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La recrudescence des inscriptions au FINIADA : une menace pour les libertés individuelles. Par Aymard de la Ferté-Sénectère, Avocat.
Parution : vendredi 8 janvier 2021
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Le Fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA) est un fichier qui recense toutes les personnes ne pouvant acquérir ou détenir une arme. Dernièrement, le nombre de personnes inscrites sur ce fichier s’est extrêmement accru en agrégeant de multiples chasseurs et tireurs sportifs.

L’extension des pouvoirs d’appréciation du préfet quant à la dangerosité putative de ces personnes explique l’accélération du nombre d’inscriptions. Toutefois, les raisons invoquées pour justifier la dangerosité de ceux-ci sont parfois sujettes à caution. Ce faisant, les individus ayant fait l’objet d’une inscription au FINIADA ne sont pas dépourvus de tout droit de contestation.

Le Fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (FINIADA), créé par l’article 8 de la n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 et désormais régie par l’article L312-16 du Code de la sécurité intérieure, a pour finalité la mise en œuvre et le suivi, au niveau national, des interdictions d’acquisition et de détention des armes.

Géré par le ministère de l’Intérieur (direction des libertés publiques et des affaires juridiques), il a pour finalité la mise en œuvre et le suivi, au niveau national, des interdictions d’acquisition et de détention des armes.

Ce fichier permet la recension des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes sur décision préfectorale ou en vertu d’une condamnation pénale. Il contribue également à faciliter l’application des décisions de saisies en permettant d’empêcher les intéressés d’acquérir de nouvelles armes.

Par ailleurs, les policiers et gendarmes habilités « peuvent, dans la stricte mesure exigée par la protection de la sécurité des personnes ou la défense des intérêts fondamentaux de la Nation », consulter le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ).

Cette consultation s’exerce « pour les besoins de l’instruction des demandes d’autorisation ou de renouvellement d’autorisation d’acquisition ou de détention d’armes faites en application de l’article L312-1 » et, « dans la stricte mesure exigée par la protection de l’ordre public ou la sécurité des personnes, pour l’exécution des ordres de remise d’armes et de munitions à l’autorité administrative » [1].

Plus précisément, le fichier recense :
- Les personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes en application des articles L312-10 et L312-13 du Code de la sécurité intérieure (personnes dont l’arme a été saisie par l’autorité administrative à la suite d’une procédure de remise de l’arme ou de dessaisissement) ;
- Les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour l’une des infractions définies par l’article L312-3 du Code de la sécurité intérieure et qui, à ce titre, sont interdites d’acquisition et de détention d’armes de catégories A, B, C ;
- Les personnes pénalement condamnées à une peine d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ou encore condamnées à la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont elles sont propriétaires ou ont la libre disposition ;
- Les personnes auxquelles l’autorité administrative a, sur le fondement de l’article L312-3-1 du Code de la sécurité intérieure, interdit l’acquisition et la détention des armes des catégories A, B et C car leur comportement laissait craindre une utilisation de ces armes dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui.

L’inscription au FINIADA a également pour conséquence de conduire au retrait de la validation du permis de chasse et d’interdire l’exercice de sa passation jusqu’à la radiation de ce fichier ce qui peut prendre plusieurs années.

Ces personnes se retrouvent dans une situation kafkaïenne en devant démontrer qu’elles ne sont pas dangereuses à une Administration qui fait souvent la sourde oreille.

Ce fichier a connu, de manière récente, une augmentation exponentielle du nombre d’inscrits.

Ce faisant, les dispositions des articles L312-3 et L312-3-1 du code de sécurité intérieure ont fait l’objet d’un renforcement législatif, à savoir :

En premier lieu, s’agissant de l’article L312-3 du code de sécurité intérieure, il est souligné que :
- La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé a introduit une interdiction générale d’acquisition et de détention d’armes des catégories B, C et D pour :
- Les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour les infractions mentionnées à l’article L312-3 1° du code de sécurité intérieure ;
- Pour les personnes condamnées à une peine complémentaire d’interdiction de détenir ou de porter une arme ou à la confiscation d’une arme en application de l’article L312-3 du code de sécurité intérieures.
- La liste des infractions mentionnées à l’article L312-3 1°du code de sécurité intérieure entrainant le dessaisissement a fait l’objet d’extensions successives [2] ;
- Le préfet est, en vertu des art. L312-11 et R312-67, en situation de compétence liée pour ordonner à la personne dont le bulletin n°2 du casier judiciaire comporte une mention visée au 1° de l’art. L312- 3 du code de sécurité intérieure de se dessaisir des armes qu’elle détient [3].

En deuxième lieu, l’article L312-3-1 du code de sécurité intérieure permet à l’autorité administrative de prononcer une mesure d’interdiction administrative d’acquisition et de détention des armes de catégories A, B et C l’encontre de personnes qui auraient fait l’objet d’un signalement

« laissant craindre une utilisation de l’arme ou du matériel dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui ».

Ainsi, et en dehors de toute infraction, le préfet dispose de la possibilité, à titre préventif, d’interdire l’acquisition ou la détention à une personne dont il estime que le comportement serait celui d’une personne dangereuse.

Or, il sera noté que depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, il n’est plus nécessaire de démontrer que le comportement de l’intéressé laisse « objectivement » craindre une utilisation de l’arme ou du matériel dangereuse pour soi-même ou pour autrui.

La suppression de cet adverbe a ainsi conféré un pouvoir d’appréciation plus large et plus subjectif à l’Administration pour justifier l’interdiction de détenir une arme concernant des personnes non condamnées.

En conséquence, la suppression du critère d’objectivité a provoqué une recrudescence des inscriptions sur le fichier.

S’il apparait évident qu’un certain nombre de personnes inscrites ont pu montrer, de par leur comportement et leur passé, un comportement justifiant d’une inscription au FINIADA, il n’en demeure pas moins que les inscriptions se sont emballées et que les personnes concernées sont bien souvent loin de mériter un tel traitement.

En effet, qu’il s’agisse d’infractions au code de la route, de faits anciens, voire très anciens, ou d’autres infractions sans aucun rapport avec l’utilisation d’une arme, l’amplitude des prétextes conduisant le préfet à décider d’inscrire une personne au FINIADA et à lui demander de se dessaisir de ses armes doit être entendu comme une limitation sérieuse à l’exercice des libertés publiques.

Ainsi, il importe de signaler aux personnes, faisant l’objet d’une telle inscription, qu’elles ne sont pas dépourvues de tout droit de contestation dans la mesure où la décision du préfet d’inscrire un individu au fichier est un acte administratif contestable devant le tribunal administratif compétent.

En conséquence, dès réception d’une lettre de la préfecture informant qu’une personne fait l’objet d’une enquête administrative, celle-ci doit émettre des observations écrites sur le fondement de l’article L122-1 du code de justice administrative.

Ensuite, dès réception de la décision du préfet l’inscrivant au FINIDA, l’intéressé est en mesure de contester cette décision dans un délai de deux mois au moyen :

- Préalablement, d’un recours gracieux directement devant le préfet ou hiérarchique devant le ministère de l’Intérieur ce qui aura pour effet d’interrompre le délai de recours contentieux.
L’absence de réponse de la part de l’Administration dans un délai deux mois à partir de la date de réception du recours, vaut rejet de la demande.
L’’intéressé dispose, pour former un recours devant le juge administratif, d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet en application de l’article R421-2 du CJA.
Toutefois, lorsqu’une décision explicite de rejet intervient avant l’expiration de cette période, c’est la date de réception de cette décision explicite qui fera partir le délai de recours contentieux.

- D’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif compétent.
Parallèlement à l’introduction d’un recours en annulation de la décision, le juge administratif des référés peut être saisi d’une requête en suspension, au visa de l’article L521-1 du Code de justice administrative, qui suppose :
- D’être en mesure de justifier de « l’urgence » de suspendre tout ou partie de la décision ou de ses effets ;
- De faire état d’un « doute sérieux », en l’état de l’instruction, quant à la légalité de la décision.

Par ailleurs, et dans la mesure où la « libre disposition de ses biens par un propriétaire » doit être regardée comme une liberté fondamentale [4], une demande présentée en référé liberté au titre de l’article L521-2 du Code de justice administrative pourrait également être envisagée à l’encontre d’une inscription au FINIADA dont le caractère « manifestement illégal » pourrait être démontré.

Le référé liberté a l’avantage d’être traité en 48 heures par le Juge administratif.

Signalons également que le ministère d’avocat est obligatoire au risque de rendre la requête irrecevable [5].

En synthèse, et pour l’essentiel, les exigences résultant d’une évidente protection de la sécurité publique, dans cette période particulièrement troublée, ne sauraient avoir pour effet de diluer, voire d’anéantir, l’exercice des libertés de nos concitoyens telles que consacrées par la République française à l’appui également des protections édictées dans le cadre de différents droits relevant de l’Union européenne.

Aymard de la Ferté-Sénectère Avocat associé du cabinet Buès et Associés Courriel : [->a.delaferte@bues-associes.eu] Site : http://www.bues-associes.eu/

[1Article L312-17 du code de sécurité intérieure.

[2Ordonnance n°2013-518 du 20 juin 2013, Loi n°2016-731 du 3 juin 2016, Loi n°2018-133 du 26 février 2018 et Ordonnance n° 2019-610 du 19 juin 2019.

[3CAA Paris, 27 novembre 2018, n°18PA00040.

[4CE, réf., 23 mars 2001, Sté Lidl, no 231559.

[5CAA Paris, 11 juin 2019, n° 19PA01050.