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Comment anticiper le déséquilibre significatif entre commerçants ? Par Axel Poncet, Avocat.
Parution : jeudi 11 février 2021
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Dans un souci de protéger la partie dite faible, le législateur français impose que tout contrat soit équilibré et qu’il ne contienne pas d’avantage sans contrepartie. En d’autres termes, le contrat ne doit pas présenter de déséquilibre significatif. Cette notion lourdement sanctionnée doit être anticipée par le rédacteur de contrat par une approche pratique et concrète de la relation contractuelle envisagée.

Dans un souci de protéger la partie dite faible, le législateur français impose que tout contrat soit négocié, équilibré et qu’il ne contienne pas d’avantage sans contrepartie. En d’autres termes, le contrat ne doit pas présenter de déséquilibre significatif.

Le déséquilibre significatif est une notion transversale du droit civil, commercial et de la consommation. On la retrouve donc :

- à l’article 1171 du Code civil :

« Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation
 » ;

- à l’article L212-1 du Code de la consommation :

« Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat (...) » ;

 

- à l’article L442-1 du Code de commerce :

« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;
2° De soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (...)
 ».

Champ d’application du déséquilibre significatif.

Entre commerçants, la notion de déséquilibre significatif était initialement pensée pour le secteur de la grande distribution. Mais la notion de « partenaire commercial » de l’article L442-6 ancien du Code de commerce a été remplacée par celle d’ « autre partie » dans l’article L442-1 nouveau du même code, de sorte qu’elle s’applique désormais à toute matière.

Par ailleurs, dans un contexte international, la jurisprudence considère que les dispositions relatives au déséquilibre significatif sont des lois de police, qui sont donc d’application immédiate et font échec à la règle de conflit. En conséquence, elles seront appliquées par le juge même si le contrat prévoit l’application d’une loi étrangère [1].

Appréciation du déséquilibre significatif.

Le déséquilibre significatif est apprécié in concreto : le juge apprécie d’une part la clause litigieuse elle-même, mais également les circonstances dans lesquelles elle a été conclue (a-t-elle fait l’objet de négociations ? S’agit-il d’un contrat d’adhésion ?), ainsi que le contrat dans son ensemble (la clause litigieuse est-elle rachetée par une autre ?), voire d’autres contrats en cas d’interdépendance contractuelle.

Il est donc primordial pour le rédacteur de contrats d’avoir une approche non pas dogmatique mais très concrète des rapports contractuels.

Le 2 septembre 2019, le Tribunal de commerce de Paris a rendu un jugement très pédagogique, censurant plusieurs clauses d’un contrat liant Amazon à ses revendeurs tiers (« market place ») pour déséquilibre significatif.

Par exemple, la clause selon laquelle « nous pouvons résilier ou suspendre ce contrat ou un service avec effet immédiat pour toute raison et à n’importe quel moment par simple notification » a été censurée car :
- elle contient des termes trop imprécis (« pour toute raison », « à n’importe quel moment ») ;
- elle permet à Amazon de rompre brutalement les relations commerciales ;
- elle ne contient pas de motifs précis de rupture ;
- l’absence de préavis ne saurait être justifiée que dans les cas les plus graves.

Il convient donc d’être le plus précis et le plus exhaustif possible, ainsi que d’éviter les tics de langage tels que « dans les meilleurs délais », « par exemple », « notamment », qui sont vecteurs d’incertitude chez la partie faible.

Autre illustration : une clause prévoyait la possibilité pour Amazon de modifier unilatéralement et sans préavis le contrat, arguant du fait que la gestion de 170 000 revendeurs impliquait nécessairement une certaine automatisation. Le revendeur en désaccord avec la modification avait, selon cette clause, la possibilité de résilier.

Le tribunal a censuré cette clause, estimant que l’automatisation n’empêchait pas d’appliquer un préavis à la modification du contrat, et que la résiliation en cas de désaccord était impossible dans les faits puisqu’elle impliquerait de la part des revendeurs une réorganisation complète et une perte immédiate de chiffre d’affaires. Le tribunal a également relevé que les modifications n’étaient annoncées que par affichage sur un site web alors même qu’elles pouvaient porter sur

« des éléments essentiels de l’équilibre contractuel » (taux de commission, délais de réclamation…).

On voit une fois de plus à travers cet exemple que le juge examine de manière très concrète comment le contrat est exécuté et quelles en sont les conséquences sur la partie faible en terme d’organisation de ses process, de chiffre d’affaires ou bien encore tout simplement de modalités d’information quant aux modifications contractuelles.

Sanction du déséquilibre significatif.

En matière commerciale, le déséquilibre significatif est sanctionné par la nullité des clauses déséquilibrées, le remboursement de toute somme indument versée, une amende civile dont le montant est plafonné au plus élevé des trois montants suivants : 5 millions d’euros, 5% du chiffre d’affaires ou le triple des sommes indument perçues, une éventuelle astreinte et la publication systématique de la condamnation, ce sans préjudice d’éventuels dommages-intérêts [2].

Axel Poncet Avocat au barreau de Paris https://www.poncet-avocat.com

[1Exemple : arrêt « Expedia », Cour d’appel de Paris, 21 juin 2017, n°15/18784.

[2Article L442-4 du Code de commerce.