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Le vaccin Covid-19 et le milieu de l’entreprise : Quelles sont les obligations ? Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : jeudi 14 janvier 2021
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Il faut savoir qu’en milieu de travail, la vaccination poursuit deux objectifs : d’une part, protéger les salariés contre un risque professionnel d’autre part, éviter qu’ils ne contaminent les autres salariés de l’entreprise.
Lancée officiellement le 27 décembre 2020, la campagne vaccinale contre le Covid-19 suscite déjà de nombreuses interrogations légitimes, notamment sur sa mise en œuvre dans les entreprises.
Le présent article fait donc un focus sur les principales règles juridiques applicables au regard du droit actuel à travers des questions-réponses pratiques.

Les entreprises pourront-elles imposer à leurs salariés de se faire vacciner contre la Covid-19 ?

Selon l’article L3111-1 du Code de la santé publique,

« la politique de vaccination est élaborée par le ministre chargé de la Santé. »

Toutefois, seul le législateur peut rendre une vaccination obligatoire.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de juger que l’obligation vaccinale était conforme à la Constitution [1] :

« 6. Considérant que, selon les requérants, en imposant une obligation vaccinale contre certaines maladies alors que les vaccins ainsi rendus obligatoires peuvent présenter un risque pour la santé, les dispositions contestées portent atteinte au droit à la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; que ce risque serait particulièrement élevé pour les jeunes enfants ; que les maladies pour lesquelles ces vaccins sont obligatoires ont cessé de provoquer un nombre important de victimes en raison de l’amélioration des conditions de vie ; que la loi ne prévoit pas d’examen médical préalable permettant de déceler les contre-indications médicales que la personne peut ignorer ;

(…)

10. Considérant qu’il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective ; qu’il lui est également loisible de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l’évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques ; que, toutefois, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l’objectif de protection de la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé. »

En milieu de l’entreprise, la vaccination est abordée dans le code du travail dans son article R4426-6. Il en ressort que la vaccination en entreprise est :
- soit obligatoire en vertu d’une disposition du Code de la santé publique ;
- soit recommandée par l’employeur sur proposition du médecin du travail.

Autrement dit, tant que la vaccination contre la Covid-19 n’est pas rendue obligatoire par le Code de santé publique, l’employeur ne peut pas l’imposer à ses salariés.

Quelles sont actuellement les vaccinations obligatoires au travail ?

Les obligations vaccinales professionnelles sont prévues par l’article L3111-4 du Code de la santé publique en ses deux premiers alinéas et sont à la charge de l’employeur.

« Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l’exposant ou exposant les personnes dont elle est chargée à des risques de contamination doit être immunisée contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe.

Les personnes qui exercent une activité professionnelle dans un laboratoire de biologie médicale doivent être immunisées contre la fièvre typhoïde. »

Ainsi, cette disposition rend obligatoire en milieu professionnel, l’immunisation contre certaines maladies mais uniquement pour les secteurs d’activités à risque élevé d’infections.

Sont visés essentiellement les professionnels exerçant dans :
- des établissements de prévention et de soins ;
- des établissements de sanitaires et sociaux ;
- des hébergements de personnes âgées.

Il convient de rappeler que l’obligation vaccinale contre la grippe a été suspendue par l’article 1er du décret n° 2006-1260 du 14 octobre 2006 [2].

Imposer une vaccination à un salarié reste donc une question délicate, eu égard aux principes à valeur constitutionnelle d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain.

Toutefois, le Conseil d’Etat a jugé que si les dispositions du Code de la santé publique portaient une atteinte limitée aux principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain, elles étaient toutefois proportionnées à l’objectif de protection de la santé, principe garanti par le Préambule de la Constitution de 1958 [3] :

« Considérant que les dispositions des articles L3111-1 à L. 3111-11 et des articles L3112-1 à L. 3112-5 rendent obligatoires un certain nombre de vaccinations ou donnent la possibilité à l’autorité administrative d’instituer par voie réglementaire de telles obligations ; que si ces dispositions ont pour effet de porter une atteinte limitée aux principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain invoqués par les requérants, elles sont mises en œuvre dans le but d’assurer la protection de la santé, qui est un principe garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958, et sont proportionnées à cet objectif ; que, dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ; que, pour les mêmes raisons, elles ne portent pas une atteinte illégale au principe constitutionnel de la liberté de conscience ; »

En l’état actuel du droit, le Parlement n’a voté aucun texte imposant le vaccin Covid-19 aux salariés d’une entreprise, même à ceux pour lesquels il existe déjà des obligations vaccinales.
Par conséquent, l’employeur ne peut pas contraindre ses salariés à se faire vacciner contre le virus. Plus encore, il ne peut ni refuser leur retour dans les locaux de l’entreprise ni les licencier pour défaut de vaccination.

La lettre-circulaire du 26 avril 1998 [4] rappelle sur ce point un principe, à savoir que l’employeur ne peut exiger la vaccination qui reste, après information claire et précise du médecin du travail, de la libre volonté du salarié.

Mais les choses pourraient changer en 2021…

Un projet de loi qui permettrait potentiellement de refuser aux salariés non vaccinés l’accès à leur entreprise ?

Le 21 décembre 2020, le Premier ministre Jean Castex a déposé à la présidence de l’Assemblée nationale un projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires. L’exposé des motifs présente l’objectif principal de ce texte qui vise à fonder un régime unique de l’urgence sanitaire [5] :

« L’ambition du présent projet de loi est ainsi de substituer à ces dispositions, conçues dans des circonstances particulièrement contraintes et pour faire spécifiquement face à l’épidémie de covid-19, un dispositif pérenne dotant les pouvoirs publics des moyens adaptés pour répondre à l’ensemble des situations sanitaires exceptionnelles.

Il s’agit donc de bâtir un cadre robuste et cohérent à partir des dispositions qui préexistaient à la crise et de celles mises en place à cette occasion, qui forment aujourd’hui un ensemble de trois régimes d’urgence imparfaitement articulés : celui des menaces sanitaires graves (…). »

Or, l’article 1er de ce projet de loi prévoit que l’accès à certains lieux pourrait être conditionné à la présentation d’un test négatif ou d’un certificat attestant de la vaccination contre la Covid-19. En effet, cet article modifie les termes de l’article L3131-9 du Code de la santé publique et prévoit que dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut également, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, prendre aux seules fins de garantir la santé publique les mesures suivantes :

« (…)
6° Le Premier ministre peut subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transports ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités à la présentation des résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif. (…)
 » [6]

Si les débats parlementaires sur ce projet auront lieu courant 2021, la notion « certains lieux » sème déjà le doute sur le fait de savoir si les entreprises pourraient être concernées.

Le Conseil d’État a d’ailleurs, dans un avis consultatif rendu sur ce projet de loi, proposé

« une rédaction visant à préciser la nature des activités ou lieux concernés, et encadrant davantage le contenu du décret du Premier ministre s’agissant des catégories de personnes le cas échéant concernées » [7]

Face à l’éventuel caractère obligatoire du vaccin Covid-19 en milieu professionnel, il convient de s’intéresser aux conséquences qui pourraient en découler au regard du régime existant, étant précisé que l’obligation d’être préalablement vacciné pour entrer dans certains territoires de la République existe déjà et n’est pas nouveau [8].

Si le vaccin Covid-19 devait être obligatoire, le refus du salarié de s’y soumettre pourrait-il entraîner son licenciement ?

Dans un arrêt rendu le 11 juillet 2012 [9], la Cour de cassation a jugé qu’un salarié refusant de manière injustifiée une vaccination obligatoire peut être licencié par son employeur :

« Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif, alors, selon le moyen que ne constitue pas une cause réelle et sérieuse de licenciement le refus du salarié de subir une vaccination obligatoire, dès lors que celle-ci l’expose à un risque de développer une maladie grave, de sorte que le salarié peut s’opposer à cette vaccination en raison des risques qu’elle présente ; que la cour en énonçant, pour décider que le licenciement de M. X...reposait sur une cause réelle et sérieuse, que l’employeur était tenu d’une obligation de résultat en matière de sécurité des salariés et que le refus opposé par le salarié de subir une vaccination obligatoire contre l’hépatite B constituait une cause réelle et sérieuse, sans que ce dernier ne puisse opposer des controverses sur les effets secondaires possibles de cette vaccination obligatoire et notamment le risque de développer une sclérose en plaques, a ainsi violé l’article L1235-1 du Code du travail ;

Mais attendu qu’après avoir justement retenu que la réglementation applicable à l’entreprise de pompes funèbres imposait la vaccination des salariés exerçant des fonctions les exposant au risque de la maladie considérée, la cour d’appel, qui a constaté la prescription de cette vaccination par le médecin du travail et l’absence de contre-indication médicale de nature à justifier le refus du salarié, en a exactement déduit que celui-ci ne pouvait s’y opposer ; que le moyen n’est pas fondé. »

Seule la production d’un avis médical de contre-indication à la vaccination peut permettre au salarié de justifier son refus. À défaut de contre-indication, tout refus justifie le licenciement.
De plus, cette dispense conduit potentiellement à faire obstacle à son recrutement ou à limiter le champ de son activité professionnelle.

Qui devra s’assurer de la vaccination des salariés et qui pourra la pratiquer ?

En vertu de l’article R4626-25 du Code du travail [10], c’est au médecin du travail qu’il incombe de veiller, sous la responsabilité du chef d’entreprise, à la vaccination obligatoire des salariés.

Cette même disposition précise que les salariés sont libres de se faire vacciner par le médecin de leur choix.

Il convient de noter qu’une ordonnance du 2 décembre 2020 [11] a autorisé les médecins du travail à participer aux actions de dépistage et de vaccination des salariés contre la Covid-19.

Si elle est obligatoire, les salariés devront-ils rapporter la preuve de leur vaccination ? Si oui, à qui ?

Selon l’article 1er de l’arrêté du 2 août 2013 [12], toute personne soumise à une vaccination obligatoire aux termes du code de la santé publique doit apporter la preuve, préalablement à son entrée en fonction, qu’elle a subi ladite vaccination.

Comment rapporter cette preuve ?

Ce même arrêté prévoit en son article 3, premier alinéa, que « la preuve de l’immunisation est apportée par la présentation d’une attestation médicale de vaccination précisant la dénomination des spécialités vaccinales utilisées, les numéros de lots ainsi que les doses et les dates des injections. »

À qui doit-elle être remise ?

La preuve de la vaccination doit être remise au médecin du travail et non à l’employeur. En effet, la Cour de cassation a jugé que l’employeur ne peut en aucun cas se voir communiquer le dossier médical d’un salarié par le médecin du travail [13] :

« Mais attendu que, s’il est exact qu’en vertu des articles 9 du Code civil, 4 et 96 du Code de déontologie des médecins issu du décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 et R 241-56 du Code du travail, le dossier médical d’un salarié, couvert par le secret médical qui s’impose au médecin qui le tient, ne peut en aucun cas être communiqué à son employeur qui ne peut, dès lors, se voir reprocher une absence de transmission d’informations tirées de ce dossier, le motif de la cour d’appel, critiqué par la cinquième branche du moyen suivant lequel la société aurait dû transmettre des informations tirées du dossier médical de Mme X... est surabondant dès lors que l’arrêt attaqué constate que l’employeur n’avait pas tenu les engagements pris devant les représentants du personnel de proposer à la salariée un poste adapté à ses capacités et qu’il appartenait à un groupe important de sociétés qui n’avaient pas été contactées en vue du reclassement de l’intéressée ; »

En outre, elle a précisé que commet une faute, l’employeur qui fait établir et produit en justice une attestation du médecin du travail comportant des éléments tirés du dossier médical du salarié, autres que les informations que le médecin du travail est légalement tenu de communiquer à l’employeur [14].

L’avis d’aptitude transmis par le médecin du travail à l’employeur suffit.

Quels risques l’employeur pourra-t-il encourir si le vaccin est obligatoire ?

En vertu de l’article L4121-1 du Code du travail,

« l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

L’employeur a en effet, une obligation générale de prévention des risques professionnels. En cas de non-respect de cette obligation, sa responsabilité civile et/ou pénale pourra être engagée, au-delà de celle du médecin du travail.

La Cour de cassation a admis que la maladie consécutive à une vaccination pouvait être prise en charge au titre des accidents du travail dès lors que cette dernière avait été imposée au salarié par son employeur en raison de son activité professionnelle [15] :

« Vu l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale ;

Attendu qu’il résulte du texte susvisé que constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci ;

Attendu que pour débouter M. X... de son action tendant à voir constater l’existence d’un accident du travail consécutif à la vaccination dont il avait fait l’objet, la cour d’appel se borne à énoncer, d’une part, qu’il n’établissait pas "qu’un événement soudain susceptible d’être qualifié d’accidentel se serait produit au cours de cette vaccination et serait à l’origine de la lésion invoquée", d’autre part, que "la seule exécution de la vaccination obligatoire ne peut être considérée comme un événement accidentel en l’absence de circonstances particulières" ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi après avoir constaté que la vaccination avait été imposée au salarié par son employeur en raison de son activité professionnelle, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »

Une obligation avant tout morale que légale ?

Depuis la loi du 4 mars 2002 [16], dite loi Kouchner, le droit des malades a évolué. La Direction générale de la Santé (DGS) et la Commission technique des vaccinations (CTV), précisent que les obligations vaccinales spécifiques à certaines catégories professionnelles visent non seulement la protection des professionnels, mais aussi celle du public en contact avec ces derniers. Il est alors fait référence à des vaccinations dites altruistes, caractérisant ainsi un geste altruiste pour protéger les autres.

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com

[6Voir note n°5.

[8Ainsi l’administration du vaccin contre la fièvre jaune est imposée à toute personne entrant dans le département de la Guyane française. Les compagnies aériennes doivent notamment vérifier que le passager est bien vacciné contre la fièvre jaune. C’est une obligation impérative et dirimante pour embarquer.

[10Article R4626-25 du Code du travail :
« Le médecin du travail veille, sous la responsabilité du chef d’établissement, à l’application des dispositions du code de la santé publique sur les vaccinations obligatoires.
Il procède lui-même ou fait procéder à ces vaccinations ainsi qu’à celles qui seraient imposées par une épidémie. Les agents peuvent les faire pratiquer par le médecin de leur choix. Ils fournissent un certificat détaillé.
Le médecin du travail est habilité à pratiquer les vaccinations qui sont recommandées en cas de risques particuliers de contagion
 ».

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