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Alerte harcèlement : comment l’employeur peut-il agir ? Par Lionel Gonzales, Juriste.
Parution : lundi 8 février 2021
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En présence d’un conflit ou d’une situation de harcèlement au travail, il appartient à l’entreprise d’intervenir.
L’employeur est tenu à une obligation légale de sécurité et de prévention.
Comment peut il agir positivement ? Comment l’outil médiation peut il être utilisé efficacement ?

La présence d’un contrat de travail et le lien de subordination juridique, font du conflit en entreprise une situation spécifique où l’employeur ne peut pas être exclu.
Les juges rappellent régulièrement ce cadre spécifique et ce rôle particulier de l’employeur.
La jurisprudence au fil des décisions donne un cadre de plus en plus précis à ces interventions.

Par un arrêt du 22 juin 2017, n° 16-15507, la cour de Cassation, avait déjà affirmé que l’employeur qui constate une dégradation de la relation de travail entre deux salariés est tenu de réagir avec impartialité par sa propre médiation.
A ce titre, il doit proposer des mesures correctives ou d’accompagnement suffisantes au salarié en souffrance. A défaut, l’employeur manque à son obligation de sécurité.

Une enquête de l’employeur et une analyse des faits s’imposent systématiquement.

L’employeur doit même agir systématiquement en présence d’une alerte, même si elle ne semble pas vraiment justifiée.
La Cour a pu rappeler, par un arrêt du 27 novembre 2019, que l’employeur doit toujours agir en présence d’un signalement, même infondé.
Dans un arrêt du 8 juillet 2020, ce même principe est confirmé en présence d’une alerte pour harcèlement sexuel infondé.
En cas d’inaction, l’employeur engage sa responsabilité même s’il n’y a pas de harcèlement sexuel au sens juridique du terme.

Les magistrats considèrent que l’exigence d’impartialité et d’exhaustivité n’est pas de nature à écarter l’enquête interne diligentée par l’employeur.
Les juges, bien que n’étant pas liés par les conclusions d’une enquête interne, doivent porter leur appréciation sur les éléments de faits qui leurs sont soumis, sans pour autant exiger l’exhaustivité des modalités de recueil des preuves.
Le pouvoir de direction et d’organisation, reste toujours entre les mains de l’employeur, juridiquement responsable et seul « créancier du lien de subordination ».

L’enquête de l’employeur lui même est légitime.

Par un arrêt du 8 janv. 2020, n° 18-20151, la chambre sociale réaffirme qu’il n’est pas possible d’écarter des débats, pour manque d’exhaustivité et d’impartialité, l’enquête interne diligentée par l’employeur.
En l’espèce, l’enquête interne avait conduit à auditionner la moitié des collègues du salarié mis en cause, ce dernier s’est vu notifier son licenciement pour une situation de harcèlement.
Le salarié ne peut pas contester la recevabilité de l’enquête interne diligentée par l’employeur.

Obligation d’intervention avec une posture de médiation, exigence d’impartialité, obligation de prendre toute mesures correctives, voire disciplinaire. L’employeur est donc bien la pièce maitresse d’un signalement dans l’entreprise.
L’aide des élus (CSE) est parfois précieuse afin que l’employeur de soit pas seul. Cette aide permet aussi de donner plus de crédibilité à l’enquête.

Avantage de l’intervention d’un médiateur ?

On l’oubli très souvent, mais la loi propose également d’avoir recours à l’outil médiation, par un médiateur externe, afin d’aider l’ensemble des personnes, y compris l’employeur à résoudre une alerte. L’article L1152-6 du code du travail, propose un format de médiation spécifique et original.
Le médiateur professionnel pourra aider les élus et l’employeur à organiser l’enquête avec tact et humanité. Il pourra également assurer la confidentialité de certains échanges. La médiation permet d’offrir un cadre légale et déontologique suffisamment protecteur [1].
Il aidera à préserver les aspects humains et relationnels malgré les fortes contraintes juridiques et disciplinaires.
L’intervention de médiation, très spécifique dans un tel environnement, ne peut en aucun cas exclure l’employeur ou amoindrir son rôle. L’employeur fait pleinement partie de la médiation, avec ses propres attentes, ses besoins et son ressenti. C’est lui qu’il faut rassurer et convaincre afin d’organiser la reprise du travail dans les meilleurs conditions et la mise en œuvre des éventuelles mesures correctives.
L’employeur a en charge l’intérêt général de l’entreprise au-delà des intérêts particuliers. Les choix et les propositions issues de la médiations, ne peuvent être que des propositions d’orientations soumises à sa validation. 

Un environnement juridique incontournable.

Le but en médiation n’est jamais de trouver un accord à tout prix. En présence d’une alerte harcèlement cela n’aurait pas de sens.
Le cœur de toute médiation, ici plus qu’ailleurs, est de comprendre ce qui a pu se passer. Accueillir les ressentis de chacun, y compris de l’auteur « désigné coupable » parfois trop vite.
« L’auteur désigné » est lui aussi un salarié de l’entreprise et l’employeur a une obligation de sécurité y compris à son égard. Il doit donc faire preuve d’impartialité et de mesure lors de son intervention.
« Evolution de fonction, changement d’équipe ou changement de manager, télétravail, temps partiel, disciplinaire, licenciement du salarié fautif auteur d’actes déplacés... » : ces « mesures correctives » souvent proposées en médiation entre les personnes, impliquent également de bien associer l’entreprise.
La médiation c’est l’expression des ressentis et des besoins, ce n’est en aucun cas la recherche juridique de la qualification juridique des faits.
Pour autant, en présence d’une alerte il n’est pas toujours possible de faire l’impasse sur l’appréciation factuelle de la situation. C’est-à-dire qu’elles sont les éléments de preuves de chacune des personnes à l’appui de son sentiment.

L’organisation des échanges doit tenir compte des impératifs légaux, en présence « d’un ressenti de harcèlement » :
1. Le salarié doit établir des faits permettant de laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral, la seule constatation d’une altération de son état de santé n’étant pas suffisante [2] ;
2. L’employeur ou l’auteur désigné, doit apporter une justification professionnelle à chaque fait transmis par le salarié, à l’appui de son alerte [3].

L’employeur ne tombera pas dans le piège de la qualification. Son rôle, n’est pas de dire s’il y a ou s’il n’y a pas harcèlement au sens juridique du terme. Seuls les tribunaux peuvent définitivement qualifier un acte comme tel.

Le rôle de l’employeur ?

Dans la plupart des situations, 80% des cas environ, le salarié lui-même « requalifie » son accusation, vers une autre forme de signalement (RPS, malentendu etc…). Le signalement est très souvent un appel à l’aide, pour exprimer un mal être face auquel il est de plus en plus difficile pour lui de faire face :

1. Organiser rapidement une rencontre sécurisée entre toutes les personnes, « victime et auteur », et la manière la plus efficace de les aider à surmonter le conflit.
Il est important de ne pas organiser trop vite la séparation, alors même qu’aucune enquête n’a encore eu lieu. Le réflexe de la rupture de communication avec l’autre est la solution instinctive, mais elle risque d’empêcher définitivement le maintien en entreprise ou la reprise du travail.
2. L’employeur doit s’assurer que les faits invoqués sont conformes ou non à un comportement professionnel.
Au titre de son pouvoir de direction et disciplinaire, il appartient à l’employeur de dire si les faits et les justifications apportées sont légitimes sur le plan professionnel ou ne le sont pas.
3. Sur cette base, il pourra prendre les mesures correctives pour faire cesser une situation qui n’est pas professionnellement admissible.
Ces mesures correctives doivent s’inspirer des attentes exprimées lors de rencontre de médiation. Reprise du travail, sanction et rupture, aménagement des fonctions etc…

L’alerte harcèlement délibérément malveillante peut être constitutive d’une faute grave.

Le constat du défaut d’intention de nuire du salarié ayant dénoncé des faits finalement insusceptibles de caractériser un harcèlement ne suffit pas pour exclure sa mauvaise foi.
La Cour de cassation, rappelle que la mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. Aussi, le seul défaut d’intention de nuire est impropre à exclure sa mauvaise foi [4].

L’accompagnement du salarié en mal être, voire de l’équipe, pourra se faire sur la base des éléments qui apparaitrons lors de la médiation. Dans la grande majorité des cas, les personnes ont à cœur de reprendre le travail et souhaitent simplement que la situation s’améliore.
Ne plus venir au travail avec la « boule au ventre » et être entendu. Le licenciement ou la sanction de l’auteur des faits n’est pas l’exigence première.
La médiation doit permettre cette reprise du travail, sans cristallisation définitive des attaques mutuelles. Il faudra ici tout l’art et tout le savoir-faire du médiateur professionnel pour stopper la spirale du conflit.
L’alerte harcèlement mal « gérée » va parfois être le départ d’une contre-attaque et d’une aggravation du conflit. Le terme « harcèlement » fait peur et il est souvent mal interprété. Une intervention « uniquement juridique » a souvent pour effet que chaque partie recherche d’abord à se protéger, coute que coute, contre l’autre.

Pour conclure, nous pouvons dire que les alertes se multiplient, car c’est souvent la seule manière pour le salarié d’être entendu et de déclencher une action de l’employeur.
L’employeur peut intervenir seul et reste légitime et qualifié pour le faire, mais l’environnement humain et juridique rend sa position très délicate. Lorsque la situation semble trop inconfortable, le recours à l’outil médiation est la solution la plus efficace.
Le médiateur professionnel saura vous accompagner, vous conseiller et si besoin intervenir. Il aidera chaque partie, élus, salariés et employeur à faire face au mieux à cette difficulté.
Et pourquoi pas à s’en sortir par le haut dans le respect et l’écoute de tous et dans l’intérêt de l’entreprise !

Lionel Gonzales Juriste en droit du travail; Médiateur en entreprise, référencé près la Cour d'appel de Paris; Conseiller prud'hommes Conseil en négociations et médiations stratégiques

[1Article L1531 du code de procédure civile, sur la confidentialité légale du médiateur.

[2Cass. soc., 9 oct. 2019, n° 18-14069.

[3Cass. soc., 8 janv. 2020, n°18-22055.

[4Cass. soc. 11 déc. 2019, n° 18-18207.