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Est-il possible de vendre une construction irrégulièrement édifiée ? Par Stéphane Chanzy, Juriste.
Parution : lundi 8 février 2021
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A titre liminaire, il convient de s’interroger sur la notion même d’irrégularité au sens du droit de l’urbanisme ensuite il conviendra de voir si la construction irrégulièrement édifiée en application des règles d’urbanisme peut néanmoins être sujette à la vente.

Est-il possible de vendre une construction irrégulièrement édifiée ?

En application des règles d’urbanisme, l’irrégularité sanctionne une construction édifiée soit :
- sans autorisation administrative (permis de construire, déclaration préalable) ;
- en violation des prescriptions d’une autorisation délivrée par l’autorité administrative ;
- sur une autorisation annulée par le juge administratif.

Cette irrégularité peut avoir de lourdes conséquences - tant pour le ou les propriétaire(s) actuel(s) du bien que ceux successifs - dans la mesure où celle-ci peut être sanctionnée à la fois :

-1. Sur le plan pénal : la sanction étant constituée par une amende pouvant être comprise entre 1 200 euros et 6 000 euros par mètre carré de surface construite [1], étant précisé que l’action pénale se prescrit dans un délai de six ans à compter de l’achèvement des travaux qualifiés d’irréguliers ;

-2. Sur le plan civil : la sanction pouvant aller du versement d’une indemnité à titre de dommages et intérêts au(x) tiers lésé(s) jusqu’à la démolition pure et simple du bien irrégulier aux frais du propriétaires, étant précisé qu’en termes de prescription il convient de distinguer :
- l’action en responsabilité civile pouvant être initiée par les tiers dans un délai de cinq ans à compter de la découverte des faits permettant de l’exercer.
Durant toute cette période les tiers lésés auront donc la possibilité d’ester en justice, à condition de justifier de leur qualité et d’un intérêt à agir, nécessitant classiquement de démontrer un préjudice personnel en lien de causalité direct et certain avec la violation d’une règle d’urbanisme.
Le cas échéant, le propriétaire du bien irrégulier pourra être condamné à la démolition de l’ouvrage à ses frais [2].
- l’action en démolition pouvant être introduite par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale, compétent en matière de plan local d’urbanisme dans un délai de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux [3].

-3. Sur le plan administratif : la sanction encourue peut être le refus de toute nouvelle autorisation administrative pour les constructions future sur le bien initial, dont l’irrégularité n’a pas été purgée.

S’agissant de la prescription, deux hypothèses sont à envisager :

- hypothèse n°1 : la construction a été édifiée avec une autorisation administrative, mais en violation de celle-ci ou sans déclaration préalable - dans ce premier cas, l’administration ne pourra fonder son refus du fait de l’irrégularité de la construction que dans la limite d’un délai de 10 ans à compter de l’achèvement des travaux [4] ;

- hypothèse n°2 : la construction a été édifié sans permis de construire - dans ce second cas, l’administration pourra fonder son refus du fait de l’irrégularité de la construction sans aucune limite de temps [5].

A titre d’exemple, l’administration pourra, à chaque nouvelle demande, refuser le raccordement aux réseaux de distributions collectifs, au gaz, téléphonie et électricité sans qu’il soit possibilité de lui opposer une quelconque prescription [6].

En raison des conséquences juridiques très impactantes pouvant être engendrées par l’irrégularité de la construction, il convient à tout nouvel acquéreur d’accorder une attention particulière à l’historique du bien acquis et - le cas échéant en cas de réelle difficulté - de vérifier l’acquisition ou non des délais de prescriptions afin d’anticiper en amont toute éventuelle sanction civile, pénale ou administrative.

Ces notions rappelées étant désormais acquises, la question se pose désormais de savoir si la construction irrégulièrement édifiée en application des règles d’urbanisme peut néanmoins être sujette à la vente.

L’interrogation sous-jacente étant de terminer si la construction entachée d’une irrégularité peut entrer dans la catégorie des biens du commerce, notamment au regard des dispositions de l’article 1598 du Code civil.

La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a déjà eu à y répondre par l’affirmative selon les termes suivants :

« les infractions éventuellement commises à la législation sur l’urbanisme ne pouvaient, par elles-mêmes, ni frapper l’immeuble d’une inaliénabilité légale, ni entraîner la nullité des conventions dont cet immeuble est l’objet » [7].

Par conséquent et en application de la jurisprudence constante rendue par la Haute juridiction, il est confirmé qu’une construction irrégulière peut bien faire l’objet d’une vente, à condition toutefois, dans le cadre de cette transaction immobilière, d’informer l’acquéreur de l’irrégularité litigieuse.

En effet, il sera utile de rappeler que le consentement doit être libre et éclairé, sauf à risquer de se voir opposer la nullité de la vente pour vice du consentement [8].

Sur les personnes redevables de cette obligation d’information.

L’obligation d’information au moment de la vente du bien irrégulier incombe aussi bien au vendeur qu’au notaire, ce dernier étant tenu d’une obligation d’information et d’un devoir de conseil envers l’acquéreur [9].

Il ne faut donc pas ignorer et minimiser les risques d’une telle transaction qui, pour l’acquéreur, n’emporte absolument pas la régularisation du bien.

La purge des vices affectant le bien ne pourra être obtenue qu’après régularisation de la construction irrégulière par l’obtention d’une autorisation administrative.

L’obtention de cette autorisation sera alors examinée à l’aune de la réglementation d’urbanisme applicable au jour de la demande, d’où le risque que soit caractérisée l’impossible régularisation du bien acquis.

Afin de se préserver de ce type de difficulté, le futur acquéreur peut demander l’incorporation dans les clauses du contrat de vente d’une condition dite suspensive, notamment et par exemple aux fins d’obtention d’un permis de construire visant à voir autoriser la réalisation des travaux nécessaires à purger l’ouvrage de ces vices.

La construction irrégulière est-elle sujette à imposition ?

En tout état de cause, il convient de rappeler que l’administration fiscale ne tient pas compte du caractère licite ou non d’une construction pour procéder à son imposition, de sorte que, l’acquéreur devra, à titre d’exemple, s’acquitter des différentes taxes telles que les taxes d’aménagement, la taxe foncière sur les propriétés bâties et la taxe d’habitation [10].

Sur la possibilité d’assurance d’un bien construit irrégulièrement ?

Assurer son bien demeure être possible, dans ce sens, il convient de noter que l’assurée doit répondre aux questions posées par l’assureur et ce de façon honnête [11].

Cependant, dans le cas où l’assureur ne poserai pas la question, quant à savoir, si la construction est édifiée avec un permis de construire et que l’assurance est souscrite, ce dernier ne pourra reprocher à l’assurée la non-déclaration de cette information, telle est la position de la Cour de cassation en la matière.

En effet, selon les termes de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation :

« Viole ces textes une cour d’appel qui prononce l’annulation d’un contrat d’assurance en raison de la réticence intentionnelle de l’assuré qui n’a pas spontanément révélé que l’immeuble assuré avait été irrégulièrement édifié sans permis de construire sur un espace naturel, sans constater que l’assureur avait, lors de la conclusion du contrat, posé à l’assuré des questions précises impliquant la révélation des informations qu’il lui était reproché de ne pas avoir déclarées » [12].

Quid de la reconstruction ?

Ainsi, pour les risques liés aux incendies, et aux catastrophes naturelles l’acquéreur pourra souscrire une assurance pour son bien, toutefois, il faut faire attention aux clauses contractuelles qui prévoiraient une indemnité allouée pour la « reconstruction à l’identique » uniquement.

En effet, en cas de démolition du bien, le propriétaire ne pourra avoir la certitude de reconstruire son bien, cela dépendra de la réglementation d’urbanisme en vigueur au jour de la reconstruction de sorte que l’indemnité pourrait lui être refusée.

Vous l’aurez compris l’irrégularité du bien édifié ne l’empêche pas de faire l’objet d’une vente. Paradoxale ? Oui, mais possible. In fine, que l’on soit acquéreur ou vendeur des précautions doivent être prises pour éviter tout désagrément futur.

Chanzy Stéphane Juriste Immobilier

[1Article L480-4 et suivants du Code de l’urbanisme.

[2Loi du 18 juin 2018, articles L480-13 et R111-21 du Code de l’urbanisme.

[3Article L480-14 du Code de l’urbanisme.

[4Article L421-9 du Code de l’urbanisme.

[5CE Thalamy 9 juillet 1986 et L421-9 du Code de l’urbanisme.

[6Article L111-6 du Code de l’urbanisme.

[7Cass 3ème civ, 15 juin 1982 n°81-10.509.

[8Articles 1130 et suivants du Code civil.

[9Cass 3ème civ, 15 mars 2018 n°17-11.850.

[10Article L331-24 du Code de l’urbanisme ; articles 1380 et 1407-1 du Code Général des Impôts, et réponse du Ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi publiée dans le JO Sénat du 18/02/2010 page 384.

[11L113-2, 2°L112-3, alinéa 4, et L113-8 du Code des assurances.

[12Cass 3ème civ, 13 décembre 2018 n° 17-28.093.

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