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L’injure publique : définition et sanctions. Par Avi Bitton, Avocat et Clémence Ferrand, Juriste.
Parution : jeudi 21 janvier 2021
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Qu’est-ce que l’injure publique ? Comment est-elle poursuivie et sanctionnée ?

1. Définition de l’injure.

L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose :

« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure ».

L’injure se distingue de la diffamation, qui suppose l’allégation ou l’imputation d’un fait précis portant atteinte à l’honneur ou à la considération.

Elle se distingue également de l’outrage, réprimé à l’article 433-5 du code pénal, qui dispose :

« Constituent un outrage puni de 7 500 euros d’amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l’envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie ».

L’injure peut être publique ou non-publique :

Elle est publique lorsque les destinataires constituent un public indéterminé. Tel est le cas d’une injure pouvant être entendue ou lue par le public dans la rue, sur Internet ou encore sur un réseau social. Dans ce cas, il s’agit d’un délit puni d’une peine d’amende, peine pouvant être aggravée dans certains cas.

Elle est non-publique lorsque les destinataires sont liés entre eux par une communauté d’intérêts. Tel est le cas d’une injure adressée directement à la victime, par exemple par SMS, ou d’une injure prononcée devant une cercle restreint de personnes partageant les mêmes intérêts, que la victime soit présente ou absente (assemblée générale d’actionnaire, membres d’une association ou syndicat, salariés d’une entreprise ...). L’injure non-publique est une contravention punie d’une peine d’amende.

2. Formes d’injures.

L’injure peut être une expression outrageante, c’est-à-dire un propos de nature à porter atteinte à l’honorabilité sans revêtir la forme violente de l’invective.

Il peut s’agir d’une invective, qui se caractérise par la grossièreté ou la violence des termes utilisés.

Enfin, l’injure peut être un terme de mépris, qui a pour effet de rabaisser celui à qui il s’adresse et de porter atteinte à sa dignité.

Par exemple, constituent des termes injurieux les termes « tristes cons » et « dangereux salauds » utilisés lors d’un débat télévisé [1] ou encore le terme « buse » [2].

De même, constitue une injure publique envers un particulier la mise en ligne sur un site Internet d’un article qualifiant un avocat de « zéro absolu » et de « nullard » [3].

L’injure publique étant une infraction de publication, cette condition de publicité retentit tant sur son élément matériel que sur son élément moral.

3. Elément matériel de l’injure publique.

a) Publication.

Matériellement, l’injure publique suppose que le propos injurieux ait été publié à travers l’emploi de l’un des moyens suivants :
Des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics ;
Des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autres support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus, ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics ;
Des placards ou affiches exposés au regard du public ;
Tout moyen de communication au public par voie électronique.

Cette énumération n’est pas vraiment restrictive.

En effet, la jurisprudence a récemment retenu le critère de publicité s’agissant d’une injure proférée au sein d’un local destiné à des réunions syndicales, devenu accidentellement un lieu public dès lors que des personnes extérieures au syndicat y étaient entrées avec l’accord de ses représentants [4].

La publicité peut être donnée à un propos aussi bien directement par un individu qui s’exprime publiquement qu’indirectement, c’est-à-dire par l’intermédiaire d’un média.

Par ailleurs, la communication audiovisuelle et la communication au public en ligne relèvent désormais, depuis la loi du 21 juin 2004, de la communication au public par voie électronique.

b) Imputation.

L’infraction d’injure publique peut être reprochée à la personne qui prend l’initiative de communiquer un propos injurieux au public. Plus précisément :
En cas de publication directe, c’est-à-dire lorsque la transmission de l’injure au public est assurée par l’auteur même du message, l’infraction est imputée à l’auteur même du propos ;
En cas de publication indirecte, c’est-à-dire lorsque la transmission au public est assurée par un tiers, l’infraction est imputée à la personne qui accepte de mettre le propos d’autrui à la disposition du public. Cette décision relève en principe de l’éditeur quel que soit le support de communication utilisé.

En matière de presse écrite périodique et de communication au public par voie électronique, la fonction éditoriale est assurée par le directeur de publication, à qui la responsabilité pénale incombe donc en priorité.

Toutefois, l’auteur du propos injurieux pourra tout de même être automatiquement poursuivi comme complice sans que les conditions de droit commun relatives à la complicité n’aient à être réunies.

Par exemple, lorsqu’un propos injurieux est tenu en réponse à des questions posées par un journaliste, l’auteur de l’infraction est le directeur de la publication qui accepte de publier l’interview. Le journaliste qui a effectué l’interview et la personne qui s’est exprimée en des termes injurieux peuvent être poursuivis comme complices.

4. Elément moral de l’injure publique.

L’analyse de l’élément moral de l’infraction diffère selon la forme de la publication :
- Si la publication est directe, l’infraction suppose à la fois la conscience d’injurier autrui et la conscience de transmettre un message injurieux au public. Les magistrats doivent statuer sur les deux points ;
- Si la publication est indirecte, la preuve est simplifiée puisque la démarche du propos n’est vérifiée que pour s’assurer de son caractère injurieux. L’élément moral de l’infraction est établi par voie de présomption de sorte que le directeur de la publication ou l’éditeur assume une responsabilité de plein droit et est nécessairement responsable d’une publication injurieuse dès lors qu’il avait pour mission de vérifier les contenus diffusés par son intermédiaire et de les expurger de tout contenu infractionnel.

5. Cas particulier de l’injure sur Internet.

Les détenteurs de profils sur les réseaux sociaux tels que Facebook sont en mesure de restreindre ou non leur mur de diffusion.

Si l’injure est postée sur un mur « public », elle peut être vue, partagée et enregistrée par tout le monde. Dans ce cas, il s’agit d’une injure publique, constitutive d’un délit.

En revanche, si l’injure est publiée dans un cadre privé, auprès d’un cercle restreint de personne non visible par tout le monde, il s’agit d’une injure non-publique, constitutive d’une contravention.

6. Répression de l’injure publique.

a) Prescription de l’action publique.

En matière d’injure publique, le délai de prescription de l’action publique est de trois mois [5].

Par exception, en application de l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881, les injures aggravées sont soumises à un délai de prescription d’un an depuis l’entrée en vigueur de la loi dite « Perben II » du 9 mars 2004.

Le point de départ du délai de prescription est fixé au jour où l’infraction est commise, soit au jour de la première mise à disposition au public.

b) Initiative des poursuites.

Le ministère public ne peut agir qu’en présence d’une plainte de la victime, sauf pour les injures raciales et l’injure envers un témoin. Il n’est lié que sur les faits et dispose de l’opportunité des poursuites.

Le désistement de la victime éteint l’exercice de l’action publique.

c) Peines encourues.

- Lorsqu’elle est commise envers un particulier, l’injure publique est punie d’une amende de 12 000 euros. En outre, le tribunal peut, comme pour toutes les infractions de presse, ordonner la saisie et la suppression ou la destruction de tout ou partie des exemplaires mis en vente, distribués ou exposés au regard du public ;
- Lorsqu’elle est commise envers une institution de l’Etat ou envers un « serviteur » de l’Etat, l’injure publique est également punie d’une amende de 12 000 euros. La récidive ne s’applique pas. La peine complémentaire de saisie, suppression ou destruction des exemplaires contenant des propos injurieux mis en vente, distribués ou exposés au regard du public peut être prononcée ;

[Les institutions de l’Etat sont les cours et tribunaux, les armées de terre, de mer ou de l’air, les corps constitués ainsi que les administrations publiques.
Les serviteurs de l’Etat sont le Président de la République, les membres du ministère ou de l’une ou de l’autre Chambre, les fonctionnaires publics, les dépositaires ou agents de l’autorité publique, les ministres de l’un des cultes salariés par l’Etat, les citoyens chargés d’un service ou mandat public, temporaire ou permanent, et les jurés ou témoins à raison de leur déposition.]

- Lorsque l’injure publique présente un caractère discriminatoire, c’est-à-dire lorsqu’elle est commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou religion déterminée, la peine est aggravée puisqu’elle est fixée à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (depuis la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté). Par ailleurs, la récidive est applicable. En outre, la juridiction peut, à titre complémentaire, décider de l’affichage ou de la diffusion de sa décision dans les conditions de droit commun ;
- L’article 33 punit également d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende « l’injure commise dans les mêmes conditions envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap » ;
- Enfin, l’article 34 dispose : « Les articles 31, 32 et 33 ne seront applicables aux diffamations ou injures dirigées contre la mémoire des morts que dans les cas où les auteurs de ces diffamations ou injures auraient eu l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants ».

7. Immunités parlementaire et judiciaire.

L’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 dispose :

« Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées.

Ne donnera lieu à aucune action le compte rendu des séances publiques des assemblées visées à l’alinéa ci-dessus fait de bonne foi dans les journaux.

Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.

Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.

Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux, et, dans tous les cas, à l’action civile des tiers ».

L’immunité parlementaire ne comporte aucune interprétation extensive et ne concerne que les discours tenus dans le sein du Parlement ou les rapports ou autres documents imprimés par ordre des assemblées ainsi que les comptes rendus des séances publiques tenues par ces assemblées [6].

Avi Bitton, Avocat, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre Clémence Ferrand, Juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Crim., 16 mai 2006, n°05-82.971.

[2CA Paris, 13 décembre 1988.

[3Crim., 23 janvier 2018, n°17-82.660.

[4CA Paris, 19 décembre 2019, n°19/01374, 19/01410 et 19/01382.

[5Article 65 de la loi du 29 juillet 1881.

[6Crim., 24 novembre 1960, Bull. crim. n°551.

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