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Recrutement juridique : une nécessaire évolution des acteurs et des pratiques… mais aussi des candidats.
Parution : jeudi 4 février 2021
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2010-2020 : en dix ans tout a changé ! Le monde est devenu franchement plus numérique, les concurrences diverses se sont accrues, la technologie est partout, l’information plus accessible... Pour finir sur une pandémie et une situation incroyable.
Alors, tout a changé pour le recrutement en dix ans, et tout change encore en 2021 ? Éclairage avec un recruteur averti.

En matière de recrutement comme ailleurs, nous répond Ian De Bondt [1], “ceux qui sont entrés en 2020 et dans la crise avec des méthodes dépassées, sont très impactés.
2020 est un révélateur, la sélection est et sera sévère, mais sans disruption nouvelle pour le recrutement. Le monde d’après ne sera pas révolutionné, on ne va pas passer à 100% d’intelligence artificielle : celle-ci ne fait pas de conseil, de feedback sur les recrutements, n’anime pas un réseau…”

Ian de Bondt a répondu à nos questions.

Alors, quelle est la vraie nature du changement ? “La valeur du recruteur professionnel reste la même. Là où la technologie et l’innovation interviennent, c’est sur la pré-identification des profils, où il n’y a pas de valeur dans les processus” (NDLR : au sens pas de grande différence entre les recruteurs).

Et pour les organisations du travail ? “Je n’envisage pas qu’il y a aura d’importantes différences de mode de travail dans un avenir “post-covid” ; les gens ont vraiment besoin de se voir, et il n’est pas très crédible de penser couper durablement les relations réelles, par exemple dans le recrutement.

Sur le fond du travail du juriste, tout dépend d’où l’on part. Pour certains un jour de télétravail par semaine est une révolution, pour ceux qui sont agiles et “numériques”, ça ne sera pas une évolution extrême. De toute façon le travail à distance massif n’est pas une demande des recruteurs.

"Il n’y a pas de demande de juriste "100% distant ou télétravail", sûrement pas en cabinets d’avocats, et peu également dans les entreprises.”

Le gros du marché de recrutement n’est pas encore tourné vers l’innovation, les recruteurs du Droit sortent encore peu des sentiers battus sur les expertises qu’ils demandent (alors que dans d’autres secteurs comme la Tech il y a davantage d’ouverture sur les profils).
Il n’y a pas de demande de juriste "100% distant ou télétravail", sûrement pas en cabinets d’avocats, et peu également dans les entreprises.”

En 2021, le candidat juriste ou avocat doit-il adopter de nouvelles attitudes en recherche d’emploi, de nouveaux outils ?

"Par rapport à il y a dix ans, il est plus simple d’être candidat aujourd’hui, où l’on peut s’informer, candidater plus facilement en ligne, on a des réseaux de type profils Linkedin… Il y a beaucoup plus d’outils, et les candidats sont plus souvent contactés qu’avant.

Le sujet désormais n’est pas ou moins qu’avant la visibilité du candidat, mais la qualité à donner à sa visibilité : l’identité numérique est à soigner, il faut avoir conscience que le CV matérialisé en un document que les candidats choisissent de délivrer n’est pas le même que le profil général qui est visible sur le web. Il faut travailler les deux en parallèle. Il est important de se montrer à bon escient, ça fait partie du second CV, celui qui correspond au profil internet.
C’est évidemment fondamental d’avoir un profil Linkedin bien rédigé, précis, qualitatif.

Le sujet pour le candidat n’est pas sa visibilité, mais la qualité à donner à cette visibilité.

Le CV traditionnel est encore demandé et utile, ne serait-ce que pour partager l’info (avec le client, entre recruteurs...), c’est important pour les échanges, mais la recherche se fait de plus en plus sur le "second CV".

Réseauter entre professionnels d’une même communauté a aussi du sens, pour se comparer, échanger, se passer des contacts, être visible pour l’extérieur qui identifie des réseaux spécialisés."

Dans notre situation 2021, quelle est la plus-value d’un cabinet de recrutement ou de chasse de tête ? Quels sont les atouts de votre profession face au fait de recruter seul ?

“C’est la question de la valeur ajoutée. Celle-ci n’est peut-être pas là où on l’attend, où on l’attendait il y a quelques années.
“Avant”, c’était dans l’identification et l’approche du candidat. Mais cela a évolué !

Deux piliers de notre profession créent notre plus-value selon moi :
D’abord la capacité à animer un réseau de candidats vaste et qualitatif, pour créer de la confiance autour de soi. Nous devons être capables de créer une communauté qui apportera ensuite de la valeur au client, le recruteur final, au moment opportun...
La connaissance des candidats et ce réseau qu’ils constituent sont une part du “marché” du consultant en recrutement... Parfois on échange avec des candidats des années avant de leur trouver un poste.
Et pour animer ce réseau et rester “connectés”, de notre côté nous créons du contenu éditorial (site internet, newsletter, webinaire, rencontres...). Nous sommes en prise constante avec les candidats, qu’ils soient en processus de recrutement ou pas.
Tout cela dans le but d’acquérir et conforter la capacité de convaincre les candidats au moment-clé, c’est-à-dire leur inspirer confiance pour la présentation d’une offre qui leur est vraiment destinée.
A grande échelle, c’est un travail énorme d’animer notre réseau. Il est donc devenu difficile d’être un "chasseur isolé", et c’est un changement dans notre métier.

L’autre pilier, c’est le conseil. L’accès à l’information et aux contacts est simple pour tout le monde désormais sur le web, l’accès aux candidats n’est plus la valeur que nous apportons.
La valeur est dans le conseil sur le poste et les profils, dans le fait de pouvoir proposer une vision du marché au client, lequel n’a pas toutes les informations ni le recul nécessaire. Par exemple sur l’attractivité de la marque employeur, les niveaux de rémunération, la définition de fiche de poste cohérente et assez précise pour bien faire matcher candidats et recruteurs, et même dans le fait de pouvoir contredire le client s’il fait fausse route...

Par rapport à un recruteur interne, il y a aussi une autre plus-value : en interne on n’a pas le feedback du marché, la liberté de parole et connaissance du marché et des dernières évolutions. Il y a une nette différence entre connaître son métier et connaître le marché du recrutement !
La statistique qui n’existe pas mais dont on est sûr : en passant par un recruteur externe qui a un réseau de candidats assez large, on se donne la chance d’avoir un benchmark plus important et plus complet.
Attention, recruter ce n’est pas seulement choisir dans le panel de CV que l’on a à disposition, en candidatures spontanées par exemple : parfois le bon candidat peut être ailleurs que dans les retours directs…”

Diriez-vous que désormais les cabinets de recrutement exercent un métier d’artisan, ou plutôt qu’ils sont amenés, voire forcés si on vous a bien lu, à “industrialiser” leur activité ?

“Ce n’est pas une distinction aussi binaire pour nous.
Artisan en recrutement, c’est être isolé, une posture qui ne suffit plus aujourd’hui pour avoir une "surface" large sur les plus-values et feedbacks dont on a parlé ; on est isolé parmi les recruteurs et parmi les candidats.
Nous sommes 14 personnes, 14 consultants qui ont chacun leur communauté de clients et de candidats, il y a donc une vraie relation personnalisée de chacun, sans être non plus des industriels.
La chasse de tête c’est d’abord une méthode d’approche, de toute façon la personne qui appelle un candidat doit être aussi celle qui est en relation avec le client recruteur.
L’intuitu personae est au cœur de notre méthode, il y a donc toujours une part d’artisanat au sens de “proximité”.

Simplement au service de cette relation il y a une force de frappe collective sur la connaissance du marché et les outils digitaux, une organisation, qui font que le modèle du cabinet de recrutement a changé. Nous avons aussi l’aptitude de nous regrouper pour mutualiser les compétences et échanger les contacts de chacun, car il n’y a pas de silo côté candidats.

Si on prend l’exemple d’Hermès, on ne peut pas dire qu’ils se sont dévalorisés par leur croissance. On peut passer de l’artisanat d’exception à une plus grande échelle de diffusion.
C’est la même chose pour la cabinet Bredin Prat parmi les cabinets d’avocats.
Nous partageons le même objectif, construire une marque sur le long terme, et des relations avec les clients sur le même horizon.”

RSE, diversité, éthique : ce sont des sujets qui ont pris de l’ampleur dans le recrutement, ou pas vraiment ?

"Pour nous cabinet de recrutement, c’est utile pour nos appels d’offres auprès de grands groupes, c’est important.
Pour ce qui est de la demande de nos clients, il y a en effet un sujet sur la parité, avant tout sur le Top Management en cabinets d’avocats, qui eux-mêmes répondent à des appels d’offres, ou en directions juridiques parfois quand le DJ est au Comex.

Côté candidat, oui ça arrive, notamment pour les recrutements en entreprises, mais le sujet des candidats est avant tout l’état d’esprit de l’entreprise (mode de management par exemple, bien être au travail...)

Une entreprise qui adopterait ce langage aurait une vraie spécificité, mais les entreprises n’en parlent pas encore assez."

En 10 ans 12% des candidats que vous avez rencontré ont été placés chez vos clients d’après vos statistiques publiques. Est-ce un bon chiffre ?

"Je ne sais pas s’il y a un bon ou mauvais chiffre, mais on a besoin d’anticiper pour les recrutements futurs, d’animer notre communauté pour construire les recrutements à venir.
Il faut savoir qu’un recrutement en cabinet, c’est un parcours, on ne vend pas du temps passé, on vend de l’expertise et du conseil, car on travaille au résultat.
Il nous faut donc être à même de pouvoir répondre à toutes demandes à venir, d’anticiper.

Nous en discutons souvent avec les candidats et recruteurs, nous n’avons pas de délai type pour recruter : les cabinets de recrutement n’ont qu’une partie de l’histoire entre leurs mains, il faut parfois peu de temps, parfois beaucoup, mais toujours nous préparons les recrutements de demain.
On sait trouver les candidats, reste à attendre le moment où le poste adapté sera ouvert.
Le conseil du cabinet est donc aussi en direction des candidats.

Nos missions nous poussent à aller vite au moment où l’on cherche un profil particulier, il faut donc avoir une base large de connaissances de candidats potentiels. Le recrutement rapide c’est la partie émergée du recrutement, la fin, pas la totalité du processus."

Comment dénichez-vous le plus de candidats, sur des bases de CV, des annonces, des réseaux sociaux, en spontané... ?

"Il est difficile de répondre, car on source partout ; 50% des candidats sont identifiés pas la chasse, 20% par les annonces et candidatures spontanées ; le reste est de la recommandation ou du réseautage. Cette dernière partie est importante, car c’est la force d’un cabinet de recrutement qui fonctionne, qui a une bonne image, que d’avoir des candidats qui sont sur le marché par son intermédiaire.
La partie chasse de tête a pris plus d’importance récemment ; les candidats se rendent visibles et postulent moins souvent ; ils savent que l’on peut les appeler."

C’est l’heure des vœux : qu’est-ce qui pourrait selon vous améliorer la mise en relation Candidats -Recruteurs à l’avenir ?

"Pour ceux que l’on place, la relation est bonne, rien à signaler vraiment.
Le sujet ce sont les autres candidats, ceux que l’on n’a pas encore placés. On crée parfois de la frustration chez eux évidemment.
J’aimerais qu’on ne laisse pas penser qu’on les délaisse, et notre sujet c’est de faire comprendre qu’on n’est pas un filtre par goût, mais par métier. J’aimerais donc que les candidats comprennent mieux notre métier : parfois ça n’aboutit pas, mais ça peut aboutir demain. Peut-être que les outils de demain nous permettront d’améliorer l’expérience candidat quand il postule, pour l’accompagner mieux... On crée de la frustration, et j’aimerais la réduire en étant mieux compris."

Rédaction du village

[1Ian De Bondt est Directeur Associé du cabinet Fed Legal, avec 14 consultants.