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Le recouvrement du chèque de garantie : quelle stratégie procédurale ? Par Arnaud Lucien, Avocat.
Parution : mardi 16 février 2021
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Dans la pratique des affaires, il arrive parfois qu’un chèque tiré du compte personnel du dirigeant soit remis pour garantir les obligations de sa société.
La question de la valeur de cette pratique est régulièrement débattue devant les juridictions. L’issue du contentieux évolue en fonction de l’argumentation soulevée par les parties et de la voie choisie pour faire valoir ses droits.

Plusieurs contentieux sont possibles :
- Le contentieux de l’opposition au chèque qualifié de chèque de garantie ;
- Le contentieux au fond pour lequel le chèque est lui-même le seul support de l’obligation de garantie revendiquée par le créancier.

1. Le contentieux de l’opposition au chèque.

Bien souvent le chèque de garantie est frappé d’opposition afin pour le garant de contester son obligation. Cette stratégie a peu de chance de persévérer devant le juge des référés.

Le contentieux de l’opposition est fondé sur l’article L131-35 du Code Monétaire et financier qui prévoit des motifs stricts de recours à l’opposition.

La Cour de cassation reconnaît dans le cadre de ce contentieux la validité de l’usage du chèque de garantie en considérant que l’absence de datation du chèque lors de sa création résultait d’un accord non équivoque et qu’en portant le chèque à l’encaissement après qu’il eut été complété par une date, le bénéficiaire du chèque n’avait fait que lui conférer l’usage de chèque de garantie qui lui était conventionnellement destiné par les parties [1].

Ainsi le juge des référés devra ordonner mainlevée de l’opposition mal-fondée sur l’exception de chèque de garantie conformément aux dispositions de l’article L131-35 du Code monétaire et financier.

Pour exemple la Cour d’Appel d’Aix en Provence [2] devant laquelle la nature de cautionnement était contestée par le bénéficiaire du chèque en refusant la qualification de cautionnement au chèque remis, rappelle avec une certaine forme de sévérité que ledit chèque est un instrument de paiement payable à vue qui emporte transfert de la provision :

« Ainsi que l’ont relevé les intimés et le tribunal, le chèque de 25 000 euros a été émis sur le chéquier personnel de l’appelante, au nom de Mme X, il s’agit d’un instrument de paiement payable à vue, qui a valeur de transfert de la provision lorsqu’il est remis au créancier. Mme F Y-I est donc bien débitrice au titre de ce chèque de M. D X et Mme B X, sans que les dispositions sur le cautionnement ne puissent être invoquées. En conséquence la demande de requalification de l’acte est rejetée ».

Dans ces conditions, la garantie pourrait sembler assez sure en ce que l’opposition formée contre le chèque de garantie ne pourrait persévérer les juridictions appliquant les règles applicables à l’instrument de paiement.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler ici les dispositions de l’article L131-59, alinéa 3, du Code monétaire et financier et la position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation [3] : Attendu que le porteur d’un chèque a un recours fondé sur le droit cambiaire qui subsiste en cas de déchéance ou de prescription contre le tireur qui a fait opposition en dehors des cas prévus par la loi.

Le délai d’exercice des recours cambiaire de six mois n’est pas applicable en cas d’opposition infondée.

2. Le contentieux au fond sur la qualification de garantie.

Le contentieux au fond cette fois-ci fondé sur la qualification juridique de la garantie est moins certain pour celui qui se prétend créancier, lorsque la voie des recours cambiaire n’a pas été entreprise.

A titre liminaire, l’article 1341 du code civil prévoit que :

« Il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre ».

Le montant actuellement fixé est de 1 500 euros selon décret.

Ledit chèque emportant selon la volonté des parties « reconnaissance de dette », n’exonère pas celles-ci du respect des dispositions légales relatives aux règles de preuve.

Les juridictions soumises au principe du dispositif devront apprécier selon l’argumentation des parties quelle nature pourra revêtir le chèque.

C’est ainsi que dans un arrêt de la Cour d’Appel de Colmar du 11 mars 2015 RG 1 A 13/06134 a eu à se prononcer sur la validité du chèque de caution en s’appuyant sur le droit de la preuve : « La S.A. G. ne rapporte pas la preuve de la reconnaissance de dette de M. X et sera déboutée de sa demande en paiement ». Ainsi en l’absence d’acte, aucune obligation ne pèse sur l’émetteur du chèque. Le chèque seul ne rapportant pas une preuve suffisante des engagements de son émetteur.

Dans ce cas, les règles d’ordre public protectrices applicables au cautionnement s’appliquent pleinement, et la validité de l’acte sera conditionnée par la mention manuscrite conforme de la caution.

La nullité d’un cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel est encourue du seul fait que la mention manuscrite portée sur l’acte de cautionnement n’est pas identique aux mentions énoncées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation [4]. Le chèque seul ne rempli évidemment aucune de ces conditions.

La Cour d’appel d’Aix en Provence rappelle ainsi dans son arrêt de la 8e chambre b, 11 octobre 2018, n° 16/13857.

« Outre que le cautionnement ne se présume pas et doit être exprès aux termes des dispositions de l’article 2292 du code civil, l’acte par lequel toute personne physique, fût-elle commerçante […], s’engage en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de l’engagement, comporter les mentions prescrites par les dispositions d’ordre public de l’article L341-2 du code de la consommation ».

Dans cet arrêt les parties avaient toutes deux retenu la qualification juridique de cautionnement.

Dès lors et de l’analyse de la jurisprudence, le bénéficiaire diligent qui aura fait valoir ses droits au titre de l’instrument de paiement notamment par l’exercice des recours cambiaires fondés sur l’article L131-35 du Code monétaire et financier verra généralement sa créance protégée, le bénéficiaire moins vigilent qui entendra faire valoir un cautionnement matérialisé par la remise du chèque même si celui-ci est qualifié de chèque de caution risque de voir sa créance menacée en l’absence de respect du formalisme attaché au cautionnement ou encore à la reconnaissance de dette.

Maître Arnaud LUCIEN, Avocat au Barreau de TOULON [->contact@adl-avocat.fr] https://barreautoulon.fr/avocat/lucien-arnaud/

[1Cour de cassation, Chambre commerciale, 22 septembre 2015, 14-17.901, Publié au bulletin.

[2Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Chambre 3-4, 4 février 2021, n° 17/14311.

[3Cour de cassation, Chambre commerciale, 27 septembre 2011, pourvoi n°10-21812.

[4Cass. com., 5 avr. 2011, n°09-14.356, Crédit Industriel de Normandie c/ épx R.