Village de la Justice www.village-justice.com

Relation amoureuse entre collègues, agissements déplacés voire harcelants et pouvoir disciplinaire de l’employeur. Par Myriam Adjerad et Philippine Notarangelo, Avocats.
Parution : mardi 2 février 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/maelstrom-juridique-relation-amoureuse-entre-collegues-agissements-deplaces,37955.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par un arrêt du 16 décembre 2020, la Cour de cassation s’est prononcée sur le fait de savoir si des agissements commis par un salarié ayant entretenu une relation amoureuse avec une collègue de travail peuvent justifier un licenciement pour faute grave.

En l’occurrence, un salarié a, le 6 juillet 2015, été licencié pour faute grave pour avoir :
- multiplié les interventions auprès d’une salariée dans des conditions particulièrement critiquables, et ce, malgré une demande expresse de sa part de ne plus avoir de contact ;
- multiplié les messages non seulement à titre privé mais également à l’adresse professionnelle de la salariée pour la convaincre de renouer contact ;
- formulé auprès d’elle le soupçon qu’elle entretiendrait une relation avec un autre collègue de travail de l’agence ;
- installé une balise GPS sur le véhicule de la salariée alors qu’elle était en activité professionnelle et que son véhicule était garé à proximité de l’agence, et ce, afin de la surveiller à son insu.

Ni la matérialité, ni l’imputabilité des faits n’étaient contestées par le salarié, ceux-ci ayant d’ailleurs donné lieu à une sanction pénale.

Toutefois, pour remettre en cause le bien-fondé de la rupture de son contrat de travail, le salarié soutenait que les faits qui lui étaient reprochés se rattachaient exclusivement à la sphère privée.

La Cour d’appel de Colmar a ainsi, aux termes d’un arrêt du 12 février 2019, jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et, partant, condamné l’employeur au versement de diverses sommes afférentes à la rupture de son contrat de travail (indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents), outre 60 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement injustifié.

La société a formé un pourvoi en cassation et sollicité de la Haute juridiction qu’elle casse et annule l’arrêt susvisé de la Cour d’appel considérant, d’une part, que les faits invoqués à l’appui du licenciement étaient constitutifs d’un harcèlement moral (1°) et, d’autre part, qu’ils se rattachaient, en tout état de cause, à la vie de l’entreprise (2°).

1°/ Pour justifier la rupture pour faute grave du contrat de travail, l’employeur a effectivement mis en avant le fait que les agissements du salarié, ayant eu des conséquences médicalement constatées sur l’état de santé de la salariée, constituaient des faits de harcèlement moral.

La Cour de cassation n’a toutefois pas retenu la qualification de harcèlement moral, et ce, après avoir constaté que les salariés avaient entretenu pendant des mois une relation amoureuse faite de ruptures et de sollicitations réciproques et que chacun d’eux avait suggéré de rompre, excluant ainsi une demande non équivoque résultant de la seule initiative de la salariée. 

2°/ En outre, l’employeur considérait que

« se rattache à la vie de l’entreprise et peut donc constituer une faute de nature à justifier le licenciement, le fait pour un salarié d’installer une balise GPS sur le véhicule d’une autre salariée de l’entreprise afin de la surveiller à son insu, de lui adresser de nombreux messages intimes, en dépit du fait que l’intéressée lui avait expressément indiqué qu’elle ne souhaitait plus avoir de contact avec lui en dehors de l’activité de l’entreprise, les messages en question ayant notamment été communiqués par l’intermédiaire de sa messagerie professionnelle, pour la presser de reprendre contact et la soupçonner d’entretenir une relation avec un collègue de travail ».

De jurisprudence constante, la Cour de cassation juge qu’un fait relevant de la vie personnelle du salarié ne peut constituer une faute [1].

Pour justifier un licenciement disciplinaire, le motif tiré de la vie personnelle du salarié doit constituer un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail [2].

Cette position jurisprudentielle s’explique par le droit dont dispose chaque personne de bénéficier du respect de sa vie privée [3].

En l’espèce, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir jugé que les faits litigieux relevaient de la vie personnelle du salarié et ne constituaient donc pas un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail.

Pour justifier sa position, la Haute Juridiction a retenu que :
- la balise avait été posée sur le véhicule personnel de la salariée,
- l’envoi à celle-ci de courriels au moyen de l’outil professionnel était limité à deux messages,
- les faits n’avaient eu aucun retentissement au sein de l’agence ou sur la carrière de l’intéressé.

Au regard des observations qui précèdent, la Cour de cassation a ainsi considéré que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse et rejeté le pourvoi formé par l’employeur.

Aux termes de cet arrêt, la Cour de cassation donne une nouvelle illustration de la complexité pour un employeur de déterminer si les agissements du salarié relèvent de sa vie personnelle ou de sa vie professionnelle.

Notons qu’en l’espèce les faits litigieux avaient donné lieu à une enquête interne, laquelle n’a toutefois pas été jugée suffisante pour emporter la conviction des juges.

Au contraire, la Cour de cassation a récemment retenu que se rattache à la vie de l’entreprise et peut justifier un licenciement disciplinaire, le fait pour un salarié exerçant des fonctions de responsable d’exploitation d’une entreprise comptant plus de cent personnes d’avoir, depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités [4].

L’intervention de l’employeur semble donc pouvoir être notamment guidée par le retentissement des agissements sur la sphère professionnelle (perte d’autorité, perte de crédibilité, incidence sur la carrière, retentissement sur l’agence, etc).

Myriam ADJERAD, Avocat Philippine NOTARANGELO, Avocat ADJERAD AVOCATS, Avocats au Barreau de Lyon [->contact@adjeradavocats.fr] https://fr.linkedin.com/in/myriam-adjerad-473903121

[1Cass. soc. 16 déc. 1997 n°95-41.326.

[2Cass. soc. 3 mai 2011 n°09-67.464.

[3Cf. art. 9 C. Civ.

[4Cass. soc. 25 sept. 2019 n°17-31.171.