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Agent commercial : indemnité en cas de perte d’une partie des produits. Par Antoine Simon, Avocat.
Parution : mardi 23 février 2021
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L’agent commercial a droit d’être indemnisé en cas de perte par le mandant d’une partie des produits objet du mandat.

Le Tribunal de commerce de Lyon a rendu le 11 janvier 2021 un jugement particulièrement pédagogique et intéressant sur plusieurs points.

L’affaire concernait un agent commercial travaillant pour le compte d’un distributeur français vendant des produits fabriqués par un fournisseur suisse.
Les relations entre le distributeur français et le fournisseur suisse se dégradent et ce dernier rompt la relation.
Le distributeur français et, par voie de conséquence, l’agent commercial perdent donc les produits concernés qui représentaient 80 % de l’activité.

L’agent soutient alors que la perte de 80 % des produits équivaut à une rupture totale du contrat et réclame indemnisation pour la totalité.

Le mandant répond :
- que la perte des produits n’est pas de son fait mais résulte de la décision du fournisseur,
- qu’il subsiste encore 20 % des produits de sorte que le contrat n’est pas totalement rompu,
- qu’il propose à l’agent de nouveaux produits afin de remplacer ceux perdus.

Le Tribunal écarte les propos du mandant.

Le fait que le retrait des produits résulte de la décision du fournisseur suisse n’exonère pas le mandant français de son obligation d’indemniser l’agent.

Le Tribunal juge que le fait d’un tiers, en l’occurrence la décision du fournisseur de rompre ses relations avec le mandant, n’est pas une cause exonératoire pour le mandant de son obligation d’indemniser l’agent commercial du fait de la perte des produits.

On sait en effet que la loi prévoit uniquement trois cas dans lesquels l’agent est déchu de son droit à indemnisation :
- lorsque l’agent est gravement fautif,
- lorsqu’il est démissionnaire (sauf raison dû à l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent commercial l’empêchant de poursuivre),
- lorsqu’il cède son contrat à un successeur.

Le Tribunal relève que le fait du tiers « ne figure nulle part dans la loi comme cause exonératoire » de l’indemnisation.

Tout agent travaillant pour un distributeur vendant des produits qu’il ne fabrique pas lui-même (par exemple tous les agents qui travaillent pour des importateurs français de produits étrangers) peut donc obtenir indemnisation si les produits disparaissent du fait de l’arrêt des relations entre le distributeur et le fournisseur, sans que cette circonstance extérieure ne puisse constituer une excuse pour ne pas indemniser l’agent.

La perte d’une part importante des produits s’assimile à une rupture totale du contrat ouvrant droit à une indemnisation pour le tout.

Le Tribunal juge que la perte de 80 % des produits et, par conséquent, le maintien de seulement 20 % du catalogue n’est pas suffisant pour permettre à l’agent l’équilibre économique de son activité car celui-ci devait continuer de supporter les mêmes charges pour couvrir son secteur avec seulement 20 % du chiffre d’affaires restant.

Le Tribunal énonce la règle générale suivante : « La perte d’une part importante des produits objet du mandat s’assimile à une rupture totale de celui-ci ouvrant droit à indemnisation de l’agent pour le tout ».

Il restera à déterminer ce que l’on entend par « une part importante ». C’est évidemment le cas pour une perte de 80 % des produits. Nous avons déjà fait juger qu’une perte des 2/3 entraînait la même conséquence.

La proposition par le mandant de nouveaux produits ne représentant pas une part de marché équivalente à celle perdue n’exonère pas le mandant de l’indemnité de rupture.

Pour se dédouaner de l’indemnité, le mandant prétendait confier à son agent de nouveaux produits pour compenser la perte des précédents.
Mais les nouveaux produits étaient des produits de niche qui ne réalisaient encore aucun chiffre d’affaires.
Le Tribunal estime que les nouveaux produits ne sont pas de nature à compenser ceux perdus.

L’agent obtient une indemnité à hauteur de deux années de commissions.

Le Tribunal accorde à l’agent une indemnité égale à deux années de commissions conformément à l’usage en prenant soin de bien rappeler celui-ci dans un attendu de principe :
« La jurisprudence constante, les usages du métier, la doctrine, ou encore la Commission européenne considèrent dans la majorité des cas que l’indemnité légale doit être fixée à un montant représentant deux années de commissions brutes. »

Le Tribunal confirme ensuite une jurisprudence existante indiquant que c’est au mandant d’apporter la preuve d’un préjudice inférieur à cet usage, ce qu’il ne faisait pas.

Maître Antoine SIMON Avocat associé L.E.A - Avocats