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Erreur médicale pendant l’accouchement : l’Oniam indemnise le handicap consécutif à une césarienne. Par Dimitri Philopoulos, Avocat.
Parution : mercredi 10 février 2021
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Par une décision du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Rennes a mis à la charge de l’Oniam l’indemnisation du handicap d’un enfant victime d’un accident médical inhabituel survenu lors d’une césarienne. Le jugement fait une application logique du droit positif à l’abri d’une infirmation.

L’avocat en droit de la santé ne peut qu’approuver une décision rendue le 7 janvier 2021 par le tribunal administratif de Rennes dans le cadre d’un accident médical inhabituel survenu lors d’une césarienne pour une asphyxie fœtale [1].

I. Faits et procédure.

Dans le cadre d’un accouchement en présentation du siège, le rythme cardiaque de l’enfant à naître a montré des anomalies importantes. En raison du risque d’anoxie cérébrale, le gynécologue obstétricien de la maternité a pratiqué une extraction par une césarienne.

Née le 13 décembre 2001 la victime a conservé un lourd handicap consécutif à des manœuvres obstétricales pratiquées lors de la césarienne.

En effet, les manœuvres sur la tête fœtale étaient à l’origine d’une lésion médullaire. Elles étaient nécessaires pour le désenclavement de la tête bloquée dans l’utérus par un fibrome de celui-ci.

Deux expertises, dont l’une ordonnée en référé par le tribunal administratif et l’autre par la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI mais c’était la CRCI à l’époque des faits), ont écarté tout manquement de la part du gynécologue obstétricien ou de la sage-femme de la maternité.

Néanmoins, la CRCI a rendu un avis qui a retenu l’existence d’une faute technique de l’hôpital a l’origine d’une perte de chance de 95% d’éviter le handicap de l’enfant.

L’assureur de l’hôpital s’étant abstenu de faire une proposition d’indemnisation provisionnelle, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) s’est substitué à celui-ci sur demande écrite des parents de la victime.

Après une nouvelle expertise devant la CRCI (avec pour mission d’actualiser les préjudices chez cette victime non encore consolidée), la commission a émis un avis selon lequel il appartenait à l’hôpital de formuler une proposition d’indemnisation.

Son assureur a encore refusé de faire une offre. Les parents ont de nouveau saisi l’Oniam afin qu’il puisse se substituer à l’assureur défaillant. Or, cette fois-ci l’Oniam n’a formulé aucune offre.

Dans ce contexte, les parents de la victime ont saisi le tribunal administratif qui a rendu le jugement rapporté.

Sur la base des rapports d’expertise, le tribunal a écarté toute faute du gynécologue obstétricien ou de la sage-femme de la maternité.

En revanche, il a mis à la charge de l’Oniam l’indemnisation des préjudices subis par la victime directe.

II. Une exacte application du droit positif par le tribunal.

a) Rappel du critère légal relatif à l’acte de soins.

Pour mémoire, la Cour de cassation a décidé par un arrêt important du 19 juin 2019 publié au Bulletin que les manœuvres obstétricales sont des actes de soins au sens de l’article L1142-1 du code de la santé publique [2] :

« Mais attendu que, si l’accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manœuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l’article L1142-1 du code de la santé publique ; ».

Poursuivant l’harmonisation de la jurisprudence dans le domaine de l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux, cette position a été suivie par les juges du fond de l’ordre administratif [3] [4].

b) Rappel du critère légal de l’anormalité du préjudice.

Selon les dispositions du II de l’article L1142-1 du code de la santé publique, les préjudices indemnisables par l’Oniam doivent remplir (entre autres) la condition de l’anormalité du préjudice :

« Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire ».

Or, le Conseil d’Etat a dégagé des précisions importantes permettant d’apprécier les contours de cette condition légale [5] :

« Considérant que la condition d’anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l’absence de traitement ; que, lorsque les conséquences de l’acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l’absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l’acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ».

Cette position a été suivie par les juges de l’ordre judiciaire [6].

Encore faut-il rappeler que la Cour de cassation a ajouté une précision importante pour l’appréciation de ladite probabilité faible [7] :

« que, pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d’un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès ; ».

Madame Hocquet-berg a résumé cette position de la Haute juridiction dans des termes utiles [8] :

« Ce faisant, la Cour de cassation laisse entrevoir des possibilités d’élargir le domaine de la solidarité, après avoir pourtant œuvrer pour le rétrécir, en appréciant la condition d’anormalité du dommage, non pas au regard de la fréquence de réalisation de l’accident médical qui en est à l’origine, mais au regard des lésions dont est précisément atteinte la victime ».

c) Application du droit positif par le tribunal administratif.

Le jugement rapporté a fait une nette application de ces principes [9] :

« Ainsi qu’il a été dit au point 8, les lésions médullaires survenues au cours de l’accouchement du 13 décembre 2001 ne peuvent être regardées comme résultant d’un geste fautif mais constituent un accident médical non fautif. Il résulte de l’instruction, que si la mère présentait une prédisposition certaine vis-à-vis des complications obstétricales et chirurgicales rencontrées, la survenance des complications dont elle a été victime et leur conséquence pour sa fille, qui ne souffrait, elle, d’aucune prédisposition anténatale, présentait au vu des éléments statistiques proposés par les experts, une probabilité très faible. Les conditions d’engagement de la solidarité nationale sont donc remplies. Il en résulte que la réparation de l’intégralité des dommages subis en lien avec la césarienne litigieuse incombe à l’Oniam ».

En effet, les conséquences de l’acte de soins n’étaient pas notablement plus graves que celles auxquelles la victime était exposée en l’absence de traitement. Il en est ainsi car en l’absence de césarienne la jeune victime était exposée aux conséquences d’une hypoxie cérébrale pouvant conduire à une infirmité motrice cérébrale (paralysie cérébrale).

En conséquence, le tribunal s’est fondé sur le critère subsidiaire de la probabilité faible pour décider que la condition de l’anormalité du préjudice était remplie notamment au regard des éléments statistiques tirés des expertises.

Il s’agit effectivement d’un événement rare au regard des lésions spécifiques de la victime.

Compte tenu de la faible probabilité des lésions non contestée par les parties, cette décision apparaît à l’abri d’une infirmation.

III. Conclusion.

Pour l’avocat intervenant dans la défense de victimes d’erreur médicale, chaque décision permet d’appréhender davantage le type de dommage pouvant faire l’objet d’une indemnisation par l’Oniam au titre de la solidarité nationale.

Dans le cadre spécifique du handicap subi par un enfant lors de l’accouchement et la naissance, les manœuvres obstétricales sont impliquées habituellement dans des dommages d’origine traumatique par exemple :
- lésion du plexus brachial lors de manœuvres nécessaires pour traiter une dystocie des épaules ;
- hématome intracrânien ou fracture du crâne lors d’une extraction par forceps ;
- lésion médullaire pendant l’accouchement par voie basse en position du siège (beaucoup plus rarement lors d’une césarienne comme dans le jugement rapporté).

Dans ces cas, et en l’absence de faute, l’accident médical remplit souvent les conditions du II de l’article L1142-1 du code de la santé publique ouvrant droit à une indemnisation par l’Oniam au titre de la solidarité nationale.

Les manœuvres obstétricales sont moins souvent impliquées dans les cas d’anoxie fœtale où cette dernière est généralement imputable au retard de la pratique d’une intervention obstétricale nécessaire pour hâter la naissance.

Cependant des exceptions multiples existent comme la jurisprudence le montre par exemple celle condamnant l’Oniam à réparer l’infirmité motrice cérébrale qui résulte d’une anoxie cérébrale subie dans le contexte d’un acte de soins en l’occurrence un déclenchement du travail [10].

Dimitri PHILOPOULOS Avocat à la Cour de Paris Docteur en médecine https://dimitriphilopoulos.com

[1TA Rennes, 7 janv 2021, n° 1801564 et n°1901307.

[2Cass. civ 1, 19 juin 2019, n°18-20883.

[3CAA Nancy, 3 mars 2020, n° 18NC00386.

[4CAA Lyon, 9 mai 2019, n° 17LY01495.

[5CE, 5e et 4e SSR, 12 déc 2014, n° 355052, publié au recueil Lebon.

[6Cass. Civ. 1, 15 juin 2016, 15-16824, publié au Bulletin.

[7Cass. civ 1, 19 juin 2019, n°18-20883.

[8Sophie Hocquet-Berg, Indemnisation au titre de la solidarité nationale d’un accident médical lors d’un accouchement par voie basse, Cass. civ. 1e, 19 juin 2019, n° 18-20883, publié au Bulletin : Revue générale du droit, 2020, numéro 52004 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=52004).

[9TA Rennes, 7 janv 2021, n° 1801564 et n°1901307.

[10CA Nancy, 18 nov. 2019, n° 18/02007.