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La procédure de suspension en urgence des professionnels de santé par l’ARS. Par Olivier Thenaille, Responsable des affaires juridiques.
Parution : mardi 16 février 2021
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Cette procédure, assez peu connue (y compris des praticiens du droit de la santé) permet au directeur général de l’Agence Régionale de Santé (ARS) de suspendre, en urgence, un professionnel de santé (médecin, chirurgien-dentiste, Masseur-Kinésithérapeute, sage-femme, podologue-pédicure) de son droit d’exercer.
La décision de suspension est immédiatement exécutoire pour une durée maximum de cinq mois, ce qui est loin d’être neutre pour le professionnel concerné.

L’application de cette procédure, nécessite d’avoir une parfaite connaissance des textes applicables en la matière ainsi que des procédures ordinales.
En effet, une décision ordinale doit nécessairement "prendre le relais", in fine, à cette suspension du droit d’exercer prononcée par le Directeur Général de l’ARS (Ci-après "DG ARS").

Cette procédure trouve son fondement dans les dispositions de l’article L4113-14 du Code de la santé publique qui dispose :

« En cas d’urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l’agence régionale de santé dont relève le lieu d’exercice du professionnel prononce la suspension immédiate du droit d’exercer pour une durée maximale de cinq mois. Il entend l’intéressé au plus tard dans un délai de trois jours suivant la décision de suspension. Le directeur général de l’agence régionale de santé dont relève le lieu d’exercice du professionnel informe immédiatement de sa décision le président du conseil départemental compétent et saisit sans délai le conseil régional ou interrégional lorsque le danger est lié à une infirmité, un état pathologique ou l’insuffisance professionnelle du praticien, ou la chambre disciplinaire de première instance dans les autres cas. Le conseil régional ou interrégional ou la chambre disciplinaire de première instance statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. En l’absence de décision dans ce délai, l’affaire est portée devant le Conseil national ou la Chambre disciplinaire nationale, qui statue dans un délai de deux mois. A défaut de décision dans ce délai, la mesure de suspension prend fin automatiquement (...) ».

Aux termes de l’article R4113-111 du même code :

« La décision de suspension prononcée en application de l’article L4113-14 est notifiée au médecin, au chirurgien-dentiste ou à la sage-femme par l’autorité administrative compétente par lettre remise en mains propres contre émargement. La décision précise la date à laquelle l’audition de l’intéressé prévue à ce même article a lieu. La décision est motivée. La mesure de suspension prend fin de plein droit lorsque la décision de l’instance ordinale est intervenue en application du deuxième alinéa de l’article L4113-14, ou lorsqu’il n’a pas été procédé à l’audition du médecin, du chirurgien-dentiste ou de la sage-femme dans le délai prévu à ce même article, sauf si l’absence de cette formalité est le fait de l’intéressé lui-même ».

En premier lieu, il faut relever que nonobstant le fait que l’article L4113-14 du Code de la santé publique ne cite que les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes, il a également vocation à s’appliquer aux masseurs-kinésithérapeutes [1] et aux pédicures-podologues [2].

Cette procédure dont il revient de noter le caractère exorbitant du droit commun s’explique (dans son esprit) comme étant une garantie de protection de la qualité et sécurité des soins envers les patients.
En effet, aucune autre autorité (que le DG ARS) ne dispose de cette compétence de suspendre en urgence un(e) professionnel(le) de santé, « du jour au lendemain ».

Les ordres professionnels peuvent, dans le cadre d’une plainte déposée devant la chambre disciplinaire, décider de suspendre un professionnel de santé mais ils ne peuvent le faire qu’au terme d’une procédure d’instruction dont les délais ne sont pas compatibles avec l’urgence de la suspension à prendre imposée par certaines pratiques.

Le législateur a donc confié ce pouvoir au DG ARS afin de combler ce vide existant et ne pas laisser perdurer des pratiques qui sont de nature à exposer les patients à un danger grave avant que les instances ordinales compétentes ne statuent.

Cette décision de suspension du droit d’exercer prise par le DG ARS n’est pas une sanction (au sens juridique du terme) mais une décision conservatoire, dans l’attente de la décision qui sera prise par l’instance ordinale. Pour autant, étant une décision qui fait évidemment grief (une suspension d’exercice pour un professionnel de santé est loin d’être neutre, ne serait-ce que par les répercussions financières), elle peut être contestée devant le juge administratif, dans le délai de deux mois après sa remise en mains propres.

Dans ces situations, il est évident que le recours est formé par voie de référé-suspension prévu par l’article L521-1 du CJA, lequel dispose pour rappel :

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision
 ».

Très concrètement, l’ARS est informée de pratiques (des professions de santé visées) susceptibles d’exposer les patients à un danger grave par différents canaux, saisine directe des conseils de l’ordre, évènements indésirables graves (EIG), réclamations de patients, à l’occasion d’une mission d’inspection, information par les services de police ou de gendarmerie…

Une fois les faits portés à la connaissance de l’ARS, il convient urgemment de les analyser (expertises médicales et juridiques) afin de déterminer s’ils peuvent caractériser de façon certaine ou avec une forte présomption que « la poursuite de son exercice par le professionnel de santé concerné expose ses patients à un danger grave ».

Par expérience, il est des situations dans lesquelles les conclusions ne sont pas certaines et il appartient donc au DG ARS de mettre en balance « la sécurité sanitaire » due aux patients, la permanence des soins et « la proportionnalité d’une décision de suspension du droit d’exercer d’un professionnel de santé », afin qu’aucune mesure abusive ne soit prise, mais aussi afin qu’aucun écart ne soit ignoré. Pour ce faire, les preuves doivent être les plus objectives possibles.

A contrario, dans certaines espèces, les faits sont éloquents et laissent peu de doute sur la décision de suspension à prendre, à titre d’exemple :
- Masseur-Kinésithérapeute sous l’emprise d’un état alcoolique qui à l’occasion d’une visite à un patient ne termine pas ses soins, tombe par terre en sortant du domicile du patient avant de remonter dans sa voiture pour reprendre la route, se fait contrôler par la gendarmerie en état d’ébriété manifeste… et il est très vite conclu que cet état est le résultat d’une addiction de longue date ;
- Chirurgien –dentiste qui exerce dans un cabinet dans lequel il est constaté des règles d’hygiènes et d’asepsies déplorables, mégots de cigarettes dans un cendrier dans la salle d’attente, instruments souillés… ;
- Sage-femme qui méconnait à plusieurs reprises les règles de bonnes pratiques de prise en charge en matière d’accompagnement d’une IVG, accouchement à domicile avec des complications (évitables) qui ont conduit à une hospitalisation d’urgence… ;
- Médecin ne faisant pas d’examen clinique de ses patients, fait des prescriptions complètement étrangères à la pathologie ou la situation des patients ; etc.

Du point de vue procédurale, lorsqu’il est décidé de prendre une décision de suspension en urgence, il appartient à l’ARS de formaliser un arrêté de suspension du droit d’exercer qui sera remis en mains propres (contre récépissé) au professionnel concerné.

La remise en mains propres s’impose comme forme de notification, la notification par pli recommandé au domicile du professionnel n’étant pas prévu par les textes, l’arrêté doit être motivé [3].

L’exigence de motivation de l’arrêté est satisfaite lorsque sans être explicitée de manière exhaustive, il est fait mention de notes, documents qui permettent de la compléter [4] et ainsi mettre le professionnel de santé à même de connaitre les éléments qui lui sont reprochés.

L’arrêté doit mentionner la date et le lieu de l’entretien avec le professionnel en application de l’article L4113-14 du Code de la santé publique « Le directeur Général de l’ARS entend l’intéressé au plus tard dans un délai de trois jours suivant la décision de suspension », sous réserve d’une délégation de pouvoir contraire prise par le DG ARS, cet entretien peut évidemment se dérouler en présence d’un représentant du DG ARS (le plus souvent le directeur de la délégation départementale du lieu d’exercice du professionnel concerné).
Cet entretien (qui s’inscrit dans le cadre du principe du contradictoire) est l’occasion de confirmer les griefs formulés à l’encontre du professionnel et de recueillir ses observations (étant précisé que le professionnel peut être accompagné par une personne de son choix, avocat, confrère…).

Même si aucun texte ne le prévoit explicitement, il doit toujours être conseillé qu’un compte-rendu de cet entretien soit formalisé et signé par les parties présentes [5].

A noter que si le professionnel de santé ne se présente pas à l’entretien, le compte-rendu prend alors la forme d’un « PV de carence », signé par le seul représentant du DG ARS.

Il doit aussi en informer immédiatement le président du conseil départemental de l’ordre compétent, pour les professionnels en relevant, les organismes d’assurance maladie dont dépend le professionnel concerné par sa décision et le représentant de l’Etat dans le département.

En outre, si le professionnel de santé suspendu exerce dans un ou plusieurs établissements de santé, le DG ARS informe immédiatement de sa décision le responsable légal de l’établissement ou des établissements où l’intéressé exerce et, pour les agents de droit public, l’autorité ayant pouvoir de nomination si elle est différente du responsable légal [6].
De plus, il doit saisir sans délai :
- Le conseil régional ou inter-régional si le danger est lié à une infirmité, un état pathologique ou l’insuffisance professionnelle du praticien.
- La chambre disciplinaire de première instance dans les autres cas.

Ces deux autorités doivent statuer dans un délai de deux mois à compter de leur saisine. Si tel n’est pas le cas, l’affaire est portée devant le Conseil national ou la Chambre disciplinaire nationale, qui statue dans un délai de deux mois. Si, à l’issue de ce nouveau délai de deux mois, aucune décision n’a été prise, la mesure de suspension prend fin automatiquement.

Enfin, il faut relever qu’une fois remise en mains-propres, la décision de suspension du droit d’exercer est exécutoire immédiatement et pour une durée maximum de 5 mois, délai au terme duquel les instances ordinales compétentes saisies (comme mentionné supra) doivent statuer.

La mesure de suspension peut également être levée par le DG ARS dès lors qu’il y a constatation de la cessation du danger. Il en informe le conseil départemental et le conseil régional ou interrégional compétents et, le cas échéant, la chambre disciplinaire compétente, ainsi que les organismes d’assurance maladie, le représentant de l’Etat dans le département et l’employeur le cas échéant.

Olivier Thenaille Responsable des affaires juridiques de l'Agence Régionale de Santé Nouvelle Aquitaine Ancien avocat au barreau de Paris

[1Article R4323-2 du CSP.

[2Article D. 4323-2-1 du CSP.

[3Ordonnance du juge des référés du TA de Limoges du 13 décembre 2012 , N°1201616.

[4CAA de Bordeaux, 2ème chambre, 05/11/2019, 17BX01633, Inédit au recueil Lebon.

[5L’expérience démontre toute l’utilité d’un tel compte-rendu qui peut être produit à l’appréciation du juge, à l’occasion d’un recours.

[6Article R. 4113-113 du CSP.

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