Village de la Justice www.village-justice.com

Guide juridique complet des Dark Kitchen (restaurants virtuels). Par Baptiste Robelin, Avocat.
Parution : lundi 15 février 2021
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/guide-juridique-complet-des-dark-kitchen-restaurants-virtuels,38094.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Egalement appelé « restaurant virtuel » ou « Ghost kitchen », le concept de « Dark kitchen » connaît un succès croissant, accru avec le confinement et la fermeture des restaurants physiques.
Ce concept soulève une foule de questions juridiques pratiques (forme sociale, flexibilité du bail, formation hygiène HACCP, déclarations auprès de la DDPP, permis d’exploitation, etc.) et pose plusieurs défis à l’avenir (dépendance économique aux plateformes sur Internet, risques de concurrence déloyale, question sociale du statut des livreurs….).

Qu’est-ce qu’une « Dark kitchen » ?

Ce terme regroupe en réalité plusieurs situations :
- Au sens premier, il s’agit d’une structure qui n’est pas destinée à recevoir de la clientèle, mais qui est optimisée pour la vente à emporter (livraison à domicile). En ce sens, les locaux des Dark kitchen ne sont composés que d’une cuisine et n’ont pas de salle de restaurant pour accueillir les clients. Les Dark kitchen n’ont pas non plus besoin de serveurs ;
- Sur un plan plus technique, les Dark kitchen peuvent aussi être caractérisées par des sociétés spécialisées qui vont se charger de la location du local, en le divisant en plusieurs espaces de cuisines "clé en main", loués par différents restaurateurs. La société s’occupera de fournir le local, faire le ménage et parfois même de fournir les denrées alimentaires. Certaines plateformes de livraison investissent massivement dans ces espaces, sorte de "coworking" de la restauration, afin d’assurer leur présence à tous les échelons de la chaîne de distribution de repas à domicile ;
- Dernière possibilité : un laboratoire équipé d’une cuisine avec extraction, qui livre d’autres restaurants virtuels ou physiques en centre-ville, lesquels n’ont plus qu’à réchauffer, conditionner, et livrer les plats préparés sous leur enseigne.

Dans tous les cas, le concept de Dark Kitchen (restaurant virtuel) a pour but d’optimiser les charges, en se focalisant uniquement sur la vente de repas livrés à domicile, commandés en ligne sur des plateformes de livraison spécialisées (Ubereat, Deliveroo...).

C’est un nouveau mode de restauration qui, grâce à une optimisation des charges, permet de générer une rentabilité souvent plus importante qu’un restaurant classique, en échappant aux contraintes architecturales et règlementaires d’une salle d’accueil du public (ERP, normes handicapées, etc.).

Ce type de structure ne souffre pas de la crise sanitaire de la covid-19 comme la plupart des autres restaurateurs, ce qui s’explique facilement : les cuisines sont optimisées pour la livraison (donc plus rapides) et les loyers sont généralement moins chers, l’établissement ayant besoin d’une surface peu importante et pouvant se situer ailleurs qu’en centre-ville (en zone périurbaine). C’est tout l’avantage d’une zone de chalandise virtuelle : certes, le périmètre reste un élément clé en restauration, car on ne peut pas livrer un repas chaud sur une distance trop grande, mais la clientèle potentielle est bien plus importante qu’une simple clientèle de quartier, attachée à sa boutique physique. Ces structures virtuelles offrent en outre une adaptabilité extraordinaire : on charge de marque, de produits, voire d’enseigne, du jour au lendemain, en un "click" en ligne.

Sur un plan juridique, plusieurs questions découlent de ce phénomène.

La structure juridique pour accueillir la Dark kitchen : SARL, SAS ou microentreprise.

Sur un plan juridique, les Dark Kitchen sont des sociétés comme les autres. En France, elles peuvent être exploitées sous forme de SAS ou SARL, ou bien EURL et SASU s’agissant de leurs formes unipersonnelles. Le choix dépendra essentiellement des avantages sociaux et fiscaux attachés à chacune de ces structures et il est vivement conseillé aux associés de prendre conseil auprès d’un spécialiste pour déterminer la forme sociale adaptée à leur projet.

Attention toutefois : ceux qui envisagent de se développer rapidement grâce à des levées de fonds (par exemple pour exploiter leur concept sous forme de franchise) auront intérêt à préférer la SAS, seule forme juridique autorisée à émettre des obligations en droit français. Cela facilitera leur croissance dans le futur.

Inversement, ceux qui souhaitent exploiter leur concept seul, sans associé, pourront opter pour la microentreprise, avec les avantages comptables et fiscaux qui en découlent.

Le contrat de location pour la Dark kitchen : bail commercial ? prestation de services ou bail précaire ?

Les Dark kitchen, qui par essence ne reçoivent pas de public, ont d’autres besoins que les restaurants traditionnels.

Ces établissements sont généralement à la recherche de souplesse et de flexibilité. L’idée est de pouvoir s’installer rapidement, tester immédiatement son concept de repas et, si cela ne marchait pas, pouvoir plier bagage, déménager, ou bien changer de concept de cuisine et éventuellement d’équipe.

Ces structures ne sont pas attachées à la localisation comme un restaurant traditionnel, et peuvent facilement déménager sans perdre leur clientèle.

Dans ces conditions, la durée importante d’un bail commercial standard (3,6,9) peut poser problème. Régulièrement, les restaurateurs utilisent les Dark kitchen de manière provisoire afin de tester leur commerce ou encore avant de s’installer dans un local commercial plus traditionnel.

Deux alternatives au bail commercial sont généralement envisagées :

Le contrat de prestation de services avec mise à disposition d’un espace de travail (cuisine) : c’est le type de contrat que l’on retrouve souvent pour les espaces de coworking (type We Work, Spaces). L’idée est que le « bailleur » ne se limite pas à mettre à disposition de son « locataire » une surface. Le contrat est plus complet, puisqu’il inclut également la fourniture de prestation de services annexes (on parle donc plutôt de relation entre « prestataire de services » et « client »).

Dans le tertiaire, le service comprend généralement la mise à disposition d’un bureau équipé, d’une connexion internet et d’un service de traitement du courrier. Pour les Dark kitchen, on pense évidemment à la mise à disposition d’un espace de cuisine professionnelle toute équipée, permettant au restaurateur de venir s’installer en bénéficiant d’un outil de travail clé en main. Quand les locaux sont fournis par les plateformes de livraison elles-mêmes, le service inclut généralement le référencement du restaurant sur Internet et la livraison des repas.

Autre possibilité : la conclusion d’un bail dérogatoire de courte durée (d’une durée maximale de 3 ans). Ce type de contrat offre évidemment une grande flexibilité à la structure exploitant le restaurant virtuel. Toutefois attention : contrairement au bail commercial classique, le bailleur n’est pas obligé d’indemniser son locataire s’il décidait de ne pas renouveler le contrat (pas d’indemnité d’éviction en matière de bail dérogatoire). Ce type de bail n’est donc pas adapté si le locataire est tenu d’engager des dépenses d’installation importantes (par exemple, de financer lui-même les équipements de la cuisine) en particulier si ces aménagements sont inamovibles. Il risquerait de perdre les investissements réalisés à l’expiration du contrat, sans avoir eu le temps nécessaire pour les amortir comptablement.

Focus sur le préavis : quel que soit le contrat choisi (bail dérogatoire, contrat de prestation de services ou bail commercial 3,6,9 classique) le restaurateur doit être attentif à la flexibilité conférée par le contrat et au délai de préavis, pour continuer à bénéficier de la souplesse inhérente au concept des restaurants virtuels.

Focus sur la vente à emporter : surtout, ne pas oublier de vérifier si le contrat autorise la vente à emporter et l’activité de livraison à domicile. Dans les baux commerciaux classiques, la destination de « restauration » ou « petite restauration » n’implique pas par elle-même une autorisation de procéder à de la livraison, activité accessoire qui doit être précisée dans le bail. Il faut en outre vérifier si la vente à emporter n’est pas interdite par la copropriété.

Quel est le Code NAF des Dark Kitchen ?

Le code NAF (nomenclature d’activité française) ou code APE ( activité principale exercée) est un code délivré par l’INSEE au moment de l’immatriculation de l’entreprise, permettant d’identifier la branche d’activité du commerce concerné.

Pour les Dark Kitchen, le code APE/NAF paraissant le plus adapté est celui de la « Restauration rapide » (5610C) , autorisant la fourniture d’aliments et de boissons à consommer sur place ou à emporter, présentés dans des conditionnements jetables.

Rappelons que la Dark Kitchen, par définition, ne permet pas d’accueil de public sur place (c’est tout l’intérêt du dispositif). Dès lors, le code Naf de la restauration traditionnelle (5610A), qui concerne l’activité de restauration avec un service à table, ne nous semble pas adapté. Mais la question reste discutable et en pratique, certains restaurants virtuels ont pu choisir ce code APE.

Autre hypothèse parfois envisagée : le code NAF de l’activité de traiteurs qui, dans certaines conditions, paraît être possible (notamment pour les restaurants qui seraient spécialisés dans la production de repas liés à des occasions particulières).

La qualification du code Naf aura notamment des conséquences sur la convention collective applicable en matière de droit du travail pour les employés de la Dark kitchen. Rappelons qu’il est toujours possible de contester le code NAF/APE qui vous a été attribué, si vous considérez qu’il n’est pas adapté à votre activité.

Faut-il suivre la formation hygiène pour exploiter une Dark kitchen ?

Dès lors qu’il y a manipulation de denrées alimentaires, l’exploitant doit s’inscrire à une formation Hygiène alimentaire. Ceci découle d’une norme européenne (le « Paquet Hygiène » ou encore « Food Law »), intégrée en droit français notamment par l’article L233-4 du Code rural et de la pêche maritime.

Soyons précis : toute personne travaillant au sein d’un restaurant est tenue d’être sensibilisée et formée à l’hygiène (c’est une obligation de formation qui pèse sur l’employeur à l’égard de ses salariés dans ce secteur).

Mais une personne, au moins, parmi les effectifs de l’établissement, doit en outre avoir suivi une formation particulière en matière d’Hygiène alimentaire (Décret n°2011-731 du 24 juin 2011). Le plus souvent, ce sera le chef d’entreprise qui suivra cette formation (mais il n’est pas obligatoire que cela soit lui).

Dans la mesure où les Dark kitchen sont des établissements de production, transformation et vente de produits alimentaires, elles sont soumises à cette règlementation. La formation Hygiène alimentaire a notamment pour but de permettre aux opérateurs de :
- Déterminer les enjeux de leur responsabilité en termes d’hygiène (distinction des obligations de moyens et de résultat) ;
- Identifier les autorités en charge des contrôles sanitaires (agents de la DDPP, services vétérinaires et services de la répression des fraudes, etc.) ;
- Repérer les risques physiques, chimiques et biologiques et les risques de toxi-infections alimentaires (TIAC) ;
- Connaître les procédures en cas de contrôles par les autorités administratives, et leurs conséquences juridiques.

En principe, la formation Hygiène alimentaire s’étale sur une durée de deux jours. En revanche, elle n’a pas de durée de validité par la suite (il n’est donc pas d’obligatoire de la renouveler).

Certains professionnels peuvent, sous conditions, demander à être exemptés du suivi d’une formation en hygiène alimentaire, notamment s’ils peuvent démontrer une expérience minimum de 3 ans en tant que représentants légaux d’une entreprise du secteur alimentaire ou en qualité de responsables d’établissement ou gestionnaires.

Peuvent également être dispensées de suivre une formation Hygiène alimentaire les personnes pouvant justifier de certains diplômes du secteur de l’hôtellerie et de la restauration (la liste complète est fixée par arrêté du 25 novembre 2011). C’est notamment le cas des personnes titulaires d’un brevet d’études professionnelles de la restauration et de l’hôtellerie ou brevet d’études professionnelles Restauration, option cuisine.

En cas de non-respect de l’obligation du suivi de cette formation, le professionnel pourrait se voir délivrer une mise en demeure d’avoir à s’y conformer. A défaut, il s’exposerait à une contravention de 5e classe, avec une amende pouvant s’élever jusqu’à 3 000 euros [1].

Focus : en termes d’hygiène alimentaire, on parle parfois de « formation HACCP ». C’est en l’occurrence un abus de langage. Le Hazard Analysis Critical Control Point (en français, « Analyse des dangers - points critiques pour leur maîtrise »), HACCP en abrégé, n’est pas « une norme » : c’est une méthode destinée à maîtriser les dangers menaçant la salubrité et la sécurité des aliments.

Les Dark Kitchen ont-elles des obligations de déclaration auprès de la DDPP ?

En France, tout exploitant d’un établissement produisant, manipulant ou entreposant des denrées d’origine animale destinées à la consommation humaine doit déclarer son établissement auprès de la DDPP. C’est l’article L233-2 du Code rural et de la pêche maritime qui gouverne notamment la question.

Dès lors qu’ils entrent dans cette qualification (c’est-à-dire qu’ils produisent, manipulent ou entreposent des denrées d’origine animale destinées à la consommation humaine - ce qui ne serait pas le cas d’une cuisine d’assemblage, ou 100% vegan par exemple), les professionnels sont tenus de s’identifier auprès de la DDPP.

Trois régimes distincts sont prévus :
- Les professionnels qui vendent à d’autres professionnels, sont soumis au régime de l’agrément : ils ne peuvent donc pas ouvrir avant d’avoir été agréés par la DDPP en présentant notamment un PMS (Plan de Maîtrise Sanitaire) ;
- A titre exceptionnel, certains professionnels qui vendent à d’autres professionnels peuvent relever du régime de la dispense d’agrément (à condition que leur production à destination de professionnels soit marginale et sur une distance réduite) ;
- Enfin, pour les professionnels qui vendent à des consommateurs, c’est le régime de la déclaration qui s’applique, comme prévu par l’article R233-4 du Code rural et de la pêche maritime.

S’agissant des Dark kitchen, tout dépend donc de la qualité des personnes destinataires de leurs produits.

Pour celles qui vendent à des consommateurs finaux (via des plateformes types Deliveroo ou UberEat) c’est clairement le régime de la déclaration qui s’applique. En l’occurrence, c’est un simple formulaire cerfa à remplir (Cerfa n° 13984*05) accessible sur le site du Service public. Attention : à défaut, le professionnel s’expose à des sanctions, qui seront particulièrement graves si un incident sur la santé des consommateurs devait se produire, puisque l’établissement serait alors considéré comme un restaurant « clandestin ». Mieux vaut donc ne pas courir le risque et procéder aux déclarations nécessaires.

Pour les restaurants virtuels qui vendent à d’autres professionnels, le régime de l’agrément (avec obligation de produire un PMS - Plan de Maîtrise Saintaire) pourrait s’appliquer, sauf à ce qu’ils répondent aux conditions permettant de justifier d’une « dispense » d’agrément (production marginale de repas vendus à d’autres professionnels et dans un rayon géographique limité).

Faut-il un permis d’exploitation pour exploiter une Dark kitchen ?

La question du permis d’exploitation ne se pose que dans la mesure où l’établissement exploitant le restaurant virtuel souhaite vendre de l’alcool.

Pour comprendre, il faut rappeler que les boissons sont classées par groupe en droit français, conformément à l’article L3321-1 du Code de la santé publique. En résumé, les boissons sans alcool (sodas, jus de fruits, eaux, etc.) correspondent au groupe 1. Il n’y a pas de groupe 2. Le groupe 3 concerne essentiellement les bières et vins (avec degré d’alcool inférieur à 18°). Le groupe 4 comprend les rhums et tafias, et le groupe 5 vise les autres boissons alcoolisées (whisky, vodka, etc).

Toute personne qui souhaite vendre des boissons alcoolisées doit posséder une licence. Il peut s’agir soit d’une vente sur place (cafés, restaurant, hôtel, discothèque, pub, etc.) soit d’une vente à emporter (épicerie, caviste, vente en ligne, etc.).

Pour les personnes qui vendent de l’alcool sur place, il existe deux grandes familles de Licence : les Licence III et Licence IV, qui autorisent la vente d’alcool sur place à titre principal (sans accompagnement d’un repas). Vous pouvez donc commander un verre de boissons alcoolisées seul, sans accompagnement, pour les boissons du groupe 3 avec la Licence III, et l’ensemble des groupes avec une Licence IV.

L’autre famille concerne les Licences Restaurant, et la Petite Licence Restaurant. Ces licences ne permettent pas la vente d’alcool à titre principal sans accompagnement. Le service d’alcool doit être réalisé en accessoire d’un repas principal (midi ou soir). La Petite Licence Restaurant concerne les boissons allant jusqu’au groupe 3 (comme la Licence III, vins, bières, etc.) et la Licence Restaurant (grande Licence) concerne l’ensemble des boissons alcoolisées, comme la Licence IV.

Notez que l’ensemble de ces Licences autorise non seulement la vente sur place, mais également la vente à distance. Vous pouvez donc vendre de l’alcool à emporter sur Internet si votre établissement est titulaire d’une Licence III, Licence IV, Licence Restaurant ou Petite Licence Restaurant.

Pour les Dark kitchen, ces licences de vente sur place ne paraissent pas nécessaires dans la mesure où, par définition, les Dark kitchen se focalisent uniquement sur la vente en ligne à distance.

C’est en revanche la licence de vente à emporter qui concerne les restaurants virtuels qui souhaitent vendre de l’alcool en ligne. Il en existe deux :
- la petite licence à emporter, pour le cidre, le vin et la bière (boissons du groupe 3, comme la Licence III) ;
- la licence à emporter (grande licence), pour les alcools de plus de 18° (boissons allant jusqu’au groupe 5, comme la Licence IV).

À noter qu’un permis d’exploitation doit en outre être obtenu pour ceux qui souhaitent vendre de l’alcool de nuit entre 22h et 8h du matin (le PVBAN).

La demande de licence à emporter se fait directement auprès de la Mairie (de la Préfecture pour Paris). Aucun permis d’exploitation n’est nécessaire, sauf pour la vente d’alcool de nuit (en ce cas, il faut suivre une formation spécifique pour le PVBAN). La licence de vente à emporter est en principe gratuite.

Dark kitchen : enjeux et polémiques.

Les Dark kitchen reposent sur un concept amené à se développer de plus en plus au fil du temps, et à cohabiter à côté des restaurants physiques traditionnels. Certes, le concept n’offre pas la convivialité d’une terrasse ou la chaleur humaine partagée au restaurant. En revanche, le service de repas à domicile est parfaitement adapté à la vie urbaine avec l’allongement du temps de travail des cadres, qui laisse moins de temps pour préparer des repas à la maison. Les commandes via les plateformes sur Internet sont à l’évidence rentrées dans les habitudes d’une société ultra connectée avec usage intensif des smartphones.

En droit, le concept pose certaines questions. On parle souvent des problématiques liées au droit social, et à la précarité des livreurs des plateformes de livraison, qui ne bénéficient, pour la plupart, d’aucune protection sociale. S’ajoute également la question de l’exploitation de personnes sans papier : certains individus créent plusieurs comptes de livraison sur les plateformes, qu’elles « sous-louent » ensuite de manière illégale à des livreurs interdits de travailler en France, en les rémunérant en espèce avec des salaires de misère. Les autorités doivent impérativement se saisir de cette question et opérer les contrôles nécessaires pour éviter le développement d’une forme d’esclavage moderne, prospérant sur le dos des outils numériques.

Autre question qui revient régulièrement : l’utilisation des services de transport publics partagés (comme les Velib’ ou Veligo à Paris) utilisés massivement par les livreurs. En droit, cela est parfaitement interdit, car cela revient pour l’Administration à « subventionner » en quelque sorte une activité privée, indépendamment de la gêne occasionnée pour les autres utilisateurs, privés de ces services surexploités.

Autre défi à venir : la question de la dépendance économique des restaurants aux plateformes de livraison [2] (UberEat, Deliveroo, etc.). Le monde de l’hôtellerie souffre déjà fortement de la dépendance et des conditions tarifaires imposées par les centrales de réservation en ligne, qui jouissent d’un quasi-monopole en pratique (Booking,TripAdvisor, etc.). Ces plateformes ont aujourd’hui droit de vie ou de mort sur les établissements qu’elles référencent et les « avis » laissés par les consommateurs (dont on peut souvent douter de la sincérité) constitue une véritable arme de destruction, qui peut être utilisée par des entreprises concurrentes, à des fins de dénigrement et de concurrence déloyale.

Dernières réflexions à ce sujet : dans la mesure où elles tirent la totalité de leur chiffre d’affaires de leur présence en ligne, on peut considérer que l’actif principal des Dark Kitchen est un « fonds de commerce numérique », composé d’une clientèle, d’une enseigne, mais également d’une position référentielle dans l’algorithme des plateformes de référencement (markplaces). En raisonnant par analogie avec le bail commercial et son statut protecteur du fonds de commerce, on peut se demander s’il n’existerait pas à terme un moyen légal de protéger cette position référentielle, afin de pouvoir la valoriser et la céder, comme un fonds de commerce classique. Vous pouvez sur ce point voir notre article Protection légale des Dark Kitchen, Réflexions sur le fonds de commerce numérique [3].

Les Dark kitchen, qui par essence n’existent qu’en ligne, ne feront qu’amplifier ces questions juridiques complexes à l’avenir.

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

[1Article R205-6 du Code Rural et de la Pêche Maritime.

[2Vous pouvez sur ce point consulter notre article sur les Risques de dépendance économique à l’égard des plateformes de référencements : https://novlaw.fr/restaurants-hotels-risques-des-plateformes-de-referencements/

Comentaires: