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Le stress post traumatique des avocats. Par Vincent Ricouleau, Professeur de droit.
Parution : mardi 12 janvier 2021
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Le stress post traumatique des avocats. Un des 42 chapitres du premier Guide des Risques Psychosociaux des avocats publié en octobre 2020. Et pas des moindres. Reconnaître que la profession en souffre. Identifier les causes. Comprendre les effets. Les prévenir. Les soigner. Accompagnement. Formation. Recherche. Déni. Retard en France. Nécessité d’une prise de conscience. Des pistes et des idées parmi bien d’autres dans cet article !

Evitons le hit parade des professions où le stress post traumatique pulvérise des vies. chaque contexte est différent. Mais l’enfer est le même. La destruction est au bout.

Terrorisme, assassinats, crimes, tortures, barbaries, génocides, crimes de guerre, viols sur adultes, sur enfants, mutilations, pédophilie, esclavage, crimes contre l’humanité, traites des êtres humains, immigration, serial killers, catastrophes collectives !

Tels sont les domaines où certains avocats doivent s’investir, enquêter, travailler, plaider pour défendre la victime ou l’auteur, parfois dans d’autres pays que le leur. Après avoir entendu les protagonistes, lu les pièces, visionné les vidéos, regardé les photos, assisté aux reconstitutions.

Question : peut-on traiter les dossiers les plus sordides et s’en sortir indemne ?

Autres enjeux pour nombre d’avocats dans nombre de pays, rester vivants et surtout libres. Les persécutions, les rapts, les tentatives de meurtres, les assassinats, les tortures, les disparitions, les incarcérations, les procès politiques, ne datent pas d’aujourd’hui. L’avocat est une cible autant que le journaliste depuis toujours, en Amérique latine, en Iran (la sinistre Savak du Shah), en Turquie, en ex URSS, en Chine et d’une manière générale dans tous les pays non démocratiques. L’histoire de l’avocat, c’est l’histoire de la démocratie.

D’autres sources de stress post traumatique sont à noter. Assister à l’exécution de son client. Les Français ne sont plus concernés mais ce n’est pas une raison pour abstraire ce qui se passe ailleurs. Apprendre le suicide d’un confrère ou d’une consœur. De son client, libre ou incarcéré.

Certains avocats font l’objet de harcèlement et de violence de tout ordre. Nous verrons si la déclaration sur la ratification par la France de la Convention n°190 de l’OIT (10 juin 2019) générera des progrès. Après d’ailleurs, un spectaculaire et humiliant rappel aux Barreaux par l’ex Défenseur des droits, Jacques Toubon.

L’avocat peut être féroce envers lui-même mais aussi vis-à-vis de ses congénères, ses collaborateurs, ses partenaires, sans oublier les salariés des Maisons de l’Avocat (voir arrêt du 22 juin 2016 de la Cour d’Appel de Poitiers concernant le harcèlement d’un bâtonnier du barreau de Nantes). Le stress post traumatique touche les avocats, et disons le, tout ce qui touche aux avocats.

L’état de stress post traumatique se caractérise par un syndrome de reviviscence, d’évitement, d’émoussement affectif, d’hyperactivité neuro-végétative. Il frappe d’emblée ou à distance, parfois même très à distance, déclenché par un autre événement traumatisant. L’exposition régulière et la sur-exposition ne procurent aucune immunité. Mais certaines fragilités, dues à une enfance difficile, à des problèmes personnels, à une dépression, notamment, prédisposent à être plus facilement frappé.

Le lecteur intéressé et motivé se reportera au chapitre sur le stress post traumatique dans le Guide des Risques Psychosociaux des avocats pour un tableau clinique plus complet.

Rappelons que les deux modèles principaux de classification internationale des troubles mentaux sont le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) dont la cinquième version date de mai 2013, publiée par l’American Psychiatric Association (APA), et la CIM , la Classification Internationale des Maladies, éditée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Deux appellations : le Post Traumatic Stress Disorder (PTSD) dans le DSM 5 et l’état de stress post traumatique dans la CiM 10.

Le lecteur lira aussi parmi de très nombreuses publications, celles des professeurs et docteurs Louis Croq, Louis Jehel, Gérard Lopez, François Ducroq, Philippe Birmes, Franck de Montleau. La psychiatrie militaire a permis de mieux comprendre certains aspects, notamment pendant et après la guerre menée par les Américains au Vietnam.

Mais alors comment combattre le stress post traumatique, une fois déclenché ?

L’arsenal moléculaire.

Les inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (ISRS). Les anticonvulsivants. Les neuroleptiques. Les antipsychotiques. Le propranolol. L’agomelatine. Autant de médicaments dont certains ont prouvé leur efficacité. D’autres subissent des essais. Pour tenter de se repérer, certains guidelines existent, comme celui de l’ISTSS (International Society for Traumatic Stress Studies) et le NICE (National Institute for Health and Care Excellence).

Mais d’autres pistes existent.

Le mentorat, le débriefing, la cellule d’accompagnement, les techniques des groupes de Balint, certains blogs spécialisés, les Thérapies Comportementales et Cognitives (TCC), l’EMDR, (Eye Movement Desensitization and reprocessing ou désensiblisation et retraitement par les mouvements oculaires), les psychothérapies, les thérapies familiales, les task force droit et psychiatrie, doivent être mis en œuvre par les avocats.

Peut-on standardiser ? Protocoliser ? Ce qui est certain, c’est que la profession d’avocat doit rentrer beaucoup plus dans la substance médicale sans forcément "médicaliser" outre mesure la profession.

Un dossier médical pour l’avocat ?

La notification de l’exposition à l’événement traumatique est nécessaire. Pour cela, chaque avocat devrait se constituer un dossier médical de santé au travail. Cette démarche correspondrait à une obligation de traçabilité des expositions aux risques professionnels. La consultation de spécialistes, visant à prévenir les troubles, en serait facilitée. Reste à les débusquer et à les assumer, ces troubles, la psychiatrie française ne se passionnant pas pour le métier d’avocat et ses affres.

Les auto-questionnaires PCLS (post traumatic stress disorder checklist scale) et TSQ (trauma screening questionnaire) pourraient être adaptés dans une version française. Ces tests seraient intégrés dans le dossier médical professionnel, numérique ou non.

Il faut aussi organiser des démarches collectives de retour d’expériences (RETEX).

Le defusing et le debriefing doivent être utilisés si possible dans les 72 heures de l’événement.

Toute une culture professionnelle à bouleverser. Ce ne sera pas pour demain, mais on devrait y songer dès maintenant.

Les algorithmes ?

Un exemple. Les chercheurs du centre national Irving de l’université de Columbia à New York ont développé un algorithme reposant sur la collecte de 70 données. Ces dernières sont recueillies lors des examens médicaux dans un service d’urgence. Tension artérielle, évaluation de l’anxiété, taux de cortisol, hormones de stress, différents marqueurs inflammatoires, plus un bilan psychologique le plus précis possible, constituent une data. Ces données permettent d’établir un "score de risque" d’être victime du stress post traumatique. Reste à prendre du recul et à analyser les résultats, mais l’idée fait son chemin.

Les pistes endocriniennes et épigénétiques.

Pierre Bougnères, chercheur à l’inserm, explore des pistes endocriniennes et épigénétiques. Passionnantes, mais franchement inquiétantes. Le stress maternel prénatal se transmettrait au fœtus lors de la phase de développement où le placenta laisse passer les stéroïdes maternels du stress, cortisol et alloprégnanolone, en fin de grossesse.

Le chercheur dit que ces signaux hormonaux sont perçus par l’hypothalamus fœtal. Ce dernier peut en garder l’empreinte épigénétique durable. Une altération de la réponse au stress de la vie est un risque important. Les recherches continuent avec le CEA de Fontenay et l’équipe Inserm neurostéroïdes de l’université Paris Saclay.

On imagine une avocate enceinte aux prises avec les dossiers les plus sordides. Que faire...

La trip thérapie.

Pas de problème si vous ne retenez pas l’orthographe. Methylenedioxymethamphetamine. Vous connaissez mieux son acronyme. MDMA. Laurent Karila, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul Brousse à Villejuif, préconise l’utilisation de cette substance, en complément de la psychothérapie. Vous avez bien lu, "en complément de la psychothérapie" et sous un très étroit contrôle d’addictologue. Et le tour n’est pas pour autant joué. Le stress post traumatique se déjoue de nombre de techniques. Mais il faut tout essayer.

Le programme 13 novembre.

Le programme 13 novembre étudie la mémoire des attentats. L’historien Denis Peschaski du CNRS et le neuropsychologue Francis Eustache de l’Inserm, coordonnent des études afin de comprendre la mémoire d’un drame "traumatisant au-delà de l’imaginable". Trois cents chercheurs se mobilisent sur une période de 12 ans pour tenter de saisir les interactions entre la mémoire individuelle et collective. Les protagonistes, victimes, directement ou indirectement exposées, membres des services de secours, habitants, seront interrogés à des étapes différentes.

Ce programme est unique sur bien des points. Il permettrait d’étudier les avocats et la façon dont ils gèrent les dossiers relatifs aux attentats. Mais font-ils partie des protagonistes à observer ? Pense-t-on à eux ? En tout cas, aucune demande ne semble émaner des avocats, du moins officiellement. On rêverait de savoir comment le cerveau d’un avocat fonctionne. L’imagerie fonctionnelle rendrait bien service.

En conclusion, tout ce qui précède est bien théorique et superficiel, la profession paradant plus qu’elle ne pense aux parades.

Alors, esquissons un cas pratique. Choisissons le contexte. Vous assistez en qualité d’avocat une ou des victimes des attentats du Bataclan. Enjeu. Préparer le procès.

Comment ?

Mais une question préalable se pose ! Et Vous, vous pensez à vous préparer ? Avant. Pendant. Après.

Réfléchissez.

Quelques éléments utiles dans mon Guide sur les Risques Psychosociaux des Avocats.

Juste se préparer...

Se préparer, c’est se protéger.

Dans quelle école d’avocat aurons-nous un tel programme ? Ce serait facile à mettre en place. A suivre.

Vincent Ricouleau Professeur de droit - Vietnam - Responsable Cellule d'Urgences Juridiques pour les citoyens français en Asie Auteur du Guide des Risques Psychosociaux des Avocats Directeur de la Clinique Francophone du Droit (Saigon) Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5).