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Contrat d’agent commercial : une définition élargie par un revirement de la Cour de cassation fin 2020. Par Alexandra Six, Avocat.
Parution : mardi 2 février 2021
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Sous l’égide de la CJUE, la Cour de cassation a été contrainte d’assouplir les critères définissant le statut d’agent commercial.

L’agent commercial est défini par l’article 1er de la directive européenne 86/653 du 18 décembre 1986, comme étant :

« celui qui, en tant qu’intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l’achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée « commettant », soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant ».

En effet, en cas de résiliation par le mandant, sans démonstration de faute grave ou force majeur, l’agent commercial bénéficie d’une indemnité de rupture habituellement fixée à deux ans de commission.

Cette indemnité compensatrice intervient en réparation du préjudice subi par l’agent, par la perte de toutes rémunérations qu’il aurait dû percevoir grâce à l’activité qu’il a développée pendant la durée du contrat, dans l’intérêt commun des parties et dont il perd le bénéfice de la clientèle.

La qualification de contrat d’agent commercial revêt donc une importance notable pour bénéficier de cette indemnisation de droit. Les conséquences de ce statut sont d’ordre public.

Or, certains contrats prêtent à confusion dans leur rédaction…

Il appartient à celui, personne physique ou morale, qui se prétend agent d’en apporter la preuve.

Ce dernier doit donc démontrer, conformément à l’article L134-1 du Code de Commerce, qui transpose en droit français la directive précitée :
- Exercer à titre de profession indépendante, et de façon permanente,
- Etre chargé de négocier et éventuellement conclure des contrats de vente ou d’achat, de location ou de prestation de service au nom et pour le compte d’un mandant.

Ainsi, il ne dépend pas de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ou même de la dénomination qu’elles ont données à leurs conventions.

Ce statut découle directement des conditions dans lesquelles l’activité est effectivement exercée, ce qui fait qu’en cas litige, il appartient au juge de déterminer si le statut d’agent commercial peut être retenu.

Toute la difficulté repose depuis plusieurs années sur l’interprétation du terme « négocier » qui n’a pas été défini à l’origine par la directive.

La Cour de Cassation a pris le parti de considérer que la négociation suppose que l’intermédiaire ait une marge de manœuvre permettant d’influencer les éléments constitutifs de la convention, avant même qu’elle ne soit conclue avec un client.

Ainsi, l’intermédiaire doit pouvoir modifier les clauses contractuelles, notamment s’agissant du prix et des conditions de la vente [1].

C’est dans ce sens que la Cour d’Appel de Paris s’est positionnée dans un arrêt du 3 Mai 2018, et a rejeté l’application du statut d’agent commercial au mandataire d’une maison d’édition et concomitamment les demandes indemnitaires y afférentes.

En effet, selon les juges :

« faute de disposer d’un minimum de marge de manœuvre sur une partie au moins de l’opération économique conclue, s’agissant notamment des prix, des barèmes de remises, et des conditions générales de distribution et de vente, le demandeur ne démontrait pas avoir eu le pouvoir de négocier, donc n’était pas en mesure de prévaloir du statut d’agent commercial ».

En France, un agent commercial ne pouvait se limiter à la promotion d’un produit, à la simple prospection de clientèle ou au rôle d’intermédiaire passif.

Cette interprétation, constante depuis plusieurs années a conduit les juges à exclure massivement des intermédiaires commerciaux du statut d’agent commercial, et donc du bénéfice de l’indemnité compensatrice en cas de rupture par le mandant sans motif légitime.

Le demandeur s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris, et la Haute Cour s’est vue contrainte de modifier sa jurisprudence jusqu’alors appliquée.

Effectivement, saisie d’une question préjudicielle par le Tribunal de Commerce de Paris, visant à coordonner le statut d’agent commercial dans les Etats Membres, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) est revenue sur l’article 1 de la directive.

Par cette question préjudicielle, la juridiction de renvoi demandait si l’article doit être interprété en ce sens qu’une personne doit nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée « d’agent commercial », au sens de cette disposition.

Par l’arrêt du 4 Juin 2020, la CJUE a repris les trois conditions qu’elle considère comme nécessaires et suffisantes pour qu’une personne puisse être qualifiée d’agent commercial :
- Avoir la qualité d’intermédiaire indépendant,
- Etre liée contractuellement et de façon permanente au commettant,
- Exercer une activité consistant soit à négocier la vente ou l’achat de marchandises pour le commettant, soit à conclure des opérations au nom et pour le compte de ce dernier.

En l’occurrence, la Cour a relevé la volonté du législateur de l’Union de considérer que l’acte de négociation a pour objectif final la conclusion de contrat pour le compte du commettant, et ce, sans aucun renvoi aux textes nationaux. Il y a donc lieu d’unifier l’interprétation donnée par les différents Etats de l’UE, et figer l’interprétation du terme sujet à controverse.

La Cour a considéré que la notion de négociation doit être appliquée comme une notion autonome du droit de l’Union, et être interprétée uniformément sur le territoire de cette dernière.

Ainsi, la CJUE a considéré qu’une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d’agent commercial au sens de la disposition visée.

Cette décision met fin à une controverse doctrinale, et contraint la Cour de Cassation à s’aligner sur l’interprétation donnée par la CJUE.

Dans l’affaire objet du pourvoi précité, le demandeur avait pour mission de rechercher le produit le plus adapté, le présenter, convaincre le client de l’acheter, rechercher dans les différentes formes de commercialisation du produit, les modalités financières les mieux adaptées à la situation économique du client et l’acceptation du prix le plus élevé possible, au nom et pour le compte de la maison d’édition.

L’interprétation des juges de l’UE s’imposant à toutes les juridictions saisies du même litige y compris la Cour de cassation, les juges français n’ont eu d’autre choix que d’appliquer ce revirement de jurisprudence.

Dans l’arrêt du 2 Décembre 2020, la Cour de Cassation a donc infirmé la décision de la Cour d’appel, et a confirmé que le seul fait de ne pas avoir eu une marge de manœuvre sur une partie de l’opération économique conclue, ne saurait exclure le mandataire du statut d’agent commercial. La maison d’édition n’a pas obtenu gain de cause dans sa volonté d’exclure le mandataire du statut d’agent commercial.

Dorénavant, l’agent commercial est défini comme étant une personne qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage ou de services, est chargé, de façon permanente, de négocier, et éventuellement de conclure des contrats de vente, d’achat, de location, ou de prestation de service au nom et pour le compte d’un tiers producteurs, industriels, commerçants, ou autres agents commerciaux, quoiqu’il ne dispose pas de pouvoir de modifier les prix de ces produits ou de services.

Ce revirement a donc une importance considérable dans la qualification du contrat d’agent commercial et nombreux d’agents vont pouvoir s’en prévaloir.

Une petite révolution dans ce domaine !

Alexandra SIX Avocat Droit des Affaires Cabinet ELOQUENCE Avocats Lille et Paris www.eloquence-avocats.com

[1Com, 14 Juin 2005, pourvoi n°03.14.40.