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Le délit de subornation de témoin. Par Avi Bitton, Avocat et Clémence Ferrand, Juriste.
Parution : samedi 13 février 2021
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Qu’est ce qu’un témoin ? Quels sont les éléments constitutifs de la subornation de témoin ? Quelles sont les peines encourues ?

Un témoignage en justice peut s’avérer dangereux lorsqu’il est erroné ou mensonger.

Le nouveau Code pénal de 1994 a ainsi renforcé la protection de la sincérité du témoignage en justice en réprimant, d’une part, le témoin qui ment à titre personnel - à travers le délit de faux témoignage - et, d’autre part, l’action du tiers qui s’efforce de provoquer un faux témoignage - à travers le délit de subornation d’autrui, en principe un témoin.

Les délits de faux témoignage et de subornation de témoin tendent à sanctionner une entrave à l’exercice de la justice, mais également à protéger les témoins.

Si l’ancien Code pénal avait, dans un premier temps, appréhendé le délit de subornation de témoin comme un mode de complicité du délit de faux témoignage, le nouveau Code pénal de 1994 a érigé le délit de subornation de témoin en infraction autonome, permettant la répression du suborneur même dans le cas où le témoin n’aurait pas, in fine, établi de faux témoignage et où le délit de faux témoignage ne serait donc pas constitué.

La subornation de témoin est appréhendée à l’article 434-15 du Code pénal qui dispose :

« Le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, même si la subornation n’est pas suivie d’effet. »

Toujours dans cette volonté de protéger les témoins, il convient de préciser que le risque de pression sur les témoins constitue l’un des motifs de placement en garde à vue [1] et en détention provisoire [2].

La question de la protection des témoins suppose dans un premier temps de définir la notion de « témoin » afin de savoir à quel témoin s’applique l’infraction de subornation.

I. Qu’est-ce qu’un témoin ?

Un témoin est une personne susceptible de fournir des renseignements utiles sur les faits dont est saisie la justice ou sur la personnalité d’un mis en cause.

Cela vise tout d’abord celui qui a assisté à la commission d’une infraction en tant que simple spectateur, mais également celui qui a une relation avec le mis en cause (parent, proche, employeur…). Ce sont ces témoins qui sont visés par le délit de subornation réprimé à l’article 434-15 du Code pénal.

Plus largement, le témoin peut également être la victime de l’infraction. Toutefois, ce statut est précaire puisque la victime de l’infraction a la possibilité d’abandonner son statut initial au profit de celui de partie civile au cours du procès pénal.

Dans ce cas, il semble judicieux d’appliquer non pas l’article 434-15 du Code pénal, mais l’article 434-5 qui dispose :
« Toute menace ou tout autre acte d’intimidation à l’égard de quiconque, commis en vue de déterminer la victime d’un crime ou d’un délit à ne pas porter plainte ou à se rétracter, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. »

Enfin, entendu largement, le témoin peut être la personne qui fait l’objet des investigations [3].

II. Les éléments constitutifs de la subornation de témoin.

Après avoir distingué entre le délit de subornation de témoin et le délit de faux témoignage (A), il conviendra de développer l’élément matériel (B) puis moral (C) du délit de subornation de témoin.

A. Distinction entre subornation de témoin et faux témoignage.

Avant toute chose, la subornation de témoin doit être distinguée du faux témoignage, appréhendé à l’article 434-13 du Code pénal, qui dispose :

« Le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Toutefois, le faux témoin est exempt de peine s’il a rétracté spontanément son témoignage avant la décision mettant fin à la procédure rendue par la juridiction d’instruction ou par la juridiction de jugement ».

Comme évoqué précédemment, le délit de subornation de témoin est une infraction autonome et non un mode de complicité du délit de faux témoignage.

Le faux témoignage vise à réprimer le témoin lui-même qui, à travers son témoignage, altère la vérité, tandis que la subornation de témoin vise à réprimer un tiers, qui, par son action, va conduire un témoin à faire un faux témoignage, peu important que la subornation soit suivie d’effet.

Souvent, le faux témoignage intervient après que le témoin a été suborné par un tiers, en tant que conséquence de la subornation de témoin.

B. Élément matériel de la subornation de témoin.

L’article 434-15 du Code pénal vise « autrui » en qualité de victime de l’infraction, de suborné. Si dans la grande majorité des cas, « autrui » est un témoin, il peut également s’agir d’un interprète ou d’un expert [4].

Pour que le délit de subornation de témoin soit constitué, des conditions tenant au moment (1), aux moyens (2) et à l’objet (3) de la subornation doivent être réunies.

1. Moment de la subornation.

La subornation doit intervenir « au cours d’une procédure ou en vue d’une demande de défense en justice ».

En pratique, elle peut donc intervenir au cours d’une enquête de police, d’une instruction ou encore d’un procès pénal.

2. Moyens de la subornation.

Selon l’article 434-15 du Code pénal, le suborneur doit user de « promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices ».

Il a été jugé que le délit de subornation de témoin n’est réalisé qu’autant que le prévenu a usé de promesses, offres ou présents, de pressions, de menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices pour déterminer autrui à faire ou à délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère [5].

Les moyens de subornation énumérés sont limitatifs. En ce sens, une simple sollicitation [6] ou de simples recommandations [7] ne sauraient constituer la subornation de témoin.

Le délit de subornation de témoin n’exige pas que les promesses, offres ou pressions aient précédé la demande de déposition mensongère [8]. De même, il n’est pas nécessaire que les promesses ou offres soient personnellement adressées au témoin [9].

a) Promesses, offres ou présents.

Il a été jugé que constituent des promesses, offres ou présents :
- La promesse d’avantages commerciaux [10] ;
- Les promesses d’argent [11] ;
- La remise de chèques [12] ;
- Ou encore la proposition d’une place d’entraîneur [13].

b) Pressions, menaces ou voies de fait.

Les pressions peuvent être définies comme toute sollicitation ou demande exerçant une force de conviction suffisante pour entraîner le témoin à y répondre.

Quant aux menaces et voies de fait, il s’agit d’actes d’intimidation consistant à inspirer la crainte au témoin.

Sont par exemple constitutifs de pressions, menaces ou voies de fait :
- La crainte d’être licencié [14] ;
- La vive colère du suborneur [15] ;
- Des sollicitations émanant de membres influents de l’Etat faites à une personne hiérarchiquement placée sous l’autorité d’un ministre de même appartenance gouvernementale que l’un des suborneurs, créant une contrainte dans l’esprit du témoin l’ayant amené à modifier ses déclarations dans le sens souhaité [16] ;
- Des menaces et pressions sur une victime d’agression sexuelle handicapée afin d’obtenir d’elle un témoignage favorable [17] ;
- Des pressions exercées par un avocat qui s’est rendu, à plusieurs reprises, dans le magasin d’un témoin afin de l’inciter à changer sa version des faits [18].

c) Manœuvres ou artifices.

Sont visés des actes positifs par lesquels le suborneur crée chez le témoin une fausse apparence de la réalité (artifices, mise en scène, stratagèmes…).

La jurisprudence a pu juger qu’use de pressions, manœuvres et artifices et commet le délit de subornation de témoin celui qui, pour obtenir une attestation mensongère en vue d’une défense en justice, se rend, accompagné d’un tiers, chez une personne affectée par un deuil très récent, la trompe sur l’utilisation qui sera faite de l’attestation dont il lui dicte les termes et lui cache les motifs pour lesquels elle doit être établie [19].

3. Objet de la subornation.

Selon l’article 434-15 du Code pénal, l’objectif du suborneur est

« de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation ».

a) Déposition, déclaration ou attestation.

- Une déposition est un témoignage fait sous serment au sens des articles 434-13 du Code pénal. Le témoignage sous serment, qui se retrouve notamment devant les juridictions, suppose que le témoin jure de dire la vérité, toute la vérité.
- Une déclaration est une forme de déposition faite sans serment.
- Enfin, une attestation est un document écrit qui peut servir de preuve en justice (notamment une attestation de témoin).

b) Acte positif ou négatif.

Positivement, par l’incitation au mensonge, la subornation peut être effectuée aux fins d’obtenir une déposition mensongère au cours d’une enquête civile [20] ou une déclaration mensongère au cours d’une enquête de police [21] ou d’une instruction [22].

Négativement, le suborneur peut conduire le témoin à garder le silence et ainsi à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation, par exemple s’abstenir de faire une déclaration aux enquêteurs dans le cadre d’une enquête de police.

c) Mensonge.

L’article 434-15 du Code pénal ne punit que ceux qui, par les procédés visés, ont déterminé ou tenté de déterminer autrui à faire des dépositions, déclarations ou attestations mensongères [23].

Ainsi, le délit est par exemple caractérisé lorsque l’objet de la pression exercée sur le témoin est d’obtenir de celui-ci qu’il affirme, comme les ayant personnellement constatés, des faits dont il n’a eu qu’indirectement connaissance [24].

De même, constitue une déclaration, une déposition ou une attestation mensongère le fait de déterminer l’auteur d’une attestation déjà soumise à une juridiction à lui en faire délivrer une autre rétractant ou contredisant la première [25].

Toutefois, le fait pour un juge d’instruction d’avoir incité une personne placée en garde à vue de dire la vérité ne caractérise pas le délit de subornation de témoin [26].

C. Élément moral de la subornation de témoin.

Le délit de subornation de témoin est une infraction intentionnelle.

Il suppose, de la part du suborneur :
- La connaissance de l’acte, à savoir suborner un témoin par les moyens visés à l’article 434-15 afin d’obtenir une action ou une absence d’action de sa part ;
- La volonté de l’acte, à savoir entraver l’exercice de la justice.

La subornation de témoin est une infraction formelle, consommée par le seul accomplissement de l’acte incriminé. Ainsi, peu importe que la subornation a ou non été suivie d’effet [27].

III. Répression de la subornation.

A. Peines encourues.

La subornation de témoin est punie d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, même si la subornation n’est pas suivie d’effet.

En application des dispositions de l’article 434-44 du Code pénal, les peines complémentaires d’interdiction des droits civiques, civils et de famille et de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, à l’exception des objets susceptibles de restitution, peuvent également être prononcées.

Lorsque la subornation est suivie d’effet et donne lieu à un faux témoignage, il est possible de retenir, à l’encontre du suborneur, la qualification de complicité de témoignage mensonger de l’article 434-13 du Code pénal pour laquelle les peines encourues sont plus élevées [28].

B. Prescription de l’action publique.

La subornation de témoin étant un délit, elle se prescrit par 6 années révolues (depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017 réformant la prescription).

L’infraction de subornation de témoin s’analysant en un délit instantané, la prescription commence à courir dès le jour où ont été commis les actes incriminés. Seul un obstacle de droit survenu après la mise en mouvement de l’action publique et mettant la partie civile dans l’impossibilité d’agir est de nature à suspendre le délai de prescription de celle-ci [29].

C. Complicité.

Il est possible de retenir la complicité de subornation de témoin par aide et assistance [30].

Par ailleurs, la jurisprudence estime qu’il appartient à une cour d’appel qui relaxe un prévenu du chef de subornation de témoin de rechercher si celui-ci ne s’est pas rendu coupable de complicité de faux témoignage [31].

Il a été jugé que dès lors que le faux témoignage a eu lieu, les pressions exercées sur le témoin par le suborneur - en l’espèce l’employeur - constituent de la part de celui-ci non le délit de subornation de témoin, mais celui de complicité de faux témoignage [32].

Par exemple, il y a complicité de faux témoignage en matière civile dans le fait de donner des instructions pour déposer faussement, si ces témoignages mensongers ont été reçus sous la foi du serment par la juridiction civile [33].

De même, justifie légalement une condamnation pour complicité de faux témoignage l’arrêt qui constate la connaissance, par le témoin, de la fausseté de sa déposition et la connaissance par le prévenu de cette fausseté, lors des instructions données à ce témoin en vue de commettre le faux témoignage [34].

Retenir la qualification de complicité de témoignage mensonger apparaît judicieux puisque les peines encourues sont plus élevées (5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende).

Ainsi, si les juges du fond ne répriment pas sur le terrain de la subornation de témoin, ils pourront à tout le moins retenir la qualification de complicité de faux témoignage.

Il convient de rappeler qu’en application des dispositions de l’article 121-6 du Code pénal, le complice de l’infraction encourt les mêmes peines que l’auteur de l’infraction.

IV. La subornation d’interprète et la subornation d’expert.

L’article 434-15 réprime la subornation d’ « autrui » de sorte que les témoins ne sont pas les seuls à pouvoir être victimes d’un tel agissement.

En ce sens, l’article 434-19 du Code pénal dispose :

« La subornation de l’interprète est réprimée dans les conditions prévues par l’article 434-15 ».

De même, l’article 434-21 du Code pénal dispose :

« La subornation de l’expert est réprimée dans les conditions prévues par l’article 434-15 ».

Ainsi, toute personne subornant un interprète ou un expert dans les conditions susvisées encourt les peines énoncées à l’article 434-15 du Code pénal, soit trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Avi Bitton, Avocat, et Clémence Ferrand, Juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Article 62-2 du Code de procédure pénale.

[2Article 144 du Code de procédure pénale.

[3Marcel Lemonde, Conseiller à la cour d’appel de Versailles, La protection des témoins devant les tribunaux français, RSC 1996, p. 815.

[4V. infra - Partie sur la subornation d’interprète et la subornation d’expert.

[5Crim. 11 janv. 1956 : Bull. crim. n°49.

[6Crim. 7 mars 1956 : Bull. crim. n°237.

[7Crim. 26 janv. 1972 : Bull. crim. n°435 ; D. 1972. Somm. 92 ; Gaz. Pal. 1972. 2. 718 ; RSC 1972. 867, obs. Vitu.

[8Crim. 4 février 1997, n°96-81.227.

[9Crim. 20 octobre 1999, n°99-80.088.

[10T. corr. Louviers, 28 novembre 1951 : D.1952. 263 ; RSC 1952. 453, obs. Hugueney.

[11Crim. 9 mai 1963, Bull. crim. n°176.

[12Crim. 25 janvier 1984, n°83-90.646.

[13Crim. 4 février 1997, n°96-81.227.

[14Crim. 3 mai 1989 : Dr. Pénal 1989. 63.

[15T. corr. Abbeville, 31 mars 1951 : JCP 1951. II. 6345 ; RSC 1951. 670, obs. Hugueney.

[16Crim. 27 octobre 1997, n°96-83.698.

[17CA Grenoble, 7 juillet 2000 : JCP 2001. IV. 1469.

[18Crim. 12 juin 2019, n°18-83.844.

[19Crim. 3 avril 1974, n°73-91.292.

[20Crim. 27 juill. 1954 : Bull. crim. n°281.

[21Crim. 3 janvier 1956 : Bull. crim. n°5.

[22Crim. 2 mars 2016, n°15-81.787.

[23Crim. 5 oct. 1971 : Gaz. Pal. 1972. 1. 137.

[24Crim. 28 mai 1968 : Bull. crim. n°180.

[25Crim. 11 décembre 1991, n°91-80.597

[26Crim. 20 septembre 1995 : Gaz. Pal. 1996. 1. Chron. 6, par Doucet.

[27Crim. 6 novembre 1962 : Bull. crim. n°305.

[285 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

[29Crim. 27 sept. 1995 : Gaz. Pal. 1996. 1. Chron. Crim. 6.

[30Voir en ce sens Crim. 9 décembre 1975 : Bull. crim. n°274, rappr., RSC 1985. 72, obs. Delmas Saint-Hilaire.

[31Crim. 4 octobre 1961 : Bull. crim. n°373.

[32Crim. 24 juillet 1958, 2 arrêts : Bull. crim. n°572 et n°573.

[33Crim. 20 mai 1958 : Bull. crim n°408.

[34Crim. 19 novembre 1957 : Bull. crim. n°747.