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Les recours contre les perquisitions administratives et les visites domiciliaires judiciaires. Par Samir Hamroun, Avocat.
Parution : mardi 12 janvier 2021
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Nouvelle arme déployée suite aux attentats meurtriers qu’a connus le France, la loi du 30 octobre 2017 (1510-30 octobre 2017), cette loi prévoit, notamment, un nouveau mode de visites domiciliaires, ou perquisition, pour les auteurs présumés de terrorisme. Une disposition se distingue plus particulièrement et concerne les visites domiciliaires, que le législateur n’a pas voulu nommer « perquisition ». Ces visites se démarquent par le mode de saisine du magistrat mais également par les voies de recours singulières permettant leur contestation.

Cette loi a été conçue pour tenter d’anticiper des passages à l’acte visant à perpétrer un attentat. Avec les dispositions déjà existantes, certaines issues de cette loi peuvent paraître soit obsolètes, soit anecdotiques. Obsolètes car elles sont déjà prévues depuis de nombreuses années par d’autres dispositions bien ancrées en droit, anecdotiques, car nous verrons que leur utilisation a permis un nombre de condamnation qui tient sur les doigts d’une seule main.

A chaque mandature sa loi contre le terrorisme, c’est plus de 30 lois et décrets qui ont été adoptés entre 1995 et août 2020 avec l’adoption de la mesure de rétention de sûreté pour les auteurs d’infractions terroristes ayant purgé leur peine. Dès lors, nous pouvons légitimement nous interroger sur l’efficacité de ces dispositions étant donné que nous sommes régulièrement endeuillés par le terrorisme.

Toutefois, il nous apparaît que la loi Sécurité intérieure se distingue par l’originalité de certaines dispositions, fermeture des lieux de culte prévue par l’article L227-1 du Code de la Sécurité intérieure, peine de sûreté, article L232-7 du même Code. Il est évident que cette loi prévoit un arsenal législatif essentiellement pour lutter contre la radicalisation violente de certains musulmans qui constituent une infime minorité de cette communauté.

Les articles L229-1 et suivants du Code de la Sécurité intérieure (CSI) prévoient des « visites domiciliaires » pour des personnes soupçonnées de radicalisation ou sur le point de commettre un attentat.

Ces visites domiciliaires sont à distinguer des perquisitions administratives dont les sources sont diamétralement opposées mais qui en pratique sont toutes les deux identiques.

Une pluie de critiques s’est littéralement abattue au moment de l’élaboration et de l’adoption de la loi Sécurité Intérieure du 30 octobre 2017, il nous apparaît qu’un grand nombre de ces critiques sont totalement justifiées.

En effet, dans sa volonté, sincère, de lutter contre ce fléau qu’est le terrorisme, le gouvernement intronise en droit une procédure d’exception utilisée dans des conditions d’exception (I).

Les voies de recours sont elles également diamétralement opposées et celle prévue par la visite domiciliaire est assez étrange voie même unique en droit français (II).

I. La différence entre visite domiciliaire et perquisition administrative.

Il est essentiel de les différencier car il n’est pas rare que cela entraine confusion.

La perquisition administrative est une mesure de police administrative mise en place dans la cadre de l’Etat d’urgence prévu par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. L’article 11 de cette même loi dispose :

« Le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peuvent, par une disposition expresse : / 1° Conférer aux autorités administratives visées à l’article 8 le pouvoir d’ordonner des perquisitions en tous lieux, y compris un domicile, de jour comme de nuit, sauf dans un lieu affecté à l’exercice d’un mandat parlementaire ou à l’activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».

Suite aux attentats de novembre 2015, il était nécessaire de prendre des mesures urgentes pour contrer cette menace réelle et même prégnante. Le Président de la République avait donc décidé de prendre un décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 autorisant, notamment, les perquisitions administratives en tout lieux et à toute heure, mais également la fermeture des lieux de culte à titre provisoire et des interdictions de quitter le territoire.

La principale critique de cette loi, vieille de près 65 ans, est que ces perquisitions peuvent être exercées sans le contrôle préalable d’un juge, sur la seule base de l’action du ministère de l’intérieur et du préfet.

Cette situation est très inquiétante, puisque la réalité consiste plutôt en la mise en place de ces mesures pour les personnes fichées S. Pour rappel, ces fichiers de renseignements sont non contraignants sur le point de vue juridique et ne devraient même pas être portés à la connaissance des fichés. Eh bien, le pouvoir réglementaire va, seul sans contrôle préalable, étudier la dangerosité d’un individu ou d’une structure et décider la mesure de perquisition.

Nous rappelons également aux partisans de ces mesures, que la vague de perquisitions suivant les attentats de 2015 n’a débouché sur aucun démantèlement de structure terroriste ni sur la découverte d’aucune personne particulièrement radicalisée.

Pour la période comprise entre novembre 2015 et février 2016, 3427 perquisitions administratives ont eu lieu, entrainant la saisine de 588 armes.

De février 2016 à avril 2016, les perquisitions ont continué mais sur un rythme nettement plus calme, avec 122 perquisitions. Sur l’ensemble des perquisitions administratives menées, 592 ont débouché sur des procédures judiciaires. Un chiffre ahurissant permet de remettre en question l’ensemble du fonctionnement de ces opérations. Seulement 25 infractions « en lien direct avec le terrorisme », ont été menées… sur 3427 perquisitions.

Il n’est pas inutile de préciser que la grande majorité concernait des faits d’apologie du terrorisme soit des procédures délictuelles.

En effet, après chaque attentat, le pouvoir exécutif affirme à coups de menton que plusieurs opérations anti-terroristes sont en cours. Néanmoins, nous ne pouvons éluder le fait que l’immense majorité de ces opérations se sont terminées sans aucune suite judiciaire et sont demeurées totalement infructueuses sur le plan des saisies.

Néanmoins, la faculté de recours contre ces perquisitions existe et permet un recours effectif au juge. Chaque individu ayant fait l’objet de ces mesures, totalement dépourvues du contrôle préalable d’un juge, pourra les contester par le biais d’un recours pour excès de pouvoir. L’usage de cette voie de recours permettra de saisir le tribunal administratif qui pourra évaluer sur le fond le bien fondé de la perquisition. De manière classique, un appel auprès de la Cour administrative d’appel et du Conseil d’Etat pour également être intenté.

Le juge administratif est donc le seul garant du contrôle de ces mesures sur le plan juridictionnel.

Nous sommes donc dans le cadre d’une procédure purement administrative du commencement au contrôle de la mesure. Dans le cadre de la visite domiciliaire, la panique a entrainé un mixte entre les deux procédures en instaurant un mode de contrôle, à notre sens inédit, et totalement superfétatoire.

II. Les voies de recours contre les visites domiciliaires judiciaires.

Ne pouvant maintenir l’état d’urgence indéfiniment et face aux nombreuses critiques relatives à son inefficacité, il aura fallu que le législateur trouve un mécanisme judiciaire idoine et hors de toute procédure d’exception.

C’est ainsi que pour éviter les critiques et recours, inévitables, aux questions prioritaires de constitutionnalité, la loi du 30 octobre 2017 prévoit que le représentant de l’Etat peut saisir le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Paris aux fins de permettre la visite domiciliaire : L’article L229-1 du Code de la Sécurité intérieure dispose (L. no 2017-1510 du 30 oct. 2017, art. 4-I et 5-II, applicable jusqu’au 31 déc. 2020) :

« Sur saisine motivé du représentant de l’Etat dans le département ou, à Paris, du préfet de police, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris peut, par une ordonnance écrite et motivée et après avis du procureur de la République ».

 

C’est donc bien une procédure hybride qui est mise en place par ladite loi Sécurité et intérieure et sans aucune originalité.

L’intervention importante de l’exécutif est maintenue puisqu’il est à l’origine de la saisine étant le détenteur des informations secret-défense (rien de plus que les fameuses fiches S encore et toujours) une dose de judiciarisation est injectée par l’intervention du Juge des libertés et de la détention ainsi que de l’avis du Procureur de la République.

L’intervention du Juge des libertés est à saluer tant les praticiens connaissent l’indépendance de ce Juge face aux juges d’instruction et du parquet surtout.

Les statistiques publiées par un rapport du Sénat parlent de 10% des dossiers traités à partir de septembre 2019 et, dans le plus fort de l’utilisation de mesure, celles-ci n’ont pas excédé 10 visites autorisées par mois. (rapport d’information du Sénat sur le contrôle et le suivi de la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017 publié le 26 février 2018).

Nous ne disposons pas de chiffre sur le pourcentage d’autorisations permises par le Juge des libertés et de la détention, mais par expérience, il est extrêmement rare que ce magistrat s’oppose à une visite ou perquisition judiciaire sachant que le parquet donne un avis favorable dans 100% des cas.

C’est donc une sorte de prolongement des perquisitions de l’état d’urgence aux périodes habituelles non soumises à des procédures exceptionnelles qui est instauré. La caution du Juge des libertés et de la détention doit donner confiance aux justiciables si tant est qu’il exerce réellement une faculté de contrôle.

Ce qui interpelle plus particulièrement, c’est la voie de recours mise en place, l’accès au juge.

L’article L229-3 du code de la Sécurité intérieure dispose :

« I.-L’ordonnance autorisant la visite et les saisies peut faire l’objet d’un appel devant le premier président de la cour d’appel de Paris. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat.

Cet appel est formé par déclaration remise ou adressée par pli recommandé au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter de la notification de l’ordonnance. Cet appel n’est pas suspensif.

Le greffe du tribunal judiciaire transmet sans délai le dossier de l’affaire au greffe de la cour d’appel où les parties peuvent le consulter.

L’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris est susceptible d’un pourvoi en cassation, selon les règles prévues par le code de procédure pénale. Le délai de pourvoi en cassation est de quinze jours.

II.-Le premier président de la cour d’appel de Paris connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie autorisées par le juge des libertés et de la détention. Les parties ne sont pas tenues de constituer avocat.

Le recours est formé par déclaration remise ou adressée par pli recommandé au greffe de la cour dans un délai de quinze jours. Ce délai court à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal de visite. Ce recours n’est pas suspensif ».

L’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris est susceptible d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale. Le délai de pourvoi en cassation est de quinze jours.

Découle de ces dispositions que l’organe de contrôle au fond de la mesure est le première président de la Cour d’appel de Paris. Ce contrôle va s’effectuer dans un premier temps sur le fond, autrement dit, le plaignant pourra contester la notice de saisine du juge des libertés et de la détention. L’individu est-il réellement radicalisé, a-t-il un discours appelant à la haine, la discrimination et la violence et surtout, constitue-t-il une menace pour l’ordre public ?

En pratique et par expérience, les notices de saisine du juge des libertés et de la détention reprennent la saisine du préfet. Ces procès-verbaux et notices ont souvent la forme suivante : des renseignements obtenus contre une personne tendent à démonter qu’il est connu comme étant un salafiste appelant au djihad armé et à la violence contre autrui. Il fréquenterait des mosquées radicales (curieusement toujours ouvertes) et des individus susceptibles de fréquenter des territoires de guerre syro-irakiens. Mais également, son entourage, sa pratique religieuse ou encore ses déplacements à l’étranger pourraient poser question. C’est ici le cœur du débat.

Il conviendra à chaque individu de démontrer que ces informations sont fausses et ces le premier président de la Cour d’appel de Paris qui aura à vérifier tout cela. Ce recours n’étant pas suspensif, la sanction sera relative mais très symbolique et l’individu visité aura tout latitude de communiquer cette décision positive aux services de renseignements qui devront revoir leurs sources.

En outre, c’est toujours le Premier président de la cour d’appel de Paris qui connaîtra des irrégularités de procédures notamment le respect des voies et délais de recours. Il est rappelé à tous les justiciables de porter une attention toute particulière à la notice relatives aux voies de recours.

En droit positif, la sanction de l’absence des modalités et voies de recours est une nullité, la jurisprudence est très abondante en la matière. L’énonciation de voies de recours erronées, incomplètes ou omettant une mention obligatoire est que le délai ne court pas.

Il faudra donc être tout particulièrement au respect de l’article L229-2 alinéa 2 du Code de la sécurité intérieure qui prévoit ceci :

« L’acte de notification comporte mention des voies et délais de recours contre l’ordonnance ayant autorisé la visite et contre le déroulement des opérations de visite et de saisie ».

Le législateur a donc mis en place un procédé qui n’exclut pas l’intervention du juge administratif mais subordonne son intervention au juge judiciaire alors que l’état d’urgence donne carte blanche au pouvoir administratif sans passer par cette procédure complexe…

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Samir Hamroun Avocat à la Cour [->samirhamroun.avocat@yahoo.fr]