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Marketplace Locale : le guide pratique pour lancer son projet. Par Gerard Haas et Paul Benelli, Avocats.
Parution : jeudi 11 février 2021
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Nous assistons dernièrement à la multiplication des Marketplaces locales (ou « plateformes de proximité ») créées par des collectivités publiques (villes, départements, agglomérations…) soucieuses de préserver l’attractivité de leur territoire et de dynamiser leurs commerces de proximité.

En effet, la Marketplace s’impose comme une solution innovante permettant aux collectivités de démultiplier les contacts entre les commerçants et les consommateurs à l’échelle locale. En tant que garante du tissu social et économique, la collectivité publique a naturellement vocation à intervenir comme opérateur de plateforme en ligne.

La réussite d’un projet de plateforme nécessite néanmoins la prise en compte du cadre juridique applicable et de déterminer le niveau de responsabilité de la collectivité publique en charge de l’exploitation de la Marketplace.

S’assurer de la capacité de la collectivité publique à agir en tant qu’opérateur de plateforme en ligne.

La loi nº 2016-1321 du 7 octobre 2016 [1] définit l’opérateur de plateforme en ligne à l’article L111-7 du Code de la consommation comme « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

1° Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; (comme les sites de bonnes annonces ou les comparateur).

2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service (On fait ici référence aux places de marché ou "Marketplaces") ».

Toutefois, la collectivité publique souhaitant créer une plateforme locale doit tout d’abord se demander si, du fait de son statut, elle peut agir en tant qu’opérateur de plateforme en ligne. En effet, deux conditions doivent être réunies :
- La collectivité publique doit agir dans le cadre de ses compétences, soit que celles-ci soient mentionnées dans un texte, soit qu’elles s’inscrivent dans le cadre de la clause de compétence générale.
- La collectivité publique doit agir dans le cadre d’un intérêt public local, qui peut être apprécié au regard de divers éléments.

En effet, l’intérêt public local peut notamment résulter de l’insuffisance ou de la carence de l’initiative privée [2].
Par exemple, si une collectivité publique constate qu’aucune plateforme de mise en relation des entreprises et des consommateurs n’est disponible sur son territoire, elle pourra personnellement prendre en charge cette activité.

L’intérêt public local peut également s’apprécier au regard des besoins futurs de développement des collectivités publiques [3].
Ainsi, une collectivité pourra tout à fait justifier la création d’une Marketplace locale par la nécessité de digitaliser son territoire à l’ère numérique par exemple.

De même, la liberté du commerce et de l’industrie ne s’oppose pas à ce que les collectivités publiques satisfassent, par leurs propres moyens, aux besoins de leurs services [4].

En effet, créer une Marketplace locale mettant en relation les commerçants et les consommateurs permet de répondre aux besoins de la population et des entreprises, particulièrement à l’heure de la crise sanitaire.

Ainsi, si son statut lui permet d’agir en tant qu’opérateur de plateforme en ligne, la collectivité publique doit toutefois respecter le cadre légal applicable à la Marketplace.

Respecter les obligations applicables à toute plateforme en ligne.

Au-delà de ses propres obligations traditionnelles incombant à toute collectivité publique, la collectivité voulant créer une plateforme en ligne (et notamment une marketplace) devra respecter les obligations spécifiques liées à un tel projet.

a) Si la collectivité cherche à réaliser une plateforme BtoC (à destination de consommateurs).

- Dans le cadre de ses relations avec ses utilisateurs consommateurs, la collectivité publique agissant en tant qu’opérateur de plateforme en ligne devrait être liée à des obligations de transparence et de loyauté, listées à l’article L.111-7 et suivants du Code la consommation.
En effet, l’opérateur est en principe tenu de délivrer aux consommateurs une information loyale, claire et transparente concernant notamment :
- Les modalités de référencement des biens ou services,
- L’existence d’une relation contractuelle ou d’une relation capitalistique susceptible d’influencer le référencement des biens ou services,
- La qualité de l’annonceur,
- Les droits et obligations des parties en matière fiscale,
- Les modalités de contrôle des avis publiés sur la Plateforme.

- Dans le cadre de ses relations avec ses utilisateurs professionnels, la collectivité publique ayant la qualité d’opérateur de plateforme en ligne sera aussi liée par les obligations issues du Règlement européen « Platform to Business » (P2B) [5] du 20 juin 2019, applicable depuis le 12 juillet 2020. Ce Règlement impose notamment :
- L’encadrement des procédures de suspension ou de fermeture de comptes vendeurs,
- La loyauté dans l’information transmise aux utilisateurs,
- La transparence sur les conditions de référencement,
- La transparence concernant les modalités d’accès aux données, y compris les données personnelles,
- La diffusion de codes de bonne conduite,
- La mise en place d’un système interne de traitement des plaintes et de médiation.

- Enfin, la Collectivité sera liée par l’ensemble des obligations fiscales incombant à tout opérateur de plateforme en ligne.

A ce titre, la Collectivité devra d’abord informer ses utilisateurs sur leurs propres obligations fiscales, tant à chaque transaction qu’une fois par an, par l’intermédiaire d’un récapitulatif annuel.

Ensuite, la Collectivité devra avoir à l’esprit qu’elle est dans l’obligation d’adresser à l’administration fiscale un document récapitulatif annuel l’informant de toutes les transactions réalisées par chaque Utilisateur dès lors que ce dernier a réalisé plus de 20 transactions, représentant plus de 3 000 euros.
Ce récapitulatif devra lui être adressé au plus tard le 31 janvier de l’année qui suit celle au cours de laquelle les opérations récapitulées dans le document ont été réalisées, en respectant un cahier des charges strict.

b) Si la collectivité cherche à réaliser une plateforme BtoB (entre professionnels).

Dans l’hypothèse où la Collectivité souhaiterait réaliser une plateforme « BtoB », alors elle ne sera, en principe, tenue que par les obligations fiscales précitées.

Elle sera donc libre de respecter volontairement les obligations applicables aux plateformes BtoC afin de mettre la transparence et la loyauté au cœur de ses engagements.

- Avoir conscience du régime de responsabilité applicable à la Marketplace

La Marketplace est liée à un régime de responsabilité à deux niveaux :

- Une responsabilité limitée dans le cadre des transactions conclues par son intermédiaire. En effet, un opérateur de plateforme en ligne agit traditionnellement comme un courtier [6], entendu comme un intermédiaire responsable de la mise en relation des parties, sans pour autant être garant de la bonne exécution de la transaction réalisée par son intermédiaire.

- Une responsabilité liée aux contenus, qui diffère suivant le statut de la Plateforme, qui peut avoir la qualité d’hébergeur ou d’éditeur.

Si la Plateforme est simplement hébergeur du contenu, elle n’engagera sa responsabilité que si elle n’a pas réagi suite à une notification de contenu illicite [7]. Par exemple, si la Marketplace locale n’intervient pas dans la rédaction des contenus, publiés sous la seule responsabilité des commerçants, elle aura la qualité d’hébergeur, liée à une responsabilité limitée.

Si la Plateforme est éditeur du contenu, elle engagera sa responsabilité de plein droit en cas de diffusion d’un contenu illicite [8]. Ce pourra être le cas si la Marketplace locale contrôle les contenus, en ayant un contrôle effectif sur ces derniers.

Ainsi la marketplace peut effectivement être une solution idoine pour (re)dynamiser un territoire.

La Collectivité publique a ainsi naturellement vocation à devenir opérateur d’une plateforme en ligne dans la mesure où, traditionnellement, un de ses rôles est de créer du lien dans le tissu social et économique.

La Collectivité devra néanmoins porter une attention particulière au cadre juridique applicable pour concilier ses objectifs économiques, sociaux et bien sûr politiques.

Gerard HAAS Docteur en droit Avocat associé fondateur du Cabinet HAAS Avocats Paul BENELLI Avocat collaborateur au sein du Cabinet HAAS Avocats

[1Loi nº 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

[2CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze.

[3CE, 18 mai 2005, Territoire de la Polynésie française.

[4CE, 27 juin 1936, Bourrageas, puis CE, 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image et autres.

[5Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne.

[6CA de Paris, 25 mai 2012 : eBay répond au statut de courtier en ligne.

[7TGI de Paris, 28 juin 2019, Jansport Apparel c/ Cdiscount.

[8TJ de Paris, 5 juin 2020, Airbnb.