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[Point de vue] Collectivités locales : le délicat bouclage des contrats des marchés publics. Par Christian Renaud.
Parution : lundi 1er février 2021
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Alors que la crise sanitaire a durement impacté les finances de l’Etat et donc celles des collectivités locales, ces dernières doivent faire très attention à tout dérapage budgétaire ou à toute surfacturation de différents services concernés : eau, éclairage public, traitement des déchets…
Trois critères s’imposent désormais : probité, économies et écologie.

Signe des temps, l’étau se resserre autour de l’attribution des marchés publics par les collectivités locales, tant en nombre qu’en termes de qualité. De nouvelles contraintes réglementaires sont d’abord venues encadrer les appels d’offres, avec d’inédites exigences écologiques et financières. Puis la crise de Covid-19 est passée par là, ralentissant considérablement les signatures de nouveaux marchés en 2020.

Aux quatre coins du pays, les collectivités locales ont pourtant un grand rôle à jouer pour relancer la machine France, comme l’explique Jean-Marc Peyrical, président de l’APASP (Association pour l’achat dans les services publics) :

« Elles sont concernées par un certain nombre de textes récemment adoptés ou à venir, et sont plus que jamais en première ligne dans les politiques publiques de soutien à l’économie. Il en est ainsi de la loi nº2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qui comporte quelques mesures à l’attention des acheteurs publics, de la passation de marchés plus verts au fait de privilégier les constructions temporaires ou encore les biens recyclés ou issus du réemploi ».

Probité, économies financières, et respect de l’environnement : voici les trois cases majeures que les collectivités locales doivent désormais cocher pour boucler les contrats publics en cours d’évaluation.

Probité : en finir avec les petits arrangements entre amis.

Les pouvoirs publics veulent tourner la page des « affaires » qui reviennent encore souvent dans les médias, comme celle de Ferdinand Bernhard, maire de Sanary-sur-Mer, reconnu coupable de six délits d’atteinte à la probité (dont détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts, favoritisme et recel de favoritisme) en septembre dernier. D’autres affaires attendent encore leur épilogue, comme celle du Grand Stade de Lille pour laquelle le président de la métropole Damien Castelain sera jugé pour recel d’abus de confiance.

Autre gros dossier, symbolique, celui du marché de l’eau dans les Bouches-du-Rhône via la SEMM (Société des eaux de Marseille Métropole). Dans le collimateur de la justice : Martine Vassal, présidente du département depuis avril 2015 et de la Métropole depuis septembre 2018, et candidate malheureuse à la mairie de Marseille en juin dernier. En 2012, l’élue (LR) est alors trésorière du Conseil mondial de l’eau, organisme de lobbying des grandes entreprises françaises du secteur, en France comme à l’international, au moment de l’attribution du marché public marseillais. Le conflit d’intérêt est évident, mais la justice traîne toujours.

« L’information ouverte pour favoritisme et prise illégale d’intérêt a depuis été délocalisée au Parquet national financier, note Marc Laimé de l’association Eau Secours 31. On a découvert depuis lors que la SEMM avait engrangé 8 millions d’euros pour… se succéder à elle-même en 2013. Avant d’y ajouter en 2014 et 2015 trois fois plus de bénéfices que ceux, plafonnés, prévus par le contrat, soit 19,1 millions d’euros, au lieu de 6,3 millions… ».

Les marchés publics sont encore synonymes de gros sous…

Désormais, la transparence la plus totale doit donc entourer les avis d’appel public à la concurrence (AAPC) et l’attribution des marchés publics. Etat et collectivités locales ne peuvent plus se payer le luxe des petits arrangements entre amis et de factures surévaluées, dont le coût est systématiquement répercuté sur les impôts locaux.

Economies financières : faire les bons choix.

Les appels d’offres sont désormais scrutés à la loupe. Aux responsables des collectivités locales de bien négocier les contrats pour faire la chasse aux gaspillages et sélectionner les offres présentant à la fois les meilleures garanties pour les comptes publics et les meilleurs services. Surtout dans le cadre de contrats de longue durée, comme c’est par exemple le cas à Paris. Parmi les grands appels d’offre en cours, celui de l’éclairage public, le contrat actuel expirant en 2021. Alors que l’équipe municipale vient de voter un budget bridé pour 2021, le futur opérateur retenu dans quelques mois devra forcément présenter le budget le mieux ficelé pour gérer près de 350 000 points lumineux de la capitale. D’autant que l’actuel contrat n’était pas vraiment à l’avantage de la mairie de Paris, avec un prestataire dont la marge nette après impôts est trois fois plus élevée que la moyenne du secteur.

Le dossier est d’importance. « Notre plus gros marché public, celui sur l’éclairage, vaut un milliard d’euros à lui seul », souligne Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo en charge de l’urbanisme et de la transformation des politiques publiques. Avec l’écologiste Dan Lert, adjoint en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie, Emmanuel Grégoire va devoir mettre en place le prochain Plan local d’urbanisme (PLU) en 2023. Ses principaux axes sont clairs :

« moderniser l’éclairage public et réduire son empreinte écologique, et mettre plus d’espaces verts ».

En matière d’éclairage, de gros progrès restent à faire à Paris, en retard par rapport à d’autres villes comme Copenhague (Danemark), souvent montrée en exemple par les édiles parisiens. Principale marge de progression : l’utilisation d’ampoules LED, génératrices d’économies d’énergie considérables - et donc financières - mais encore trop peu utilisées à Paris. « Comme l’échéance de ce marché important prendra fin en 2021, la capitale va en profiter pour prendre une nouvelle direction, écrit Thierry Dulac dans Le Bulletin des Communes. Une décision majeure, puisqu’elle aura un impact environnemental qui durera ensuite pendant dix ans. En faisant le choix des LED, Paris pourra à la fois réduire sa facture énergétique et limiter sa pollution lumineuse ». Objectif à moyen terme : faire de Paris une « ville lumière responsable », comme l’ont appelé de leurs vœux les conseillers municipaux du groupe des Radicaux de gauche.

Respect de l’environnement : l’alpha et l’oméga de l’action publique.

Transition écologique oblige, économies financières riment donc avec économies d’énergie.

Depuis la COP21 de 2015, de nombreuses municipalités ont pris des mesures marquantes en faveur de l’environnement ; les élections de 2020 vont accélérer le mouvement, les écologistes ayant emporté de grandes villes comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg ou Poitiers.

Malheureusement pour eux, la crise de 2020 a fortement impacté les dotations de l’Etat aux mairies. Les nouvelles équipes en place - jusqu’en 2026 donc - vont devoir à la fois honorer leurs promesses électorales tournées vers le respect de l’environnement et des contraintes budgétaires plus strictes. Dans la plupart des villes de taille intermédiaire, les appels d’offres n’atteignent pas forcément le milliard d’euros, mais restent très importants pour l’amélioration de la vie des résidents. Les projets sur la table se doivent surtout de respecter toutes les normes environnementales : réhabilitation d’une école à Poitiers, restructuration du stade de foot de la Meinau ou mise en œuvre du compostage collectif à Strasbourg, gestion et animation de jardins familiaux ou installation de réseaux de chaleur à Bordeaux… La liste est longue.

A Lyon, deuxième métropole française, désormais gérée par les écologistes, les appels d’offres s’orientent majoritairement vers des projets liés à l’environnement.

« Il s’agit du dernier mandat pour le climat, souligne Grégory Doucet, le nouveau maire de la capitale des Gaules. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) nous donne dix ans pour agir, il y a donc urgence. A ce titre, nous investirons un milliard d’euros pour la transition écologique. Ce milliard sera investi prioritairement dans les mobilités, la rénovation du patrimoine de la ville ou encore la débitumisation des cours d’école ».

A Lyon comme à Paris, les pouvoirs municipaux et départementaux vont devoir faire des choix raisonnés, alliant justesse budgétaire et performances énergétiques.

Comme il y a urgence à agir, le gouvernement a voté en décembre la loi ASAP (accélération et de simplification de l’action publique) pour laisser les coudées franches aux pouvoir locaux pour travailler vite et bien.

Les prochaines années seront celles de la vertu écologique, ou ne seront pas.

Christian Renaud Spécialiste consommation, communication, concurrence