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Travail, règlementation, santé et sécurité, exposition à l’amiante. Par Léo Lasnier, Juriste et Louis Meary-Chabrey, Etudiant.
Parution : vendredi 29 janvier 2021
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Arrêt N°658 Cour de cassation, chambre sociale, 30 septembre 2020 (19-10.352).

Le salarié qui justifie d’une exposition à l’amiante, laquelle a généré un risque élevé de développement de pathologies graves, a le droit d’agir contre son employeur même si celui-ci n’est pas inscrit sur la liste de l’article 41 de la loi N°98-1194 du 23 décembre 1998 ; sur le fondement du manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

Par un arrêt du 30 septembre 2020 (19-10.352), la chambre sociale de la Cour de cassation vient étendre davantage l’action en responsabilité à l’encontre de l’employeur en cas d’exposition des salariés à l’amiante.

En l’espèce, un salarié engagé en qualité de calorifugeur, avait été affecté par son employeur, dans le cadre d’un contrat de sous-traitance, sur un site amianté dépendant de l’entreprise utilisatrice de 1988 à 1998.

Ce sous-traitant a été inscrit sur la liste de ceux susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) établies par l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998. Le salarié saisit la juridiction prud’homale d’une demande dirigée contre son employeur en paiement de dommages et intérêts au titre du préjudice d’anxiété résultant de son exposition à des poussières d’amiante dans l’entreprise utilisatrice.

Il est débouté en appel au motif que si la société tierce était certes inscrite sur la liste des entreprises éligibles à l’Acaata tel n’était pas le cas de son employeur. A tort pour la Cour de cassation qui reconnait désormais

« la possibilité pour un salarié justifiant d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, d’agir contre son employeur, sur le fondement du droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ».

Cette décision qui marque un revirement de jurisprudence, était cependant prévisible (I). Elle opère une distinction encore plus prononcée sur le régime d’action ouverte entre les salariés éligibles à l’Acaata et ceux non couverts par ce régime dérogatoire (II).

I. L’ouverture du droit à réparation du préjudice d’anxiété : Un revirement de jurisprudence prévisible.

Il est important de préciser que, la forte nocivité sur la santé humaine de l’amiante ayant entrainé son interdiction en 1997 a contraint le législateur, à créer un régime de préretraite. En effet, l’article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, permet aux salariés et anciens salariés, travaillant dans l’un des établissements fixé par arrêté du 7 juillet 2000 de bénéficier classées amiante de bénéficier d’une allocation de cessation anticipée d’activité (Acaata).

Malgré l’existence de cette allocation, certains plaideurs ont considéré qu’elle ne permettait pas de réparer l’entièreté du préjudice subi par les salariés, et notamment, leur préjudice d’anxiété (se caractérisant par l’inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante).

C’est ainsi que la Cour de cassation a ouvert, la possibilité pour les salariés pouvant bénéficier de l’Acaata le droit d’obtenir réparation d’un préjudice spécifique d’anxiété tenant à l’inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante.

Néanmoins, jusqu’en 2019 cette action en réparation du préjudice d’anxiété avait été encadré et relativement restreinte par la haute cour. En effet, les salariés dits « intermédiaires » ; ceux dont l’employeur n’apparaissait pas dans la liste visée par la loi et établie par décret, ont été jusqu’à cette période évincés du recours à cette action en réparation malgré leur exposition sur un site classé [1]. Leur éligibilité à l’Acaata ne leur permettait pas pour autant de se voir ouvrir ce droit à réparation [2].

Néanmoins, la Cour de cassation a procédé à plusieurs élargissements du droit à réparation du préjudice d’anxiété. D’abord, par la possibilité pour un salarié justifiant d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, d’agir contre son employeur, sur le fondement du droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements listés [3].

Puis en ouvrant cette action à toute exposition à des substances nocives ou toxiques autres que l’amiante [4].

L’arrêt du 30 septembre 2020 qui opère un revirement par rapport aux décisions de juin 2016 et janvier 2017 s’inscrit donc dans cette mouvance jurisprudentielle visant à reconnaître le plus largement possible, l’action des salariés exposés à de l’amiante, et à des substances nocives.

Néanmoins cette décision marque une différence entre les salariés travaillant dans un établissement classé et les autres notamment dans l’application du régime de la preuve.

II. L’action en reconnaissance du préjudice d’anxiété : Deux fondements qui cohabitent.

Deux situations peuvent être constatées ici :
- D’une part, le cas des salariés éligibles à l’Acaata, qui offre un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de l’exposition à l’amiante, de la faute de l’employeur et de leur préjudice. L’inscription sur la liste des entreprises éligibles à l’Acaata permet de faire présumer, le non-respect par l’employeur de son manquement à l’obligation de sécurité, le salarié n’a pas à établir l’existence d’un préjudice [5]. Ce régime de preuve pose une présomption irréfragable, impossible à renverser pour l’employeur ;
- D’autre part, le cas des salariés non éligibles à l’Acaata qui devront agir selon les modalités du droit commun en reconnaissance du non-respect par l’employeur de son obligation de sécurité [6].
Ainsi le salarié devra établir à la fois son exposition à de l’amiante, mais aussi démontrer l’étendue et la réalité de son préjudice subi [7] ce qui n’est pas si aisé à rapporter. De même, a l’inverse du cas des salariés éligibles à l’Acaata, l’employeur pourra ici s’exonérer de sa responsabilité s’il démontre avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail [8].

A ce stade, la Cour de Cassation conclut donc à l’existence d’un préjudice commun à plusieurs catégories de salariés exposés à l’amiante, mais opère une différence substantielle dans le fondement permettant d’obtenir la réparation de ce préjudice d’anxiété.

Cette inégalité de traitement, est dommageable, tant les séquelles, pour la santé physique et mentales, liées à l’amiante sont très importantes.

Léo Lasnier, Juriste, Responsable Pôle Protection sociale Clinique de Droit Social Lyon II Louis Meary-Chabrey, Clinicien au sein de la Clinique de Droit Social Lyon II

[1Cass., soc, 22 juin 2016, n°14-28.175 à n°14-28.182.

[2Cass. 2e civ., 11 janv. 2017, n°15-50.080 à n° 15-50.091.

[3Cass. ass. plén., 5 avr. 2019, n°18-17.442.

[4Cass. soc., 11 sept. 2019, n°17-24.979.

[5Cass. soc., 11 mai 2010, n°09-42.241 & Cass. soc., 4 déc. 2012, n°11-26.294 & Cass. soc., 2 avr. 2014, n°12-29.825.

[6Article L4121-1 & L4121-2 du Code du travail.

[7Cass. ass. plén., 5 avr. 2019, n°18-17.442.

[8Cass. soc. 22 septembre 2016 n°15-14.005.