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Sommes-nous tous égaux devant la justice pénale ? Par Rabii Chekkouri, Avocat.
Parution : jeudi 28 janvier 2021
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Tous les textes du bloc de constitutionnalité s’accordent sur le fait que tous les citoyens sont égaux en droits.
Ainsi, aucune distinction non fondée ne peut avoir lieu et ce, particulièrement, devant la Loi et la Justice.
Cependant, certaines particularités d’ordres pratique et social risquent de compromettre ce principe d’égalité.

La justice pénale en France a connu, depuis la Révolution, de multiples et profonds changements tant sur le fond que sur la forme.
Le législateur a toujours essayé de concilier l’arsenal répressif avec l’évolution de la société, qui s’avère extrêmement rapide.
En dépit de ces efforts, sommes nous tous égaux devant la justice pénale ?

Quid de l’opportunité des poursuites du Parquet ?

Le Ministère Public veille sur l’application des lois pour préserver les intérêts de la société et l’ordre public.
Pour ce faire, il détient ce que l’on appelle l’opportunité des poursuites.
Chaque représentant du parquet a un pouvoir d’appréciation quant à la mise en mouvement de l’action publique ou encore un classement sans suite motivé.
Il détient en outre un large choix procédural, notamment les procédures dites sommaires comme le rappel à la loi, la CRPC, la composition pénale et la médiation pénale.

En conséquence, ces prérogatives sont importantes dans la mesure où elles orientent le destin d’une femme ou d’un homme : la machine judiciaire se déclenchera-t-elle ou non à son encontre ?
Ainsi, des faits similaires, a priori, peuvent être traités de manière différente en fonction de la personne qui prend la décision ; une décision qui détermine le sort de toute une vie.

Quid de la correctionnalisation judiciaire ?

La technique de la correctionnalisation consiste à « négliger délibérément » un élément constitutif ou une circonstance aggravante d’une infraction initialement qualifiée de crime.

En pratique, l’action publique est, dans un premier temps, déclenchée pour un crime, dont l’instruction est obligatoire.
Avant la clôture de l’instruction, le parquet adresse un réquisitoire définitif au juge d’instruction, lui sollicitant un non-lieu partiel et une requalification du crime en délit.
Le procureur demande, ainsi, un renvoi devant le tribunal correctionnel au lieu d’une mise en accusation devant la Cour d’assises (et ce généralement pour des raisons de moyens financiers de la justice).

Cette pratique est vivement critiquée dans la mesure où elle dénature les qualifications légalement prévues et rompt le principe d’égalité entre les personnes mises en cause pour des faits similaires.

Les exemples les plus fréquents en pratique concernent le viol et les braquages : S’agissant du viol, le parquet précise dans son réquisitoire définitif que l’élément de pénétration sexuelle n’est pas caractérisé. En conséquence, il demande un non-lieu partiel quant à la qualification criminelle du viol et demande une requalification en délit d’agression sexuelle.

En ce qui concerne les braquages, que ce soit un vol en bande organisée ou une extorsion à main armée, il est question de nier le caractère criminel en supprimant la circonstance aggravante tenant à la constitution d’une bande organisée ou à l’utilisation d’une arme. Ces faits sont généralement requalifiés en vol en réunion ou plus étonnant encore en association de malfaiteurs (qui est une infraction formelle !)

Force est de constater que cette pratique, qui diffère d’une juridiction à l’autre, porte atteinte au principe d’égalité devant la Justice.

N.B : La partie civile peut toujours exprimer son refus en interjettant appel devant la chambre de l’instruction. Mais cela reste juste une voie de recours dont le résultat n’est pas garanti !

Quid de la médiatisation ?

La médiatisation risque d’impacter considérablement le cours d’un procès, que ce soit pour des célébrités ou pour des personnes lambdas dont les affaires ont eu un écho médiatique important.

Ainsi, les mis en cause peuvent se retrouver dans une situation d’inégalité devant la justice en raison de l’éventuelle « influence indirecte », particulièrement des jurés citoyens qui n’ont pas assez de recul et de hauteur de vue par rapport aux juges professionnels.

En effet, à l’ère des réseaux sociaux où tout individu peut exprimer publiquement son point de vue, le risque d’influencer la justice est devenu de plus en plus élevé.

Ainsi, il est manifestement incontestable que la présomption d’innocence n’est autre qu’un abus de langage, notamment en raison des violations constantes du secret de l’enquête et de l’instruction.

Étonnamment, certains médias se contentent d’utiliser le « conditionnel présent » pour exprimer leur incertitude quant aux faits évoqués !
Mais cela s’avère très insuffisant et n’empêche aucunement l’atteinte à la présomption d’innocence...

Rabii Chekkouri Avocat au Barreau de Rabat www.rabiichekkouri.com