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Décryptage critique de « L’affaire du siècle » : une décision limitée mais encourageante. Par Chloé Schmidt-Sarels, Avocate.
Parution : samedi 13 février 2021
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L’Etat vient d’être reconnu responsable pour n’avoir pas assez agi pour réduire les émissions de CO2, dans l’attente d’une condamnation tendant à la réparation du préjudice écologique.

Un premier jugement vient d’être rendu par le Tribunal administratif (TA) de Paris le 3 février 2021 dans le cadre de « l’affaire du siècle », un recours introduit par plusieurs associations tendant à engager la responsabilité de l’Etat, du fait de ses carences fautives dans la lutte contre le changement climatique, ainsi que la reconnaissance de l’existence d’un préjudice écologique.

La responsabilité limitée de l’Etat s’agissant seulement de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les associations requérantes ont soulevé plusieurs carences fautives imputables à l’Etat, correspondant à l’insuffisance :
- De l’amélioration de l’efficacité énergétique ;
- De l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie ;
- Des objectifs pour limiter le réchauffement à 1,5 ° ;
- Des mesures d’évaluation et de suivi des mesures d’adaptation ;
- Des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Toutefois, le juge n’a retenu que le dernier des cinq moyens exposés ci-dessus, à savoir la carence à l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Il a été jugé que l’Etat n’avait pas respecté le premier budget carbone et n’avait pas réalisé les actions qu’il avait lui-même reconnues comme étant susceptibles réduire ces émissions.

Cette carence fautive est de nature à engager la responsabilité de l’Etat s’agissant du préjudice écologique reconnu.

Il s’agit donc d’une responsabilité limitée mais qui mérite d’être soulignée.

Par ailleurs, le TA a estimé que même si l’Etat pouvait atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre en 2030 et de neutralité carbone en 2050, cette circonstance n’était pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité. En effet, dès lors que le non-respect des objectifs fixés engendre des émissions de gaz à effet serre supplémentaires, ces émissions se cumulent dans le temps et aggravent ainsi le préjudice écologique reconnu.

La reconnaissance d’un préjudice écologique.

Le juge a fait application des dispositions du code civil, notamment ses articles 1246 et 1247, reconnaissant l’effectivité et la réparation du préjudice écologique.

Ainsi, le TA de Paris a explicitement reconnu l’existence d’un préjudice écologique. Il a d’abord constaté que l’augmentation de la température globale moyenne de la Terre était principalement due aux émissions de gaz à effet de serre.

Ce réchauffement anthropique, entraîne une modification de l’atmosphère et ses fonctions écologiques et provoque de nombreux désordres environnementaux ayant des conséquences graves et irréversibles, tant sur l’environnement que sur l’activité et la santé des humains.

Une réparation personnelle des associations requérantes dans l’attente de la réparation du préjudice écologique.

En reconnaissant la responsabilité de l’Etat dans l’existence d’un préjudice écologique, le juge a seulement condamné l’Etat au versement d’un euro aux associations requérantes, au titre de leur préjudice moral.

Cette condamnation, symbolique, s’avère momentanément déconnectée de la réparation du préjudice écologique.

En effet, l’article 1249 du code civil dispose que la réparation du préjudice écologique s’effectue par priorité en nature (par la prise de mesures) et que ce n’est qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation que le juge condamne la personne responsable à verser des dommages et intérêts au demandeur (ceux-ci étant affectés à la réparation de l’environnement).

Or, le TA de Paris a relevé que les associations requérantes ne démontraient pas que l’Etat serait dans l’impossibilité de réparer en nature le préjudice écologique dont il a été reconnu responsable. Dans ces conditions, la demande des associations requérantes, tendant à ce que l’Etat soit condamné au versement d’un euro symbolique en réparation du préjudice écologique dont il a été reconnu responsable, a été rejetée.

Vers la réparation du préjudice écologique ?

Le juge, considérant que l’Etat ne pouvait être regardé comme responsable du préjudice écologique que s’agissant de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a estimé que seules les conclusions à fin d’injonction relatives à ces carences fautives étaient recevables.

Toutefois, le juge a estimé que l’état de l’instruction ne lui permettait pas de déterminer avec précisions les mesures qui doivent être ordonnées à l’Etat et a, en conséquence, prononcé un supplément d’instruction avant-dire droit.

Or, ce mécanisme procédural ne consiste qu’à ce que les observations non communiquées des ministres compétents le soient à l’ensemble des parties dans un délai de deux mois. Ce qui laisse perplexe sur le jugement à intervenir.

Alors, à l’issue du supplément d’instruction, d’ici deux mois, le TA de Paris sera-t-il en mesure de déterminer quelles sont les mesures qui pourront être ordonnées à l’Etat, tendant à la réparation en nature du préjudice écologique dont il a été reconnu responsable ?

Et, à défaut de pouvoir réparer le préjudice écologique en nature, le juge sera-t-il en mesure de déterminer le montant des dommages et intérêts que l’Etat devra verser aux associations requérantes au titre de la réparation du préjudice écologique ?

« L’affaire du siècle » est, assurément, une affaire à suivre !

Chloé Schmidt-Sarels Avocate en droit public www.css-avocate.fr