparavant.

Ainsi, ce n’est pas tant une profession qui ne parvient pas à évoluer mais plutôt les mentalités de ceux qui l’exercent, ou parfois qui la contrôlent au sein des hautes instances.

Si les réformes survenues depuis 2014 ont permis d’offrir une protection juridique importante aux femmes ainsi qu’aux hommes dans le cadre de leur parentalité, celles-ci ne sont pas parvenues à endiguer le phénomène persistant de la discrimination.
Cela s’explique par le fait que les cadres juridiques protecteurs mis en place sont toujours perçus comme des inconvénients par certains Avocats « patrons » qui n’y trouvent pas leur compte.

Aussi, il paraît nécessaire d’engager une réflexion sur le fond, dans le cadre de campagnes de sensibilisation, de valorisation et de reconnaissance de l’engagement des cabinets dans la lutte pour l’égalité et la non-discrimination, de prise de position officielle de la part des hautes instances, de contrôles des dispositifs de protection mis en place, et le renforcement des mécanismes de sanctions civiles et pénales en cas de violations de ces mesures.

En tout état de cause, imposer une règlementation ne suffit pas à faire évoluer les mentalités. Il faut que la cause fédère, et pour cela, il faut déjà que la pratique au sommet de la profession prouve qu’elle évolue dans son sens.

Hélène Adnane Avocat au barreau de Paris

[4Cour d’appel de Paris Pôle 2 chambre 1 du 17 décembre 2014, n°13-04537

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