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Quand un éditeur de presse est condamné pour diffamation. Par Teddy Francisot, Avocat.
Parution : lundi 1er février 2021
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Il est possible d’’obtenir la condamnation d’un éditeur de presse en cas de diffamation (Art. 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la Liberté de la presse) dès lors que les imputations précises n’était justifiées par aucune enquête sérieuse. Tel en a décidé le Tribunal judiciaire de Montpellier dans son jugement du 8 octobre 2020.

En l’espèce, une personne était victime d’allégations fallacieuses de la part de l’organe de presse Midi Libre. Il était indiqué dans son édition électronique du 3 juillet 2019 et dans son quotidien du 4 juillet 2019 qu’un ex-légionnaire résident dans le village de Mas-Saintes-Puelles, dans le Carcassonnais, avait été condamné en Pologne pour un meurtre sanglant de 19 coups de couteau, avant de venir en France pour s’y cacher et y refaire sa vie.

Ces allégations ont causé un préjudice important à la victime, qui bénéficiait d’une image sociale très favorable, tant dans sa vie privée - il a reçu de nombreux témoignages de soutien - que dans sa vie professionnelle - au sein d’un corps réputé dans la lutte contre les incendies.

C’est pour ces raisons que Midi Libre a été assigné en diffamation le 2 octobre 2019.

L’ex-légionnaire polonais pouvait-il obtenir la réparation de son préjudice d’image sociale du fait des propos diffamatoires tenus par Midi Libre dans son édition électronique et dans son quotidien, ainsi que de leur répercussion dans sa zone géographique de résidence ?

Sur la qualification de la diffamation :

Il résulte de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que :

"Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés".

En l’espèce, Midi Libre avait affirmé dans son édition électronique :

"Un ancien légionnaire arrêté dans l’Aude 20 ans après un meurtre sauvage. Un français d’origine polonaise a été interpellé dans le petit village de Mas-Saintes-Puelles dans le Carcassonnais où il se cachait alors qu’il était recherché en Pologne (...) cet homme qui a refait sa vie en Occitanie (...) avait été condamné en 1999 à 25 ans de prison pour un meurtre sanglant de 19 coups de couteaux. Il s’était enfui et s’était engagé dans la légion".

Le second article paru dans son Quotidien était de la même tonalité.

L’éditeur de presse, en donnant l’âge de la victime (43 ans), son pays d’origine (la Pologne), et son ancienne qualité de légionnaire, publiait des éléments permettant son identification.

L’infraction de diffamation était donc constituée.

L’exclusion des motifs d’exonération :

Ces écrits faisaient état d’imputations parfaitement précises et de nature à être soumises à des preuves et à un débat contradictoire. Il était donc possible à l’éditeur Midi Libre de former une offre de preuve, mais il s’en est dispensé. Ce qui confirmait que les allégations portées contre l’ex-légionnaire ne reposaient sur aucune base factuelle sérieuse.

Il lui restait, néanmoins, la possibilité de justifier d’avoir agi de bonne foi. Pour bénéficier de cette cause d’exonération, Midi Libre devait justifier que le but poursuivi par la publication de cet article était légitime, qu’il n’en ressortait pas d’animosité personnelle, ou que l’expression était prudente et mesurée.

En l’espèce, si la publication pouvait relever d’une information légitime du public s’agissant d’un fait divers local, et bien qu’il n’y avait pas d’animosité personnelle, l’hypothèse de bonne foi ne pouvait qu’être écartée, dans la mesure où Midi Libre ne pouvait arguer d’une enquête sérieuse à l’origine des articles litigieux, et qu’au surplus, l’expression "meurtre sauvage" tend à démontrer une absence de mesure dans l’expression, en tout état de cause, en l’absence de toute enquête sérieuse, puisqu’il est constant que l’information relative à la condamnation d’une peine de 25 ans de prison, était totalement erronée, et donc non vérifiée.

Jugement :

C’est en conséquence de l’ensemble de ces éléments que le Tribunal judiciaire de Montpellier, le 9 octobre 2020 (RG : 19/05292) a prononcé la condamnation de Bernard Maffre, directeur de publication du Quotidien Midi Libre, et la société du journal Midi Libre à plusieurs milliers d’euros de dommages-intérêts pour diffamation, en réparation de l’atteinte portée à l’image de l’ex-légionnaire.

Teddy Francisot, Avocat Cabinet JTF Avocat | cabinet-jtf.com