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CSE et vote électronique : solutions inédites de la Cour de cassation. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : jeudi 28 janvier 2021
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Dans un arrêt du 13 janvier 2021 (n°19-23.533), la chambre sociale de la Cour de cassation répond clairement à trois questions relatives à la contestation du recours, par l’employeur, au vote électronique à l’occasion de l’élection du CSE.

Préambule : rappel des règles applicables

Le Code du travail prévoit la possibilité de recourir au vote électronique pour l’élection des membres de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE),

« si un accord collectif d’entreprise ou de groupe, ou, à défaut, l’employeur le décide » [1].

En particulier, comme le dispose l’article R2314-5, al. 2 :

«  sans préjudice des dispositions relatives au protocole d’accord préélectoral prévues aux articles L2314-5 et suivants, la possibilité de recourir à un vote électronique est ouverte par un accord d’entreprise ou par un accord de groupe. A défaut d’accord, l’employeur peut décider de ce recours qui vaut aussi, le cas échéant, pour les élections partielles se déroulant en cours de mandat ».

Cette disposition soulève plusieurs questions distinctes :

- Comment interpréter la formule « à défaut d’accord » permettant à l’employeur de décider du recours au vote électronique ?
- En l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, l’employeur doit-il engager une négociation dérogatoire ?
- La contestation de la décision de recourir au vote électronique relève-t-elle du contentieux des accords collectifs ou du contentieux du processus électoral ?

L’arrêt du 13 janvier 2021, largement publié (FS-P+R+I) répond clairement à ces questions.

1/ Comment interpréter la formule « à défaut d’accord » permettant à l’employeur de décider du recours au vote électronique ?

Plusieurs dispositions du Code du travail prévoient la mise en place de dispositifs collectifs au sein de l’entreprise au moyen d’un accord d’entreprise, « ou, à défaut d’accord », par l’employeur, c’est-à-dire unilatéralement.

En l’occurrence se posait la question de savoir si l’employeur devait obligatoirement avoir tenté de négocier un accord d’entreprise avant de recourir au vote électronique.

Pour la Cour de cassation :

« Il ressort de ces dispositions que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut prévoir par décision unilatérale la possibilité et les modalités d’un vote électronique ».

Ainsi, la Cour de cassation se prononce en faveur du caractère subsidiaire, et non simplement alternatif, de la décision de l’employeur de recourir au vote électronique pour l’élection du CSE.

L’employeur doit donc pouvoir justifier de l’échec des négociations avant de décider, seul, de mettre en place le vote électronique.

La Cour de cassation [2] avait statué dans des termes similaires, en particulier au sujet de la détermination du périmètre des établissements distincts, autorisant l’employeur à déterminer ce périmètre en l’absence d’accord [3] :

« Ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts ».

2/ En l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, l’employeur doit-il engager une négociation dérogatoire ?

En l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise, les membres titulaires du CSE peuvent conclure des accords collectifs s’ils sont expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l’entreprise ou, à défaut, par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives [4].

La validité des accords conclus en application de cet article est subordonnée à leur approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.

Par ailleurs, les représentants du personnel qui n’ont pas été expressément mandatés peuvent conclure des accords collectifs, à condition que ceux-ci soient signés par des membres du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés des dernières élections professionnelles [5].

Il importe donc de savoir si l’employeur a l’obligation « d’épuiser » ces possibilités de négociation avant d’envisager le recours unilatéral au vote électronique.

La Cour de cassation y apporte une réponse négative, formulée dans ces termes :

« Dès lors que le législateur a expressément prévu qu’à défaut d’accord collectif, le recours au vote électronique pouvait résulter d’une décision unilatérale de l’employeur, cette décision unilatérale peut, en l’absence de délégués syndicaux dans l’entreprise ou dans le groupe, être prise par l’employeur sans qu’il soit tenu de tenter préalablement une négociation selon les modalités dérogatoires prévues aux articles L2232-23 à L2232-26 du code du travail ».

La réponse de la Cour de cassation est très claire : les dispositions sur la négociation dérogatoire sont des dispositions subsidiaires.

3/ La contestation de la décision de recourir au vote électronique relève-t-elle du contentieux des accords collectifs ou du contentieux du processus électoral ?

Il résulte de l’article L2314-32 du Code du travail que les contestations relatives à l’électorat, à la composition des listes de candidats, à la régularité des opérations électorales et à la désignation des représentants syndicaux sont de la compétence du juge judiciaire.

L’article R2314-23 prévoit que le tribunal judiciaire (anciennement : le tribunal d’instance) statue en dernier ressort sur ces contestations. Seul un pourvoi en cassation est donc ouvert aux parties.

A l’inverse, le contentieux des accords collectifs relève du droit commun, c’est-à-dire du tribunal judiciaire statuant en premier ressort (anciennement : tribunal de grande instance). Un appel doit donc être formé à l’encontre du jugement contesté.

Dans l’arrêt du 13 janvier 2021, la Cour de cassation décide que le contentieux portant sur l’accord collectif ou la décision unilatérale de l’employeur décidant du recours au vote électronique, relève du tribunal judiciaire statuant en dernier ressort.

La solution était loin d’être évidente car la Cour de cassation avait jugé que l’accord collectif décidant du principe du recours au vote électronique était un accord de droit commun, distinct du protocole préélectoral, et soumis aux conditions de validité de droit commun [6].

Xavier Berjot Avocat Associé SANCY Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1C. trav. art. L2314-26 et R2314-5.

[2Cass. Soc. 17-04-2019, n°18-22.948.

[3C. trav. art. L2313-4.

[4C. trav. art. L2232-24.

[5C. trav. art. L2232-25.

[6Cass. soc. 28-09-2011, n°10-27.370.