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Avocats et Legal Designer : la double compétence qui réenchante la profession.
Parution : mardi 30 mars 2021
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Non, le petit croquis griffonné au stylo sur un coin de feuille lors de votre dernier rendez-vous client ne fait pas de vous un avocat qui manie le legal design. Mais on peut cependant vous reconnaître ce mérite : celui de faire en sorte que vos propos soient compris par votre interlocuteur, "autrement". C’est sans aucun doute ce qui a poussé Jean-Julien Jarry et Sophie Lapisardi, tous deux avocats, à repenser leur façon de travailler et de communiquer avec leurs clients en utilisant la méthode legal design. Le Village de la Justice leur a demandé de partager leur expérience respective, qui pourraient vous convaincre de transformer le petit croquis du départ en une nouvelle façon d’exercer votre métier.

Sophie Lapisardi

Avocat associé au Barreau de Paris (Cabinet Lapisardi avocats) et co-fondatrice de Lexclair

Jean-Julien Jarry

Avocat Associé au Barreau de Clermont-Ferrand (Cabinet Barthélémy avocats)

Pourquoi vous êtes-vous tourné vers le Legal Design ?

- Jean-Julien Jarry :

« Cela fait plus de 4 ans que j’ai recours au Legal Design dans ma pratique professionnelle. C’est à l’occasion « Loi Travail » (du 8 août 2016) que je me suis intéressé à cette méthode.

Étant en charge de la direction du Service Ressources et Développement (SRD) du Cabinet, je souhaitais innover en pensant l’action de formation autrement. Concrètement, je me suis demandé de quelle manière il était possible de remplacer certains supports powerpoint comportant des dizaines de slides remplis de lignes de texte et de puces. Pour y arriver, je me suis mis dans la peau d’un participant et j’ai imaginé une nouvelle expérience d’apprentissage. Partant de là, j’ai commencé à transformer une partie de nos supports tant dans la conception de leur structure que dans leur aspect graphique.

Suite à cette expérience réussie, j’ai décliné la méthode sur nos activités de conseil en modélisant des infographies et en la déclinant au niveau des actes juridiques (accords collectifs, charte...). »

- Sophie Lapisardi :

« Je me suis tournée vers le legal design pour répondre aux besoins de mes clients puis pour former les professionnels du droit.
L’année 2015 est pour moi charnière. J’avais toujours eu à cœur de communiquer l’information juridique de la manière la plus opérationnelle et concise mais à cette époque, je sens que ce n’est plus suffisant pour mes clients. Pour exemple, un maire m’envoie alors une note de 3 pages de sa direction juridique en m’indiquant qu’il ne la lira pas car elle est trop longue. Il me demande de la synthétiser sur une page avec des « visuels ».

A partir de là, je commence un parcours au cours duquel je cherche des moyens de communiquer l’information juridique de manière plus claire, plus engageante et plus impactante. Je vais voir ce qui existe en dehors du monde juridique et me forme à des techniques et à la pratique d’outils innovants. C’est au cours de ce parcours que je rencontre en 2016 Fabrice Mauléon, ancien professeur de droit devenu expert en design thinking et en transformation des entreprises. Je découvre la puissance du Design : en plaçant l’utilisateur au cœur de la démarche, nous pouvons non seulement mieux communiquer avec nos clients, mais aussi créer des outils et des services innovants.

J’ai par la suite formé mon équipe au Legal Design afin qu’il soit utilisé chaque jour au sein de mon cabinet, du simple mail à la vidéo en motion design dans le cadre d’un contentieux, en passant par des contrats clairs.

Aujourd’hui je forme également des avocats et juristes à ma méthode pour qu’ils puissent appliquer le Legal Design au quotidien. »

L’idée forte...
Penser autrement, changer d’état d’esprit.

C’est quoi pour vous le "Legal Design d’information" ? Quelle définition en donneriez vous ?

- Jean-Julien Jarry :

« Que ce soit dans la presse juridique ou sur les réseaux sociaux, le Legal Design est partout. Pour autant, certains considèrent que le Legal Design d’informations est une coquetterie réduisant à rendre le droit plus beau avec des pictogrammes et des couleurs. Cette vision vient sans doute du fait que dans l’expression « Legal Design », il y a le mot « design ». Dans le langage courant, ce mot est utilisé pour dire qu’un objet ou un produit est beau. Or, le terme « design », traduit de l’anglais, signifie « conception ».
Le Legal Design, c’est donc une façon de (re)structurer et (re)présenter la règle juridique de manière claire et intelligible. »

- Sophie Lapisardi :

« Commençons par le définir par la négative pour nous débarrasser des idées reçues. Le Legal Design ce n’est pas « faire joli » en ajoutant des pictos et des couleurs ; ce n’est pas non plus gommer les nuances et subtilités du droit et faire simpliste ou encore réduire une consultation juridique à une infographie.
Le Legal Design est un mode de pensée qui place l’utilisateur au cœur de la démarche afin de trouver des solutions à des situations insatisfaisantes du droit.
C’est avant tout un changement d’état d’esprit : au lieu de partir du droit nous partons des besoins de nos utilisateurs. Et ça fait toute la différence ! »

L’idée forte...
Le Legal Design c’est une façon de (re)structurer et (re)présenter la règle juridique de manière claire et intelligible.

Vous diriez donc que le Legal Design permet de simplifier le droit ?

- Jean-Julien Jarry :

« Comme les mots ont un sens, je préfère dire que le Legal Design d’informations est une méthode qui vise à clarifier, et non simplifier, le droit.

Lorsque l’on clarifie un texte/un process, l’objectif est de le rendre plus compréhensible sans perdre en information utile. Alors que la simplification conduit souvent à faire des raccourcis qui rendent l’information moins opérationnelle.

De mon point de vue, l’enjeu est justement de réussir à être aussi exhaustif que les textes en étant beaucoup plus clair. C’est pour cela, qu’un Legal Design de qualité oblige à parfaitement maîtriser le sujet abordé. Ce n’est pas en parsemant une infographie ou un support de pictogrammes qu’on fait du bon Legal Design. »

- Sophie Lapisardi :

« Le Legal Design dit d’information (pratiqué au quotidien) - permet de communiquer l’information juridique de manière claire, compréhensible, engageante et impactante pour les non-juristes et pour les juristes.

J’utilise pour ma part 3 techniques structurantes :
• Le design thinking qui permet de placer l’utilisateur au cœur de la solution ;
• La visualisation de l’information juridique qui favorise une plus rapide ;
• Le langage juridique clair qui rend le discours juridique accessible aux non-juristes.

Et sur cette base solide, j’ai ajouté le meilleur des études en sciences cognitives, innovation, créativité et communication. Le tout tient dans un méthode structurée en 5 étapes. »

L’idée forte...
Il faut clarifier sans simplifier, communiquer l’information juridique de manière claire, compréhensible, engageante et impactante.

En quoi cela modifie votre relation effective avec vos clients, comment perçoivent-ils cela ? En quoi cela « réenchante » votre métier et votre relation client ?

- Jean-Julien Jarry :

« Parfois, les juristes ont des difficultés à se faire comprendre des opérationnels et managers. Le problème vient essentiellement du fait qu’ils écrivent « comme des juristes » et comme s’ils s’adressaient à des juristes. Nous parlons et écrivons comme nous le ferions pour nous-même ou nos homologues. C’est une erreur. Comme je le dis, il est indispensable de prendre de la distance entre la structuration de l’information et la « cible » à qui elle est destinée.

Le juriste a tendance, de par sa formation, à rédiger des notes avec une structure « universitaire » (I-a -b ; II –a -b, ....) et un style neutre. Or, il faut essayer de mobiliser un maximum les structures et formules engageantes qui « parlent » et clarifient le message à ceux qui vont le lire.

Toutes ces difficultés pourraient être facilement dépassées, notamment, en travaillant sur l’empathie et l’utilisation du langage juridique clair. Du coup, lorsque je travaille avec nos clients sur leurs documents, ils prennent conscience des freins dans leur communication et nous parvenons rapidement à trouver des solutions.

Ils sont aussi très friands des infographies qui permettent, en un coup d’œil, de comprendre les enjeux juridiques et RH. Certains nous demandent même de réaliser des actions de communication juridique. Dernièrement, nous avons décliné, en infographie, un accord sur le dialogue social. Le thème n’était pas « sexy », mais nous avons réussi à le rendre compréhensible et expliquer concrètement son impact dans la vie des salariés.

Avec la méthode Legal Design, nous nous rapprochons de notre client car ses besoins sont au centre du traitement de l’information. D’ailleurs, une même situation pourrait être solutionnée différemment d’un client à un autre.

Par ailleurs, le Legal Design permet aussi de faire émerger des innovations dans la relation client. Par exemple, en 2020, nous avons développé une plateforme digitale dédiée à la gestion des projets de restructurations. Le digital est au service de l’avocat dans l’intérêt du client. Il faut savoir exploiter les leviers d’innovation que nous offrent les nouvelles technologies. Nous sommes, dans ce cas-là, dans du Legal Design de services. »

- Sophie Lapisardi :

« Mes clients ont tout de suite perçu le Legal design comme une réponse à leurs besoins. La preuve : ils ne cessent de me challenger ! Modèles de contrats clairs, ergonomiques et engageants pour des opérationnels, formations des opérationnels, guides pratiques à destination de non-juristes pour prévenir les risques pour l’entreprise, présentation de montages contractuels avec des schémas, infographies, vidéos en motion design à l’appui d’écritures contentieuses… Les utilisations sont infinies.

C’est effectivement réenchanter sa pratique car ce nouveau mode de pensée ouvre des perspectives infinies : le Legal Design est la porte d’entrée de l’innovation juridique. Elle permet de concevoir des outils technologiques qui correspondent parfaitement aux besoins des utilisateurs. »

L’idée forte...
Se rapprocher de ses clients, remettre leurs besoins au centre de l’intention, et innover par et pour eux.

Pourquoi diriez-vous à vos confrères de s’emparer de cette méthode et quels seraient vos conseils ?

- Jean-Julien Jarry :

« Si nous parlons que du Legal Design d’informations, je pense qu’il s’agit de la méthode la plus accessible. Cela est d’autant plus vrai que beaucoup de confrères y ont déjà recours, sans forcément s’en rendre compte. En effet, dans notre quotidien, nous retraitons souvent l’information avant de la transmettre à notre client. Combien de fois, avons-nous expliqué un dispositif juridique/une règle de droit à un client au travers d’un schéma ? Nous le faisons fréquemment ! Alors, certes cela est rédigé sur un bout de papier ou un tableau, mais la méthode est là.

Ceci étant, il semble intéressant d’envisager un recours et une pratique du Legal Design d’informations plus ambitieux et structuré. Il s’agit d’un véritable enjeu pour nos clients, en particulier, pour les directions juridiques et les services de ressources humaines. En effet, le Legal Design d’informations permet d’améliorer la transmission des informations juridiques et leur bonne application. Dès lors, quand les règles sont clarifiées et comprises, elles augmentent l’engagement des salariés. Le Legal Design contribue ainsi à donner un sens à la politique juridique et des ressources humaines mises en place. »

- Sophie Lapisardi :

« Parce que le droit n’intéresse que les professionnels du droit ! Je m’explique : le droit n’a jamais été aussi présent et le besoin de droit aussi pressant. Mais les utilisateurs, nos clients par exemple, viennent nous voir pour résoudre leurs problèmes, pas pour lire ou écouter un langage abscons. Or, les professionnels du droit n’ont pas été formés à communiquer avec des non-juristes. Le Legal Design va leur permettre de mettre en valeur leur expertise juridique tout en répondant parfaitement à la demande de leurs clients.

Parce que personne n’a le temps de lire. Le Legal Design est également indispensable dans un monde d’infobésité, c’est-à-dire l’excès d’informations qu’une personne ne peut traiter ou supporter sans nuire à elle-même ou à son activité. Nos clients veulent très rapidement trouver la juste information, la comprendre seul, la mémoriser et connaître les actions à mettre en œuvre. Et nous, professionnels du droit, nous voulons exactement la même chose face à une avalanche de textes toujours aussi abscons.

Les magistrats attendent également des avocats des écrits plus concis, plus clairs et qui leur permettent d’accéder plus rapidement et facilement à l’argumentation juridique.

Parce qu’il est urgent pour les professionnels du droit de réinventer leur manière de communiquer et le service apporté à leurs clients. Il faut passer d’une logique d’expert à une vraie logique de service.

Les directions juridiques sont souvent confrontées à une réduction de leurs moyens avec dans le même temps, une augmentation des demandes récurrentes sans réelle valeur ajoutée. Le Legal Design leur permet d’améliorer la collaboration avec leurs clients internes, de se structurer et de gagner en influence au sein de l’entreprise.

Quant aux cabinets d’avocats, les enquêtes ne cessent de montrer qu’un (énorme) pan de la population et des PME a besoin de droit mais ne fait pas appel à eux. Il y a manifestement un problème. De plus, les cabinets d’avocats sont confrontés à une clientèle de plus en plus volatile et doivent travailler sur leur proposition de valeur. Le Legal Design permet de développer sa clientèle, de fidéliser ses clients et de mobiliser et fidéliser son équipe.
Le pratiquer c’est porter un autre regard sur notre expertise, notre pratique, la mettre réellement en valeur. »

L’idée forte...
Il est temps de passer de passer d’un legal design d’informations intuitif à un legal design structuré, et de passer d’une logique d’expert à une logique de service.

Pour finir sous forme de conseil : comment faire du « bon » Legal Design ? Et quels seraient vos conseils pour commencer ?

- Jean-Julien Jarry :

« Pour mettre en œuvre une démarche de Legal Design pertinente, il faudrait mettre en place, notamment, une équipe pluridisciplinaire (graphistes, UX Designers, marketeurs...). Toutefois, en état réaliste, tous nos confrères, les directions juridiques et RH ne sont pas, aujourd’hui, en capacité de consacrer un budget et du temps pour s’entourer d’autant de personnes.

Ceci étant, je pense qu’il est tout à fait possible de faire un travail de qualité en respectant les fondamentaux suivants :
▪ Se mettre en empathie, c’est-à-dire se mettre à la place du client/de l’utilisateur pour ressentir la manière dont l’information va être perçue ;
▪ Déconstruire la règle juridique afin de repérer les éléments importants à transmettre ; 
▪ Conceptualiser une nouvelle pensée juridique globale avec un fil conducteur
▪ Utiliser un langage clair permettant d’être compris par notre client/l’utilisateur ;
▪ Créer de l’émotion avec des visuels impactants, un choix de couleurs pertinent, en évoquant une culture commune et pourquoi pas un peu d’humour. 

Mon conseil : essayez, faites des erreurs, recommencez... Il faut sortir de sa zone de confort et tenter l’expérimentation de la méthode. Un travail rigoureux, créatif et un sens de l’écoute des besoins du client (exprimés ou latents) sont les éléments pour réussir. »

- Sophie Lapisardi :

« Pour commencer, oubliez votre ordinateur, les couleurs, les pictos et autres fioritures !

Soyez juste prêt à porter un autre regard sur votre activité et les besoins des clients. Soyez prêt à changer d’état d’esprit. A partir des besoins, des attentes de vos clients plutôt que du droit. Et ça change tout !

Ensuite, le plus efficace et rapide est d’être formé avec une méthode structurée et éprouvée. »

L’idée forte...
Tentez l’expérimentation de la méthode, avec créativité et écoute, portez un autre regard sur votre activité !

Propos recueillis par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice
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