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Dynamique juridique du Service Public de Défense Extérieure contre l’Incendie (DECI). Par François de La Michellerie, Juriste.
Parution : mardi 26 janvier 2021
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Le service public de la défense extérieure contre l’incendie à pour objet principal d’assurer la ressource en eau des moyens de services d’incendie et de secours tout en intégrant l’objectif d’une approche pragmatique liée aux contingences de la réalité du terrain. En l’état actuel du droit français, l’évolution de la réglementation a permis de clarifier les rôles et responsabilités des diverses autorités publiques depuis le premier Décret-loi du 12 novembre 1938 relative aux mesures de protection contre l’incendie et à l’organisation des corps de sapeur pompiers, jusqu’au Décret n°2015-235 du 27/02/2015 relatif à la défense extérieure contre l’incendie.

C’est encore sur les fondements du décret de 2015 précitée que reposent les grands principes de la réglementation en vigueur, établissant alors les règles de responsabilité et de gouvernance locale visant à protéger ou garantir la sécurité publique contre le risque d’incendie pour assurer la sauvegarde des biens et des personnes [1].

1. Responsabilité locale du service public de Défense Extérieure Contre l’Incendie.

Depuis la loi dite « Loi Deferre » du 2 mars 1982 [2], il en résulte que l’Etat dans un mouvement de décentralisation continu a accordé aux maires un pouvoir de police spécial en la matière codifié à l’article à l’article L2225-1 du code général des collectivités locales (CGCT) stipulant que :

« La défense extérieure contre l’incendie a pour objet d’assurer, en fonction des besoins résultant des risques à prendre en compte, l’alimentation en eau des moyens des services d’incendie et de secours par l’intermédiaire de points d’eau identifiés à cette fin. Elle est placée sous l’autorité du maire conformément à l’article L2213-32 » [3].

La sécurité publique liée à la défense incendie est donc par principe un domaine de compétence confié aux maires au titre de la police administrative spéciale [4].

Néanmoins, si les communes sont en principe chargées du service public de DECI, ladite compétence peut être transférée aux établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI). Le cas échéant les maires peuvent, dans la prévision des dispositions de l’article L5211-9-2 du CGCT, transférer la police administrative spéciale au président de l’EPCI en cause pour qu’il réglemente cette activité nouvelle de défense contre l’incendie. Ce transfert de police administrative spéciale est uniquement obligatoire pour les métropoles [5].

Au demeurant pour rappel l’article L2213-32 dispose que « le Maire assure la défense extérieure contre l’incendie ». Et au terme de l’article R2225-9 du CGCT issu du décret n° 2015-235 du 27 février 2015 relatif à la défense extérieure contre l’incendie, celui-ci dispose que « les points d’eau incendie font l’objet de contrôles techniques périodiques » et que ces contrôles « sont effectués au titre de la police spéciale de la défense extérieur contre l’incendie sous l’autorité du Maire ».

La notion de point d’eau d’incendie étant définie à l’article R2225-1 du CGCT [6], les modalités d’exécution et la périodicité de ces contrôles techniques sont définies dans le règlement départemental mentionné à l’article R2225-3 définissant en outre les principes généraux relatifs à dimensionnement, à l’implantation et à l’utilisation des points d’eau destinés à la défense extérieure contre l’incendie.

Si le contrôle des PEI relèverait de la police administrative de la DECI sous l’autorité du maire, toutefois il en serait dans le cas où la police spéciale de la DECI serait transférée à la communauté de communes ou d’agglomération concernée dès lors qu’elle serait par ailleurs dotée de la compétence relative au service public de la DECI : Ainsi l’EPCI se verrait alors incidemment transférer l’obligation d’en assurer les contrôles périodiques des PEI existant sur son territoire. Par ailleurs, en application de l’article L2225-3 du CGCT lorsque l’approvisionnement des points d’eaux visés aux articles L2225-1 et L2225-2 fait appel à un réseau de transport ou de distribution d’eau, les investissements afférents demandées à la personne publique ou privé responsable de ce réseau sont pris en charge par le service public de défense extérieure contre l’incendie. En conséquence en matière d’hydrant, c’est-à-dire tous appareillages de lutte contre incendie tel que poteau d’incendie ou encore bouche d’incendie, les investissements afférent au réseau d’eau potable sont uniquement à la charge (seule) de la collectivité compétente pour le service public de défense extérieure contre l’incendie. Cela étant, puisque le Maire est toujours en charge de la police municipale au titre de l’article L2212-1 du CGCT, ceci implique notamment malgré tout « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours » notamment en application du 5° de l’article L2212-2 du CGCT.

A titre préventif en application respective du premier et cinquième alinéa de l’article L211-5 du Code de l’environnement, d’une part le Préfet et le Maire intéressés doivent être informés (dans les meilleurs délais) par toute personne (qui en a connaissance) de tout incident ou accident présentant un danger pour la sécurité civile, la qualité, la circulation ou la conservation des eaux, d’autre part les agents des services publics d’incendie et de secours ont accès aux propriétés privées pour mettre fin aux causes de danger ou d’atteinte au milieu aquatique et prévenir ou limiter les conséquences de l’incident ou de l’accident.

Et dès lors qu’elle justifie d’un intérêt public local, la puissance publique gestionnaire du service public de la DECI a la possibilité en toute légalité de mettre à la charge de son budget des dépenses pour l’exécution d’opérations ou de travaux utiles à la création ou à la conservation des ouvrages privés (tel que les retenus de bassin d’eau ou les citernes des agriculteurs) alors potentiellement nécessaires aux éventuelles opérations de secours du SDIS [7].

Il en ressort qu’en cas de sinistre lié à la défaillance du service de lutte contre l’incendie, la responsabilité administrative de l’autorité communale locale peut être engagé pour faute simple [8] après abandon du régime de la responsabilité pour faute lourde [9]. Au surplus la responsabilité de la commune pouvant être diminuée à due concurrence lorsque le dommage résulte « en tout ou partie de la faute d’un agent ou du mauvais fonctionnement d’un service ne relevant pas de la commune » [10].

2. Gouvernance locale du service public de défense Extérieure Contre l’Incendie.

Bien que matériellement ou mécaniquement lié à la défense extérieure contre l’incendie (DECI) puisque cette mission de service public est d’autant permise ou rendue possible par l’existence de réseaux d’eau potable, relevant dès lors de la compétence de principe des établissements public de coopération intercommunale (EPCI) en application articles 64 et 66 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE), le transfert effective de cette compétence à l’échelle des territoires ne modifie ni les obligations des communes membres ni les pouvoirs du maire de chacune d’elle relatifs à la défense extérieure contre l’incendie sous réserve que ladite compétence « incendie » ainsi que le pouvoir de police associé n’ ayant pas été eux-mêmes l’objet d’un transfert en application de l’article L5211-9-2 du CGCT. Et si déjà avant l’entrée en vigueur du décret n°2015-235 du 27/02/2015 le maire avait (seule) la responsabilité de mettre en place la D.E.C.I, désormais c’est sur la base du SCDECI (Schéma Communal de Défense Extérieur contre l’Incendie) que celui-ci peut s’appuyer sur les Services d’Incendie et de Secours (SDIS) pour la réalisation du contrôle de la conformité des nouveaux P.E.I.

En effet, depuis la Loi du 3 mai 1996, « les services d’incendie et de secours sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies » [11]. Suite à cette réforme le SDIS acquiert la responsabilité de la vérification de la conformité des nouveaux P.E.I, et ce dernier doit être à fortiori informé de toutes opérations réalisées sur un P.E.I (mise en service, indisponibilité ou suppression). Le SDIS établit en outre sa capacité opérationnelle sur le territoire de chaque commune après avoir effectué la reconnaissance opérationnelle (RO) dont la mission spécifique (propre à sa compétence) est codifiée à l’article R2225-10 du CGCT [12]. Enfin toujours en vue d’une coopération efficience dans la D.E.C.I, l’article L1424-3 du CGCT réaffirme que « Les services d’incendie et de secours sont placés pour emploi sous l’autorité du maire ou du préfet, agissant dans le cadre de leurs pouvoirs respectifs de police ». Cela étant si en application des prévisions de l’article L2225-3 du CGCT, les communes sont compétentes pour la création, l’aménagement et la gestion des points d’eau nécessaires à l’alimentation en eau des moyens des services d’incendie et de secours, celle-ci peuvent demander à la personne publique (et son délégataire) responsable du réseau d’eau, la réalisation des ouvrages, travaux et aménagements nécessaires à la défense extérieure contre l’incendie, tel que des opérations relatives aux poses de poteaux incendies ou de renforcement de réseau peuvent être réalisé par L’EPCI compétent en contrepartie d’une prise en charge de ces investissement par la commune.

Et pour aller plus loin, au cas d’un transfert de la compétence D.E.C.I à l’EPCI, le maire devra s’assurer auprès du service compétent que les moyens de D.E.C.I en présence sur sont territoire communale sont suffisant à la défense de tout futur projet de construction, car en application de l’article R111-2 du code l’urbanisme la responsabilité incombe à l’autorité qui a délivré l’acte d’urbanisme lors d’un sinistre.

En somme avant de conclure :
- Pour les Communautés de communes, Communautés d’agglomération et communautés urbaines, la compétence DECI n’est pas une compétence obligatoire, pas mêmes optionnelle. Cependant une commune peut transférer cette compétence (DCEI) à l’EPCI qu’il exercera alors au titre de ses compétences facultatives. La compétence DECI étant un service public à caractère administratif, alors que la compétence AEP est un service public à caractère industriel et commercial, la fourniture et la consommation d’eau destinés à l’usage du service public DECI sont donc assurés gratuitement par L’EPCI gestionnaire du service AEP (ou son concessionnaire) lorsque le service DECI demeure de la compétence de la commune [13] ;
- La charge financière de l’implantation et de l’entretien des points d’eau incendie (PEI) relevant du service public de DECI ressort donc de la compétence de principe de la commune en l’absence de transfert de la compétence à un EPCI, mais cela ne fait obstacle à ceux que des travaux d’investissement mentionnés à l’article R2225-7 du CGCT [14] puisent être prise en charge par l’EPCI en exécution d’une convention de partenariat ou des d’objectifs ou de moyens [15] ; pris sur le fondement conjugué des articles L2225-1 et L’2225-2 du CGCT. Incidemment toutes les dépenses sujettes à l’exercice de la compétence DCEI sont par nature des dépenses obligatoires de la commune conformément aux prévisions de l’article L2321-2 du CGCT en l’absence de transfert de la compétence ;
- Il n’y aurait que dans le cas où la police spéciale de la DECI serait ou eut été transférée à l’EPCI (Communauté de commune ou d’agglomération) dès lors qu’elle serait par ailleurs dotée de la compétence relative au service public de la DECI, qu’elle se verrait alors également transférer l’obligation d’en assurer les contrôles périodiques des PEI existant sur son territoire intercommunal concerné et d’en assumer la charge financière au travers du budget de son service public communautaire de la DECI ;
- En tout état de cause le Maire ne peut reporter ou rechercher la responsabilité sur le service d’eau potable si ledit service ne peut assurer une distribution compatible avec la défense incendie car la mission principal de ce dernier est la distribution de l’eau et le maintien de sa qualité pour les usagers, sauf à démontrer le cas échéant un défaut d’entretien du réseau d’alimentation d’eau potable ou d’assainissement de la personne moral compétente sinon du concessionnaire dudit service public.

En conclusion pour paraphraser François Mitterrand « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire. Elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire » [16]. Près de 40 après ces propos prophétiques sinon clairvoyants, les diverses réformes législatives engagées en matière de décentralisation (depuis le début des années 1980) ont durablement modifié la répartition des pouvoirs entre l’Etat et les collectivités locales avec une consolidation constitutionnelle [17] et ce sont désormais les autorités locales qui deviennent les ressorts particuliers de la puissance publique.

Dans un contexte de contrainte financière, l’Etat se concentrant alors sur ces missions régaliennes pendant que les exécutifs locaux administrent le ou les territoires de la République avec des compétences nouvelles, comme celle de la défense extérieure contre l’incendie en cas d’abandon de la compétence par les communes pour les EPCI. L’eau ressource naturelle doit faire l’objet d’une gestion rationnelle eu égard à ses finalités sociétales dans le cadre d’une coopération dynamique et transversal entre les diverses autorités publiques qu’elles soient uniquement gestionnaire du service AEP pour les unes ou titulaire du pouvoir de police spéciale avec la compétence DECI pour d’autres, en sus des pouvoirs de pouvoirs de police général des autorités plus classiques comme celles des Maires ou des Préfets à qui la Loi confère un pouvoir de police général, notamment pour le maintien de la sécurité publique, puisque l’eau essentielle à la vie est aussi un élément fondamental dans la lutte contre les feux d’incendie.

De plus, si la plupart des problèmes rencontrés dans la gestion de l’eau d’une manière générale trouvent leur cause dans des comportements humains, le changement climatique, avec son réchauffement préoccupant tant pour le territoire national [18] qu’au niveau de la communauté internationale [19], pourrait particulièrement les aggraver.

D’où la nécessité impérieuse d’un rôle spécifique à chaque autorité et d’une responsabilité commune accrue adaptée à la réalité de chaque territoire [20]. Le droit public français cantonné aux services publics locaux s’est donc approprié (semble-t-il) cette problématique environnementale en matière de défense extérieure contre les incendies.

François de La MICHELLERIE Juriste

[1Notons que la notion de sûreté est au premier rang des droits de l’homme au titre de son article premier précisant ainsi que « la sûreté fait partie des droits inaliénables et imprescriptibles de l’homme ».

[2Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, Journal officiel du 3 mars 1982, p. 730.

[3C’est l’article 77 de La loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, qui intègre aux CGCT les articles L2213-32, L2225-1 à 4 et L5211-9-2, instituant la police administrative spéciale et le service public de DECI.

[4Un pouvoir de police spéciale porte (ainsi) sur des objets précis pendant que leurs règles d’organisation et leur fonctionnement sont donnés par des textes particuliers.

[5Articles L5217-1-5° & L5217-2 du CGCT.

[6Article R2225-1 du CGCT : Les points d’eau incendie sont constitués d’ouvrages publics ou privés utilisables en permanence par les services d’incendie et de secours. Outre les bouches et poteaux d’incendie normalisés, peuvent être retenus à ce titre des points d’eau naturels ou artificiels et d’autres prises d’eau.

[7Voir en ce sens CE, 21 juin 1993, n° 118491.

[8CE, 29 avril 1998, Commune de Hannappes, n° 164 012.

[9CE, 02 décembre 1960, Strohmair et compagnie le Phénix.

[10CE, 26 nov. 2012, n° 344778, Thillard c/Commune de Domaize et service départemental d’incendie et de secours du Puy-de-Dôme : Juris Data n° 2012-027495 ; JCP A 2012, act. 858.

[11Loi n° 396 du 3 mai 1996 relative aux services d’incendie et de secours, Journal officiel n°105, 4 mai 199, p.6728.

[12Article R2225-10 du CGCT : Des reconnaissances opérationnelles des points d’eau incendie destinées à vérifier leur disponibilité opérationnelle sont réalisées par le service départemental d’incendie et de secours, après information préalable du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre lorsqu’il est compétent. Les modalités d’exécution et la périodicité de ces reconnaissances opérationnelles sont définies dans le règlement départemental mentionné à l’article R2225-3.

[13L’article L2224-12-1 du code général des collectivités territoriales pose (ainsi) le principe de la facturation de toute fourniture d’eau au tarif applicable à la catégorie d’usagers correspondante, quel qu’en soit le bénéficiaire, hormis les services de lutte contre les incendies.

[14Article R2225-7 du CGCT : I- Relèvent du service public de défense extérieure contre l’incendie dont sont chargées les communes en application de l’article L2225-2, ou les établissements publics de coopération intercommunale lorsqu’ils sont compétents : 1°/Les travaux nécessaires à la création et à l’aménagement des points d’eau incendie identifiés ; 2° /L’accessibilité, la numérotation et la signalisation de ces points d’eau ; 3° /En amont de ceux-ci, la réalisation d’ouvrages, aménagements et travaux nécessaires pour garantir la pérennité et le volume de leur approvisionnement.

[15Voir en ce sens le Rapport d’Activité du Conseil d’Etat 2008 : Le contrat, mode d’action publique et de production de normes, Troisième partie, Utiliser le contrat à bon escient, page 167.

[16« Le pouvoir territorial en France », Thomas Frinault, Presse universitaires de Rennes, 2012.

[17L’organisation de la République décentralisée est inscrite au premier alinéa de à de l’article 1 de la Constitution de 1958 par la loi constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 portant modernisation des institutions de la Ve République.

[18Voir le « Rapport de la mission interministérielle Changement climatique et extension des zones sensibles aux feux de forêt », Juillet 2020.

[19En effet, le samedi 12 décembre 2020 à l’occasion de l’ouverture du sommet destiné à relancer les efforts de lutte contre le réchauffement climatique, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies (ONU) a appelé le monde à déclarer « l’état d’urgence climatique ».

[20Voir en ce sens pour une approche complète le guide « Construire la performance des services publics locaux/Livre blanc » dont la publication a été réalisé à l’initiative par l’AdCF, Espelia et l’Unspic.