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Délit de banqueroute et prescription des faits commis après le jugement d’ouverture. Par Baptist Agostini-Croce, Elève-Avocat.
Parution : vendredi 12 février 2021
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Un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté une précision bienvenue concernant le point de départ du délai de prescription en matière de banqueroute, lorsque les faits sont postérieurs au jugement d’ouverture.

La banqueroute est une infraction encadrée par les articles L654-1 à L654-7 du Code de commerce.

Il s’agit tout d’abord d’une infraction attitrée, en ce que les dispositions qui la régissent indiquent que ce délit ne peut être commis que par certaines personnes dotées d’une certaine qualité.

Ainsi, les commerçants, artisans, agriculteurs, les personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante et les dirigeants (de droit ou de fait) peuvent se rendre coupables de l’infraction de banqueroute (C. Com, art L654-1).

Au-delà de la personne de l’auteur, le délit de banqueroute nécessite une autre condition préalable, à savoir l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire (C.Com, art L654-2). Or, ces deux cas ne pouvant intervenir qu’après cessation des paiements, il est acquis que le délit de banqueroute ne peut se concevoir que si une personne physique ou morale est en état de cessation des paiements, constaté par un jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire [1].

En vertu de l’article L654-2 du Code de commerce, le délit de banqueroute peut être commis selon cinq modalités différentes :
- Avoir, dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
- Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur ;
- Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ;
- Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou de la personne morale ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ;
- Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales.

L’ensemble de ces hypothèses sont bien évidemment intentionnelles.

Mais quid de la prescription en matière de banqueroute ?

Si l’article 8 du Code de procédure pénale dispose que l’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise, l’article L654-16 du code de commerce prévoit un point de départ différent en matière de banqueroute puisque celui-ci précise que la prescription ne court que du jour du jugement ouvrant la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire lorsque les faits incriminés sont apparus avant cette date.

En revanche, lorsque les faits sont commis postérieurement à celle-ci, la loi reste muette. La doctrine majoritaire estimait qu’il convenait de raisonner comme en matière d’abus de biens sociaux, en retenant comme point de départ du délai de prescription le jour où les faits délictueux sont apparus et ont été constatés dans des conditions qui permettent l’exercice de l’action publique [2].

Cependant, un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 25 novembre 2020 [3] à apporter une précision bienvenue en matière de prescription de l’action publique concernant le délit de banqueroute, lorsque les faits sont commis postérieurement au jugement d’ouverture.

En l’espèce, le 18 novembre 2011, un créancier d’une entreprise de maîtrise d’œuvre a adressé au procureur de la République un courrier pour l’informer du litige l’opposant à la société débitrice.

Cette entreprise a été placée en redressement judiciaire entre le 13 novembre 2002 et le 27 mars 2009, date à laquelle une procédure de liquidation judiciaire a été ouverte.

Or, des virements ont été effectués par l’entreprise entre les mois d’avril 2008 et de mars 2009 pour un montant de 52 300 euros, au profit d’une autre société dont la gérance était assurée par la même personne physique. Cette société a par ailleurs obtenu en 2006 un crédit immobilier lui permettant de construire une maison d’habitation qui s’est avéré être, outre le siège social de la société, la résidence principale de son gérant.

En première instance, le gérant a été condamné par le tribunal correctionnel du chef de banqueroute et la société du chef de recel. Appel étant interjeté, le gérant a soulevé l’exception de prescription, laquelle fut écartée par la juridiction du second degré en application de la jurisprudence propre aux infractions occultes ou dissimulées. La cour d’appel a estimé que le délai de prescription n’a commencé à courir qu’à compter du jour de la dénonciation des faits, rendant alors un arrêt conforme au point de vue de la doctrine.

Cependant, un pourvoi a été formé et a conduit la chambre criminelle de la Cour de cassation à censurer partiellement l’arrêt de la cour d’appel.

Trois éléments importants ressortent en effet de cette décision :
- Dans l’hypothèse où le délit de banqueroute est commis par le fait d’avoir détourné tout ou partie de l’actif du débiteur, il ne s’agit pas d’une infraction occulte par nature, au regard de ses éléments constitutifs ;
- Lorsque les faits se sont déroulés entre l’ouverture d’une procédure de redressement et l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, il n’y a pas lieu de repousser le point de départ du délai de prescription à compter de la seconde procédure. L’action publique commence donc à se prescrire dès l’ouverture de la première d’entre elles ;
- Lorsque le détournement constitutif du délit de banqueroute a été réalisé postérieurement au jugement ouvrant une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le délai de prescription court à compter de la date de commission des faits, sauf s’il est établi que l’infraction a été délibérément dissimulée.

Dans le débat concernant le délai de prescription pour des faits postérieurs à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation a désormais tranché.

L’infraction de banqueroute ne semblerait donc pas se prescrire comme en matière d’abus de biens sociaux. Seule une dissimulation permettrait que ce délit propre aux procédures collectives se prescrive comme tel.

Ainsi, lorsque les faits sont commis a posteriori, c’est la lettre de l’article 8 du Code de procédure pénale qui prévaut.

Baptist Agostini-Croce Elève-Avocat www.agostinicroce-avocat.com [->bac@agostinicroce-avocat.com]

[1Cass. Crim., 5 mars 2014, n°12-85.587 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028702701/

[2F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais, A. Honorat, « Redressement et liquidation judiciaires des entreprises : cinq années d’application de la loi du 25 janvier 1985 » : Dalloz, 1991, 3e éd., p. 468, n° 623. - JH. Robert, « Banqueroute et autres infractions : commentaire des dispositions pénales de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 », Dr. pén. 2005, étude 15, n° 27.

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