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Créer un délit d’homicide routier : une réelle avancée pour les victimes de la route ? Par Vincent Julé-Parade, Avocat.
Parution : mercredi 27 janvier 2021
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Chaque jour, je vois défiler devant mon bureau des familles endeuillées à la suite d’accidents de la circulation et bien souvent révoltées par le comportement du responsable, marqué par une accumulation d’imprudences élémentaires au Code de la route.
La qualification d’homicide involontaire n’est pas comprise par les victimes. Je m’en rends parfaitement compte au cours de la préparation des procès. Cette colère, je l’ai bien connue il y a 25 ans lorsque ma mère perdait la vie par la faute d’un chauffard alcoolisé et irresponsable.

Naturellement, pour le juriste que je suis, un accident de la circulation, ne peut pas être considéré comme un meurtre, fut-il causé par un comportement volontairement irresponsable. En droit pénal, le meurtre c’est avant tout la volonté de porter atteinte à la vie d’autrui. Le meurtrier sera celui qui mettra tout en œuvre pour tuer avec la ferme intention d’y arriver. Il s’agit de la fameuse intention homicide.

Or, en matière d’accidents de la circulation, la volonté repose non pas sur la recherche du résultat, mais bel et bien sur la prise de risque. Le chauffard va donc tuer davantage par irresponsabilité et inconscience, sans pour autant avoir une volonté réelle et sérieuse de porter atteinte à la vie d’autrui. Il n’y a certes aucune préméditation, mais il y a bien souvent une réelle prédisposition.

Pour les victimes, frappées de plein fouet par la douleur et très souvent animées par la passion, cela est inaudible. Il ne s’agit pas de vengeance mais simplement de la volonté de voir reconnu la gravité du comportement.

Pour les victimes et leurs proches, qualifier un accident d’homicide involontaire revient quelque part à nier la prise de risque, quant à elle parfaitement volontaire, à laquelle s’est livré le chauffard.

Comme je l’ai plaidé récemment à Béthune, certains accidents se trouvent aux confins de l’infraction involontaire et de l’infraction volontaire. Il s’agissait, d’une de mes clientes tuée par un chauffard, accumulant près de 30 condamnations à son casier judiciaire, ayant causé l’accident sous l’emprise de l’alcool, des stupéfiants, sans permis de conduire et sans assurance.

Certaines familles de victimes et certaines associations ont réfléchi à la création d’un délit qualifié d’homicide routier. Il est légitime de s’interroger sur les bénéfices à en attendre.

La rigueur du droit pénal ne permettrait pas d’accentuer en tant que tel le quantum de la peine encourue à plus de 10 ans d’emprisonnement (peine déjà envisagée par le Code pénal en cas d’homicide involontaire causé par un conducteur avec deux ou plus circonstances aggravantes).

Il s’agirait donc de qualifier d’homicide routier un accident de la circulation trouvant son origine dans des prises de risque parfaitement connues, voire recherchées (conduite en état d’alcoolémie, après consommation de stupéfiants, grand excès de vitesse).

Je ne trouve réellement à cette proposition qu’une vertu symbolique. Je ne crois pas que la qualification d’un accident en homicide routier aurait une quelconque influence sur la sévérité des magistrats, ou plutôt sur le laxisme ambiant. Je ne crois pas davantage que le terme d’homicide routier serait de nature à dissuader ceux qui prennent des risques sur la route et en font courir à d’autres.

Sans doute, cela apaiserait les victimes et leurs proches lors des audiences pénales et des procédures d’instruction. Mais encore faudrait-il remettre en cause réellement le fonctionnement de la justice pénale, les droits de la partie civile, l’accès à la procédure d’enquête, etc.

La création d’un délit dit d’homicide routier ne s’appliquerait pas en cas d’accident dont les conséquences se limiteraient à des blessures corporelles même si elles sont très importantes. En effet, à défaut du décès de la victime, le délit d’homicide routier ne serait pas envisageable. Pourtant, je vois chaque jour des dossiers dans lesquels seul le hasard aura permis au chauffard d’éviter d’avoir causé la mort de sa victime en la laissant handicapée à vie. A mes yeux, le comportement est tout aussi grave et seul l’aléa des conséquences pour la victime diffère.

Ainsi quelque part, la victime qui survivrait à un accident causé par les mêmes circonstances ne trouverait pas le réconfort symbolique sur lequel pourrait compter la famille endeuillée. A vouloir obtenir une plus juste reconnaissance de la gravité des faits, on risquerait peut-être d’instaurer une profonde injustice entre les victimes de la route, selon qu’elles soient décédées ou blessées.

Sans doute, la réflexion doit se poursuivre avant d’envisager de créer réellement un délit spécifique visant les accidents de la circulation causés par une accumulation de prises de risque successives et volontaires.

Je pense surtout qu’au-delà de la création d’un nouveau délit, les victimes recherchent de la part de la justice une prise en considération réelle de leur situation, de leur souffrance, par l’octroi de moyens, mais aussi par des décisions répondant pleinement à la gravité des comportements à l’origine des accidents dont elles ont été victimes.

Les textes actuellement en vigueur ne permettent-ils pas aux magistrats de prononcer des peines à la hauteur de la gravité des faits ?

Vincent Julé-Parade Avocat au Barreau de Paris Cabinet JSL & Associés https://www.vjp-avocat.com/fr/