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Statut d’agent commercial : la Cour de Cassation s’aligne sur la CJUE. Par Gaël Grignon Dumoulin, Avocat.
Parution : vendredi 22 janvier 2021
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La Cour de Cassation s’aligne sur la décision de la CJUE en date du 04 juin 2020.
Certains en doutaient encore. Le doute est aujourd’hui, définitivement, levé par l’arrêt en date du 2 décembre 2020 que la Cour de Cassation vient de rendre au sujet de la notion de négociation qui conditionne l’application du statut d’agent commercial.

La Cour de Cassation a, depuis plus d’une décade, selon sa propre expression :

« retenu une acception stricte de la notion de négociation, consacrant par là même une approche restrictive de la qualification d’agent commercial ».

La « thèse » soutenue par la Cour de Cassation et exposée à l’imparfait dans son arrêt du 2 décembre 2020 (pourvoi n° 18-20.231) était la suivante :

« …La négociation supposait que l’intermédiaire dispose d’une marge de manœuvre certaine pour influer sur les éléments constitutifs de la convention avant la conclusion du contrat avec le client, de nature à en permettre la réalisation. Elle [la Cour de Cassation] en déduisait que le terme négociation ne pouvait se résumer à une simple promotion du produit, ni davantage à la seule prospection de la clientèle ou encore à un rôle d’intermédiaire passif, mais s’entendait de la possibilité offerte à l’intermédiaire de modifier les clauses contractuelles initialement envisagée par le mandant, s’agissant notamment des prix et des conditions de vente des produits ».

Et cela, toujours selon la même « thèse » :

« Afin de pouvoir distinguer l’agent commercial d’autres intermédiaires commerciaux, lesquels ne bénéficient pas du statut protecteur du premier » ...

On sait, depuis l’arrêt de la CJUE en date du 4 juin 2020, combien cette conception de la négociation est erronée - que ce soit d’un point de vue sémantique, économique ou juridique [1] - et heurte de plein front les dispositions du droit communautaire, et notamment la Directive 86/653/CEE relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants.

Nous ne reviendrons pas ici sur cet arrêt de la CJUE que nous avions obtenu de haute lutte.

Retenons seulement aujourd’hui que par l’arrêt du 2 décembre, la Cour de Cassation s’aligne sur l’interprétation de la notion de négociation livrée par la CJUE, abandonnant consécutivement et nécessairement sa jurisprudence selon laquelle, à défaut de disposer de la faculté de modifier les prix des produits ou services dont il assure la vente pour le compte du commettant, l’intermédiaire ne peut bénéficier du statut d’agent commercial.

Que dire, sinon que cela constitue un immense soulagement, une immense Victoire, pour la profession des agents commerciaux qui souffraient, avec horreur, une jurisprudence de la Cour de Cassation qui, bien que dénoncée en Doctrine, avait pour effet de les priver de leur statut et de la protection qui s’y attache.

Arrêtons-nous, un instant, sur la motivation de la position de la Cour de Cassation qui semble, avec regrets ou, du moins, une pointe d’amertume, renoncer à sa jurisprudence justifiée par la nécessité de « distinguer l’agent commercial d’autres intermédiaires commerciaux, lesquels ne bénéficient pas du statut protecteur » …

Au prix - on peut se poser légitimement la question - d’éradiquer le statut d’agent commercial en France ?

Ainsi, la position restrictive de la Cour de Cassation sur la notion de négociation s’expliquerait par sa réticence à appliquer un statut (qu’elle juge sans doute trop protecteur) à toutes sortes d’intermédiaires du commerce alliée à son appréhension de voir se développer un contentieux déjà bien fourni.

S’il on peut comprendre l’intention précautionneuse de nos plus hauts magistrats de ne pas étendre la protection du statut d’agent commercial à « d’autres intermédiaires », cette volonté ne peut, sous peine de vider le statut de toute sa substance, s’accomplir en adoptant un critère de qualification qui dénature le contrat d’agence commercial autant qu’elle méconnait la réalité des pratiques commerciales.

Sans doute perçoit-on dans le contre-sens historique opéré par la Cour de Cassation sur la condition de négociation siégeant à l’applicabilité du statut sa difficulté à appréhender la nature juridique profonde du contrat d’agent commercial. Il suffit de se remémorer les nombreuses hésitations de la jurisprudence avant que le contrat d’agence ne soit, finalement, qualifié par le législateur de mandat d’intérêt commun.

Depuis, la Cour de Cassation s’est toujours efforcée à le circonscrire au mandat.

D’où sa tendance à privilégier une lecture civiliste du contrat d’agent en mettant l’accent sur le mandat plutôt que sur l’intérêt commun qui, pourtant, constitue l’essence de ce contrat.

Or, le mandat de l’agent commercial est un mandat par détermination de la loi qui ne saurait être confondu avec le mandat réglementé par les articles 1984 et suivants du Code Civil.

Dans le contrat d’agence, le mandat n’est, en effet, qu’accessoire puisqu’il peut se limiter à une mission commerciale sans contenu juridique précis, ce qui est, indiscutablement, le cas de la négociation.

Certes, le mandat demeure le support juridique nécessaire pour que les opérations accomplies par l’agent auprès de la clientèle puissent être rattachées au mandant.

Mais c’est la finalité commune du contrat d’agence portant sur la création et le développement de la clientèle qui signe son originalité.

A l’oublier, la Cour de Cassation risque de se fourvoyer, à nouveau, dans une fausse conception du mandat déclinée au contrat d’agence.

Rien, sinon une défaite, n’est aussi mélancolique qu’une victoire.

Gaël GRIGNON DUMOULIN Avocat au Barreau de Paris