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[Tribune] La réforme du CESE, réponse vaine aux failles du système représentatif. Par Tom Collen-Renaux, Etudiant.
Parution : jeudi 4 février 2021
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Après la crise des gilets jaunes, les conventions citoyennes composées de français tirés au sort promettent de remettre les citoyens au coeur de la prise de décision.
Mais sous ces airs de retour à la démocratie athénienne se décèle une manoeuvre politique : et si tout n’était qu’un coup de communication visant à contourner la promesse de campagne d’Emmanuel Macron d’instaurer une dose de proportionnelle aux élections législatives ?

Avec la réforme du Conseil économique, social et environnemental (CESE), matérialisée par la loi organique du 15 janvier 2021, Emmanuel Macron souhaite faire de cette institution une « troisième chambre », celle des conventions citoyennes.
Composées de citoyens tirés au sort selon des principes « d’égalité, de transparence et d’impartialité », ces conventions calquées sur le modèle de la convention citoyenne pour le climat constituée en octobre 2019 auront pour objectif d’éclairer l’action des pouvoirs publics.

Alors que les citoyens demandent davantage de démocratie directe, cette nouvelle mission du CESE apparait louable au premier abord.
En réalité, la création de ces conventions citoyennes peine à convaincre et soulève au moins deux difficultés structurelles.

Tout d’abord, s’agissant de la légitimité de ces conventions.
Si la participation citoyenne peut nourrir la délibération démocratique, elle ne peut en aucun cas s’y substituer, d’autant que les citoyens tirés au sort n’ont pas la légitimité de l’élection, à la différence des parlementaires.
Le système même du tirage au sort est contestable. La sélection de citoyens français aboutit à une convention composée pour l’essentiel de membres n’ayant pas d’expertise sur les sujets évoqués.
Par conséquent, il est permis de douter de l’influence qu’exerce le « comité de gouvernance » composé de militants, lobbyistes, fonctionnaires ministériels et autres personnalités, chargé de coordonner les travaux de ces citoyens. Ce comité sera à l’évidence générateur d’une défiance des français… et c’est la légitimité de l’ensemble des travaux de la convention qui s’en trouvera impactée.
De plus, les effectifs très restreints de ces conventions ne permettent pas de considérer que les tirés au sort représentent valablement l’opinion. L’idée d’une enquête d’opinion menée sur un panel de 150 français sélectionnés au hasard ferait bondir de sa chaise n’importe quel sondeur !

Ensuite, s’agissant de l’aspect mono-thématique de ces conventions.
Climat, vaccins… Fixer un thème précis pour chaque convention permet d’engager une réflexion sur un sujet d’actualité, certes. Mais la faiblesse de ce système tient dans le fait que les citoyens ne puissent se saisir de tous les sujets, le thème de ces conventions étant unilatéralement fixé par le CESE, le Gouvernement, le président de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

Le cadenassage thématique des conventions citoyennes révèle une limite intrinsèque à l’exercice de la démocratie directe…
Pourquoi ne pas imaginer une convention citoyenne sur le thème de la sécurité que les enquêtes d’opinion révèlent comme étant au coeur des préoccupations des français ?
A contrario, les députés élus au suffrage universel disposent de bien plus de marges de manœuvre sur les sujets qu’ils souhaitent aborder. L’article 48 alinéa 5 de la Constitution prévoit ainsi que l’ordre du jour soit réservé, un jour de séance par mois, aux groupes d’opposition et groupes minoritaires de chaque assemblée.

La multiplication des conventions citoyennes, qui formeraient une troisième chambre composée de citoyens non élus, assistées d’un comité de gouvernance dont l’influence peut être contestée, apparait donc illégitime, d’autant plus qu’existe en France, comme dans beaucoup de démocraties occidentales, un système bicaméral qui offre un cadre suffisamment efficace à la prise de décision, à condition d’être représentatif.

En effet, cette réforme du CESE ne semble être au fond qu’un coup de communication visant à contourner le vrai problème : celui de la crise de la représentation politique qui réside dans la composition même de l’Assemblée nationale.

Pour contrer ce malaise, une réforme du mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours apparait comme une solution pour refonder le lien de confiance entre les français et leurs élus.

Ce mode de scrutin souhaité par le Général de Gaulle — et dont nous sommes le seul pays d’Europe à avoir recours — et la modification du calendrier électoral par la loi organique du 15 mai 2001 ont eu pour effet de favoriser l’émergence d’une majorité composée de députés du parti présidentiel et de réserver les sièges de l’opposition aux grands partis historiques.
Mécaniquement, c’est toute une partie de l’opinion qui est laissée sur le banc de touche.

Ainsi, le parti de Marine Le Pen, qui a obtenu près de 11 millions de suffrages au second tour de l’élection présidentielle de 2017, ne représente que 1% des députés de la 15ème législature. Ce n’est pas une question politique mais une question de légitimité qui doit préoccuper tout français attaché à la démocratie.

Ce manque de représentation a évidemment pour effet de renforcer le sentiment de défiance des citoyens vis à vis des institutions, lequel peut se traduire par un désintérêt pour la vie politique, une hausse de l’abstention et le développement de mouvements contestataires comme celui des gilets jaunes fin 2018.

A cet égard, le scrutin proportionnel, avec une prime à la liste arrivée en tête et un seuil plancher fixé à 5%, permettrait de représenter tous les courants d’opinion.
L’unité étant représentée par le Président de la République élu au suffrage universel direct, l’Assemblée nationale doit représenter la diversité du paysage politique français.

Un tel mode de scrutin renforcerait la richesse des débats parlementaires, aujourd’hui stériles puisque le fait majoritaire entraîne quasi-systématiquement un vote des députés de la majorité en faveur des textes du Gouvernement (qui conduit à leur adoption) et contre les amendements de l’opposition (qui réduit de facto à néant le travail de l’opposition).
La proportionnelle est d’ailleurs sollicitée par 76% des français et 80% des abstentionnistes [1] !

Mais il est fort probable qu’une telle mesure, véritable arlésienne du quinquennat, ne soit jamais concrétisée malgré la promesse du candidat Emmanuel Macron en 2017, par crainte de l’arrivée massive de députés de partis dits populistes à l’Assemblée nationale.
Reste à savoir si le Gouvernement préfère mettre en oeuvre le débat d’idées au Parlement, ou dans la rue, derrière l’écran fragile des conventions citoyennes.

Tom Collen-Renaux, Etudiant en double Master droit public des affaires et droit des collectivités territoriales à Paris 2.

[1Sondage Ifop, 26 janvier 2020.