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Rupture conventionnelle : nullité si l’employeur a dissimulé au salarié l’existence d’un PSE. Par Frédéric Chhum, Avocat et Claire Chardes, Elève-Avocat.
Parution : lundi 1er février 2021
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Par un arrêt du 6 janvier 2021 (Cass., Soc., 06 janvier 2021, n° 19-18.549), la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond consistant en l’annulation d’une convention de rupture pour dol au motif qu’un plan de sauvegarde de l’emploi établi postérieurement visait à supprimer le poste dudit salarié.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirme que l’employeur a « dissimulé au salarié l’existence, à la date de conclusion de la rupture, d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cours de préparation prévoyant la suppression de son poste ».
Cette dissimulation avait alors été « déterminante du consentement » pour le salarié et par voie de conséquence, la Cour de cassation annule la rupture conventionnelle.

1) Le contexte.

Aux fins de contrer la décision des juges du fond ayant reconnu l’existence d’un dol, l’employeur se prévalait de l’absence de la caractérisation d’un élément intentionnel.

Par ailleurs, l’employeur invoquait à son bénéfice la chronologie des évènements survenus depuis la conclusion de la rupture jusqu’à la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

En effet, l’employeur rapportait que le plan d’action pour redresser la société avait été annoncé le 10 décembre, et la présentation d’un plan de sauvegarde de l’emploi n’avait été effectuée qu’au mois de de février 2016.

Or, la rupture conventionnelle a été conclue avec le salarié le 18 décembre 2015 soit 8 jours après l’annonce du plan de redressement de la société, mais plusieurs semaines avant l’engagement de la négociation du plan de sauvegarde de l’emploi en question.

Ainsi, le plan de sauvegarde de l’emploi emportant suppression du poste du salarié n’était pas encore arrêté ni conclu au moment de la conclusion de la convention de rupture.

Non sans contradiction, l’employeur entendait obtenir gain de cause en avançant que le salarié avait été informé, au cours de l’année 2015, de la dégradation de la situation économique de l’entreprise, et du fait que des mesures de restructuration allait être mise en place. Néanmoins, il avait « préféré » en terminer par une rupture conventionnelle, après avoir confirmé une telle volonté en novembre 2015.

De cette façon, l’employeur ne voyait pas pour quelle raison le caractère déterminant de l’information de l’imminence d’un PSE n’était pas simplement écarté.

Suivant un tel argument, l’employeur pouvait donc ignorer la suppression imminente du poste de son salarié, alors que ce dernier était censé se douter d’une telle issue, puisqu’au courant des difficultés de l’entreprise.

Les juges du fond ne l’ont pas entendu de cette oreille et ont estimé que l’employeur avait dissimulé une information déterminante du consentement du salarié.

2) La reconnaissance du dol.

D’après la Cour d’appel d’Agen, l’employeur avait connaissance qu’un plan de sauvegarde de l’emploi était en préparation.

De fait, il ne pouvait ignorer que le salarié bénéficierait, à l’occasion d’un départ dans le cadre du Plan de Sauvegarde de l’emploi, de conditions de rupture bien plus favorables que celles impliquées par la conclusion d’une rupture conventionnelle.

Il est donc fait application des articles 1130 et 1137 nouveaux du Code civil afin de reconnaître l’existence d’un dol.

Aux termes de ce second article, « constitue […] un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie » (1137, Code civil).

En définitive, il faudrait en conclure que si le salarié avait été informé qu’un plan de sauvegarde de l’emploi lui réservant un départ financièrement plus avantageux allait être conclu, alors il n’aurait pas consenti à une rupture conventionnelle.

3) L’annulation de la rupture conventionnelle si l’employeur a « dissimulé au salarié l’existence, à la date de conclusion de la rupture, d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cours de préparation prévoyant la suppression de son poste ».

En se rapportant à l’« appréciation souveraine des juges du fond », les juges de la Haute Cour confirment l’annulation de la convention de rupture.

En effet, l’employeur a « dissimulé au salarié l’existence, à la date de conclusion de la rupture, d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cours de préparation prévoyant la suppression de son poste ». Cette dissimulation avait alors été « déterminante du consentement » du salarié.

Et pour cause, cet arrêt vient s’inscrire dans le prolongement des dispositions du Code du travail qui viennent expressément rappeler que la rupture conventionnelle ne peut intervenir dans le cadre d’une rupture de contrat résultant d’un plan de sauvegarde de l’emploi (L1237-16, Code du travail).

Au lendemain de l’avènement de la rupture conventionnelle dans le paysage du droit du travail français, le Ministère du travail, de l’emploi, et de la santé avait été amené à rappeler cette règle. En effet, dans l’une de sa réponse, l’exécutif de l’époque avait mentionné qu’

« elle ne peut être utilisée comme un moyen de contourner les règles du licenciement économique collectif et donc de priver, de ce fait, les salariés des garanties attachées […] aux plans de sauvegarde de l’emploi » (Ministère du travail, de l’emploi et de la santé, Question N° : 106030, en date du 31/05/2011).

Ainsi, dès lors que l’entreprise rencontre des difficultés économiques, elle doit impérativement informer son salarié aspirant à une rupture conventionnelle des conditions dans lesquelles il pourrait quitter l’entreprise dans le cadre d’une procédure de licenciement économique.

Réciproquement, le salarié peut, afin de s’éviter les frais d’une procédure, réclamer à son employeur les éléments lui permettant de prendre une décision parfaitement éclairée, dès lors qu’il aura eu vent de la mise en place prochaine de mesures à caractère économique (PSE, licenciement, etc.).

Ce qui vaut pour le licenciement économique vaut également pour d’autres types de licenciement. En effet, la conclusion d’une rupture conventionnelle alors qu’une procédure de licenciement a été engagée, et une sanction disciplinaire infligée, est entachée de vice (Cass., Soc., 12 avril 2014, n° 12-29208).

4) Autres hypothèses de nullité d’une rupture conventionnelle.

De manière générale, la nullité de la rupture conventionnelle intervient dès lors qu’un vice du consentement est caractérisé, et uniquement dans ce cas.

La Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt en date du 23 janvier 2019, précisant que la seule existence d’un harcèlement moral au moment de la conclusion de la rupture ne saurait conduire à la nullité de celle-ci. Il faut qu’un vice du consentement fasse défaut pour que la rupture conventionnelle soit frappée de nullité (Cass., Soc., 23 janvier 2019, n° 17-21.550).

Enfin, la nullité de la rupture peut également être caractérisée lorsque la liberté du consentement fait défaut. Lorsqu’un salarié souffre de troubles mentaux, alors il ne peut remplir la condition selon laquelle il faut être sain d’esprit pour conclure une telle convention.

Ainsi, la rupture conventionnelle actée dans ces conditions est également entachée de nullité (Cass., Soc., 16 mai 2018, n° 16-25852).

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum