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Sobriété numérique des professions du droit : engager une démarche vertueuse pour gagner en responsabilité.
Parution : mercredi 21 septembre 2022
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La place de la technologie devient omniprésente depuis plus de 20 ans. L’écosystème qui s’est constitué grâce à ces nouvelles techniques pousse néanmoins à une surconsommation de biens et services qui menace l’environnement. Beaucoup de professions, du fait de la digitalisation de leurs structures et des outils, et notamment les professions d’avocat et de notaire sont concernées par ces problématiques, plus encore avec l’émergence d’une responsabilité environnementale des organisations.
La Rédaction du Village de la Justice s’est intéressée à la sobriété numérique et aux solutions qui existent pour réduire son empreinte environnementale en tant que profession du droit.

L’usage du numérique s’est accru de manière exponentielle avec la crise sanitaire, puis économique, causée par l’épidémie de coronavirus. Il a pris un nouvel élan avec la généralisation du télétravail. Cette situation, et les considérations en termes d’équipements technologiques et de stockage, n’est pas que positive, bien qu’elle facilite grandement beaucoup de tâches et de process professionnels.
L’accroissement des usages numériques n’est pas sans danger, les incidences pour la planète sont réels comme on le savait bien avant la Covid. Les émissions de GES [1] du "secteur numérique" sont en constante progression et représenteraient 6% des émissions mondiales en 2024 ans, soit plus que celles de l’aviation mondiale.
Cela touche au concept de "sobriété numérique" qui prend tout son sens, à mesure que les inquiétudes vis-à-vis de l’état de l’environnement grandissent.

Le concept de sobriété numérique.

The Shift Project en propose une définition : « Acheter les équipements les moins puissants possibles, les changer le moins souvent possible, et réduire les usages énergivores superflus. » [2]

Cette dimension de numérique responsable intègre petit à petit l’organigramme et la stratégie des entreprises, et prend le nom de responsabilité sociétale et environnementale avec l’irruption de nouveaux métiers comme par exemple le responsable Green IT.

Le monde professionnel du droit et notamment les avocats et les notaires voient leur consommation d’outils technologiques bondir dans le cadre d’une transition numérique globale, plus ou moins bien maîtrisée selon les cas.

Dans le cadre d’une vaste enquête réalisée auprès des avocats, le Village de la Justice avait publié le 5 juin 2020 un Bilan numérique des avocats. Les professionnels interrogés sur les résultats de cette étude nous faisaient remarquer les grandes lacunes dans la connaissance des avocats sur les sujets numériques, pointant une « incompréhension » de la profession à propos de « l’importance vitale de l’informatique à l’heure du digital ». « Les résultats sont éclairants sur le chemin restant à parcourir mais surtout sur les "niches" numériques délaissées par les Avocats, notamment sur la sécurité ou le marketing digital. » [3] Côté notaires la donne est différente puisque la profession est reconnue comme l’une des plus avancées dans le domaine de l’utilisation des nouvelles technologies. [4]

Comment dès lors peuvent-ils agir de manière plus responsable dans ce domaine et engager une stratégie numérique vertueuse à forte valeur ajoutée ?

Sobriété numérique, pour une stratégie RSE à forte valeur ajoutée : comment faire ?

Une initiative d’aide a été lancée par le réseau Cigref avec la parution en octobre 2020 d’un référentiel qui liste « des clés d’actions et propose un référentiel de 100 bonnes pratiques pour aider au déploiement d’une démarche de sobriété numérique dans l’ensemble de l’entreprise. » [5]

Un premier point rappelé dans ce guide est que l’aspect comportemental est fort. On comprend dès lors qu’il « suffit de » vouloir pour pouvoir faire les bons choix en fonction de la valeur apportée par le numérique pour l’entreprise vis-à-vis des risques pour l’environnement.

Le guide propose également de dérouler la stratégie orientée RSE au travers de 8 vecteurs qui sont autant de « bonnes pratiques » pour atteindre la sobriété numérique. Cela passerait par un « plan de transformation "Sobriété Numérique" pour l’ensemble de l’entreprise » qui viserait à « accompagner les usages, et définir une politique de ressources humaines » afin de « définir une politique interne d’achats responsables » et incorporer dans les process que « tout nouveau projet doit intégrer une dimension "sobriété numérique" ».

Bien sûr, cette nouvelle stratégie qui repose sur des nouveaux comportements doit bénéficier d’une définition précise des prérequis, à savoir « avoir le sponsorship des dirigeants, moderniser les infrastructures et architectures, accompagner les usages, sensibiliser et former. » Pour obtenir l’aval des dirigeants, il est préférable de les convaincre en articulant un argumentaire fort basé sur la démonstration de la valeur des projets numériques « sobres », en ayant en amont « [anticipé] l’impact des réglementations, [défini] collectivement des exigences vis-à-vis des fournisseurs, [anticipé] l’impact des prochaines ruptures technologiques. » Tout cela doit se faire de concert avec une gouvernance dédiée à la sobriété numérique, avec le renfort d’experts en la matière.

Quelques bonnes pratiques de sobriété numérique au quotidien.

-  Les e-mails :

« Si l’on considère la totalité de son cycle de vie, le simple envoi d’un mail d’un mégaoctet (1 Mo) équivaut à l’utilisation d’une ampoule de 60 watts pendant 25 minutes, soit l’équivalent de 20 grammes de CO2 émis ». [6]

Comprendre les étapes dans le processus d’envoi d’un mail permet de mieux appréhender l’empreinte numérique qu’il peut avoir. Il y a ainsi l’écriture de l’e-mail, son transport, sa lecture, son stockage. L’impact environnemental est augmenté du fait de l’envoi à plusieurs personnes.

Green IT propose ainsi plusieurs gestes à adopter au quotidien [7] et notamment :

-  Les drives, les clouds et autres stockages en ligne :

« Contrairement aux apparences, vos données ne sont pas stockées sur un “nuage” (le fameux cloud), mais dans des data centers, ces centres informatiques énergivores. » [8]

Les clients professionnels des entreprises technologiques spécialisées dans les services de stockage en ligne peuvent leur demander de leur fournir des données de consommation, afin de mieux comprendre l’impact global de leur utilisation de ces services.

Pour aller plus loin, le Cigref, dans son rapport, émettait l’idée « de clauses « numérique responsable » afin finalement d’influer sur le marché. A la manière des notices nutritionnelles pour les aliments, les entreprises de services numériques pourraient « afficher le poids et/ou l’impact de leur solution. » [9]

-  Le matériel  :

L’obsolescence programmée nuit à l’environnement, et concerne tout aussi bien le matériel que l’usage que nous en faisons. Ainsi, l’ADEME propose des bonnes pratiques telles que se former afin de « posséder les bases essentielles pour un bon usage quotidien ». De cette bonne pratique découle également la problématique de la fracture numérique et de l’accessibilité aux services numériques car tous les professionnels ne sont pas à l’aise avec les équipements technologiques.

Entretenir son outil est également un passage obligé et se fait à la fois au niveau du logiciel et au niveau du matériel. Enfin, effectuer les mises à jour correctives permet d’éviter les failles de sécurité non corrigées qui peuvent réellement mettre en péril la sécurité du système.

-  Les recherches internet et le navigateur  :

L’ADEME propose dans son Guide Numérique Responsable de « rationaliser sa navigation ». Comment ? En paramétrant son navigateur web de façon à réduire au maximum l’appel à une ressource machine.

Pour être actif et pour utiliser astucieusement le logiciel, il est conseillé de faire clairement apparaître le menu de son navigateur et de faire des réglages pour : utiliser le cloud avec modération, surtout en 4G ; télécharger les fichiers ; saisir directement dans la barre d’adresse ; utiliser des marque-pages, favoris ou signets ; optimiser les requêtes web ; rafraîchir le cache du navigateur ; supprimer les barres d’outils indésirables (toolbars) ; utiliser l’historique du navigateur et du moteur et enfin bloquer les publicités.

-  Des technologies d’avenir... Sources d’hyperconsommation numérique ?

Cette technologie fait figure de révolution et les notaires, notamment, s’en emparent déjà pour les aider dans leurs activités. La puissance de calcul qu’elle déploie en fait un outil capable de réaliser des prouesses, mais elle inquiète aussi si l’on prend le sujet sous l’angle de la sobriété numérique.

Après la 2G, 3G et 4G, « la 5G améliorera les services existants et favorisera le développement de nouveaux services, en permettant notamment un meilleur débit et plus de capacité. En particulier, avec la 5G, une quantité beaucoup plus importante de données peut être échangée sans engorgement des réseaux. Elle favorisera ensuite le développement de services innovants pour les particuliers et pour les entreprises dans de nombreux domaines. » souligne l’ARCEP [10].

Cependant, « elle risque de contribuer à une augmentation considérable de l’utilisation des services existants [tel que] passer des appels vidéo en HD en mobilité… devant à un buffet à volonté, le client a souvent tendance à se gaver ! » nuance Joachim Renaudin, expert du numérique [11]. Les comportements des développeurs et des consommateurs de ces technologies décideront de l’impact futur du numérique.

Aller plus loin :
- Le Journal du Village des Notaires propose dans son numéro 92 de Juin 2022 un article complet sur le sujet, proposant de bonnes pratiques, transposables à tous les métiers du droit. A lire !

- Guide de bonnes pratiques numérique responsable pour les organisations
(MiNumEco, mission interministérielle numérique écoresponsable) août 2022

- Guide ADEME mai 2022 "En route vers la sobriété numérique"

- Calculer votre bilan carbone : avec le simulateur de l’Ademe « Nos gestes climat » et plus précisément pour les entreprises consultez cette page.

Rédaction du Village de la Justice

[1Gaz à effet de serre.

[3Selon eux,« il est impensable aujourd’hui que près d’un peu moins d’un avocat sur deux communique avec une messagerie non sécurisée. » Quelques chiffres illustrent cette méconnaissance, comme les solutions de cloud, pourtant démocratisées, qui ne sont utilisées que par 32% des avocats, tout comme lorsqu’il s’agit des technologies d’avenir comme la blockchain (70% des sondés n’ont pas une bonne connaissance du sujet).

[4Et l’année 2020 n’a fait qu’accroître l’intégration de ces outils dans l’écosystème numérique des structures de notaires avec par exemple la mise en place par décret de la comparution à distance pérennisée ensuite de nouveau par décret en novembre. De même, le télétravail a fait une entrée fracassante et durable dans les pratiques des notaires ce qui a participé à cette augmentation dans l’utilisation du numérique. [[Source : Journal du Village des Notaires n°84

[10Source : Arcep, Parlons 5G