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La contre-expertise devant le juge d’instruction. Par Avi Bitton, Avocat et Clémence Ferrand, Juriste.
Parution : lundi 1er février 2021
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Comment demander une contre-expertise au juge d’instruction ? Quels sont les recours en cas de refus ?

1. Le préalable à la contre-expertise : l’expertise initiale.

L’expertise qui intervient pendant la phase d’instruction d’une procédure pénale est régie par les articles 156 à 169-1 du Code de procédure pénale.

L’article 156 du Code de procédure pénale dispose :

« Toute juridiction d’instruction ou de jugement, dans le cas où se pose une question d’ordre technique, peut, soit à la demande du ministère public, soit d’office, ou à la demande des parties, ordonner une expertise. Le ministère public ou la partie qui demande une expertise peut préciser dans sa demande les questions qu’il voudrait voir poser à l’expert.

Lorsque le juge d’instruction estime ne pas devoir faire droit à une demande d’expertise, il doit rendre une ordonnance motivée au plus tard dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande. Les dispositions des avant-dernier et dernier alinéas de l’article 81 sont applicables.

Les experts procèdent à leur mission sous le contrôle du juge d’instruction ou du magistrat que doit désigner la juridiction ordonnant l’expertise. »

L’expertise peut ainsi être demandée par le ministère public ou l’une des parties, ou être ordonnée par le juge d’instruction, lorsqu’une question « d’ordre technique » se pose dans un dossier.

Il n’existe pas de définition légale de l’expertise en droit pénal. Elle peut toutefois être définie comme une mesure d’investigation ordonnée par le juge d’instruction, permettant de recourir à un technicien pour éclairer une question sur laquelle le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer [1].

L’expertise intervient dans des domaines variés puisque le juge d’instruction peut demander une expertise psychologique ou psychiatrique de la partie civile ou du mis en examen, une expertise toxicologique, génétique, balistique, mécanique ou encore une expertise comptable ou financière.

Quoi qu’il en soit, il appartient au juge d’instruction de désigner le ou les experts chargés de réaliser l’expertise [2]. Ces derniers sont en principe choisis parmi les personnes physiques ou morales figurant sur la liste nationale dressée par la Cour de cassation ou sur une des listes dressées par les cours d’appel [3].

L’ordonnance de nomination de l’expert comprend les termes de la mission qui lui est confiée [4]. Par exemple, en matière d’expertise psychiatrique, il s’agira pour l’expert de répondre aux questions de savoir si l’intéressé présente un état dangereux, est accessible à une sanction pénale, est curable ou réadaptable, ou encore s’il était irresponsable pénalement au sens de l’article 122-1 du Code pénal au moment des faits.

Par ailleurs, toute expertise doit être réalisée dans un délai imparti dont la durée est précisée par le juge [5].

Lorsque les opérations d’expertise sont terminées, les experts rédigent un rapport qui doit contenir la description desdites opérations ainsi que leurs conclusions et qui doit être déposé entre les mains du greffier de la juridiction qui a ordonné l’expertise.

Lorsque plusieurs experts sont désignés et qu’ils sont d’avis différents ou ont des réserves à formuler sur des conclusions communes, chacun doit indiquer son opinion ou ses réserves en les motivant [6].

Les conclusions des experts doivent ensuite être portées à la connaissance des parties et de leurs avocats par le juge d’instruction, soit après les avoir convoqués conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 114, soit par lettre recommandée, soit, lorsque la personne est détenue, à travers le chef de l’établissement pénitentiaire. A la demande des parties ou de leurs avocats, une copie de l’intégralité du rapport d’expertise leur est remise [7].

Le juge d’instruction peut également notifier au témoin assisté les conclusions d’expertise le concernant [8].

2. La demande de contre-expertise.

2.1. Définition et modalités de la contre-expertise.

Une fois que les parties et leurs avocats sont informés des conclusions de l’expert, interviennent les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 167 du Code de procédure pénale :

« Dans tous les cas, le juge d’instruction fixe un délai aux parties pour présenter des observations ou formuler une demande, notamment aux fins de complément d’expertise ou de contre-expertise. Cette demande doit être formée conformément aux dispositions du dixième alinéa de l’article 81. Pendant ce délai, le dossier de la procédure est mis à la disposition des conseils des parties. Le délai fixé par le juge d’instruction, qui tient compte de la complexité de l’expertise, ne saurait être inférieur à quinze jours ou, s’il s’agit d’une expertise comptable ou financière, à un mois. Passé ce délai, il ne peut plus être formulé de demande de contre-expertise, de complément d’expertise ou de nouvelle expertise portant sur le même objet, y compris sur le fondement de l’article 82-1, sous réserve de la survenance d’un élément nouveau. »

Le juge d’instruction fixe ainsi un délai au cours duquel les parties peuvent, si elles le souhaitent, formuler une demande de contre-expertise. Ce délai doit tenir compte de la complexité de l’expertise et ne peut être inférieur à 15 jours – ou à 1 mois s’il s’agit d’une expertise comptable ou financière.

Le témoin assisté informé des conclusions d’expertise le concernant peut également présenter une demande de contre-expertise dans le délai fixé par le juge d’instruction (alinéa 5 de l’article 167 du Code de procédure pénale).

Passé le délai fixé par le juge, il n’est plus possible de formuler une telle demande.

En pratique, l’objectif d’une demande de contre-expertise est d’obtenir des conclusions différentes de celles des premiers experts. Ainsi, la contre-expertise doit être confiée à de nouveaux experts, différents des premiers, pour que les principes d’indépendance et d’impartialité soient garantis et respectés.

Comme l’indique l’article 167, la demande de contre-expertise doit être formée conformément aux dispositions de l’alinéa 10 de l’article 81 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire par déclaration au greffier du juge d’instruction saisi du dossier. La déclaration doit être constatée, datée et signée par le greffier, et signée par le demandeur ou son avocat. Elle peut aussi être faite au moyen d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou, lorsque la personne est détenue, par déclaration auprès du chef de l’établissement pénitentiaire.

Le juge d’instruction n’est pas tenu de faire droit à une demande de contre-expertise et peut rendre une ordonnance de rejet de cette demande. En tout état de cause, lorsqu’il rejette une telle demande, il doit rendre une « décision motivée qui doit intervenir dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande ». S’il ne statue pas dans ce délai, « la partie peut saisir directement la chambre de l’instruction » (article 167 du Code de procédure pénale).

Concernant le témoin assisté, le magistrat instructeur n’est pas tenu de rendre une ordonnance motivée s’il estime que la demande de contre-expertise n’est pas justifiée, sauf si le témoin demande à être mis en examen en application de l’article 113-6 du Code de procédure pénale (article 167 du Code de procédure pénale).

Quoi qu’il en soit, le juge apprécie l’opportunité de faire droit à la demande en toute indépendance [9].

Enfin, il convient de préciser que lorsqu’aucun délai n’a été imparti par le juge, il en résulte que l’intéressé peut demander une nouvelle expertise à tout moment [10].

Par ailleurs, le juge d’instruction n’est pas tenu de répondre par une ordonnance à une demande formulée après l’expiration du délai qu’il a fixé [11].

2.2. Cas particulier de l’article 167-1 du Code de procédure pénale.

L’article 167-1 du Code de procédure pénale régit le cas particulier du rapport d’expertise psychologique ou psychiatrique ayant conclu à l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique [12].

La partie civile est alors convoquée par le juge d’instruction, avec son conseil et en présence de l’expert, pour que les conclusions de l’expertise lui soient notifiées.

Elle dispose d’un délai de 15 jours pour formuler une demande de contre-expertise. Dans ce cas précis, la demande de contre-expertise par la partie civile est de droit. Elle devra être accomplie par au moins deux experts.

3. Les recours possibles en matière de demande de contre-expertise.

Il convient de distinguer entre deux hypothèses :
- Si le juge d’instruction rend une ordonnance de rejet de la demande de contre-expertise dans un délai d’un mois, il est possible d’interjeter appel de cette ordonnance devant la chambre de l’instruction ;
- Si le juge d’instruction ne se prononce pas sur la demande de contre-expertise dans un délai d’un mois, il est possible de saisir directement la chambre de l’instruction.

3.1. Appel de l’ordonnance de rejet de la demande de contre-expertise rendue par le magistrat instructeur.

Au cours de l’instruction, les appels sont portés devant la chambre de l’instruction, de sorte que l’appel constitue le mode normal de saisine de cette chambre.

Peuvent interjeter appel d’une ordonnance de rejet d’une demande de contre-expertise rendue par le juge d’instruction :
- Le ministère public, ce qui englobe le procureur de la République et le procureur général qui peuvent interjeter appel de toutes les ordonnances rendues par le juge d’instruction [13] ;
- La personne mise en examen [14] ;
- La partie civile, à condition que l’ordonnance rejetant la demande de contre-expertise lui fasse grief. L’article 186 alinéa 2 dispose en effet que la partie civile peut interjeter appel des ordonnances de non-informer, de non-lieu et des ordonnances faisant grief à ses intérêts civils, mais la jurisprudence a déjà pu juger que la partie civile était irrecevable à faire appel de l’ordonnance prescrivant un supplément d’information d’expertise [15].

Depuis la loi du 5 mars 2007, modifiant les articles 186 et 186-1 du Code de procédure pénale, les appels des ordonnances de refus de contre-expertise et de complément d’expertise ne sont plus soumis au pouvoir de filtrage du président de la chambre de l’instruction [16], puisque ces ordonnances sont désormais prévues à l’alinéa 1 de l’article 186 du Code de procédure pénale.

Dorénavant, en matière d’appel des ordonnances de refus de contre-expertise ou de complément d’expertise, le président de la chambre de l’instruction n’a donc plus la possibilité de décider s’il y a lieu de saisir ou non la chambre de l’instruction. Il ne peut plus rendre d’ordonnance de non-admission d’appel, de sorte que la chambre de l’instruction est directement saisie de l’appel.

Quoi qu’il en soit, le procureur général (alinéa 4 de l’article 185 du Code de procédure pénale), la personne mise en examen et la partie civile [17] dispose d’un délai de 10 jours pour interjeter appel. Le délai d’appel est de 5 jours s’agissant du procureur de la République [18].

L’appel est formé par déclaration au greffe du tribunal qui a rendu la décision attaquée [19].

3.2. Saisine directe de la chambre de l’instruction en cas d’inaction du magistrat instructeur.

Dans cette hypothèse, il s’agit de s’adresser directement à la chambre de l’instruction, indépendamment de tout appel.

Comme l’exige l’alinéa 4 de l’article 167 du Code de procédure pénale, le juge d’instruction dispose d’un délai d’un mois pour statuer sur une demande de contre-expertise, à compter de sa réception.

S’il ne se prononce pas dans ce délai, l’alinéa 4 in fine précise que

« la partie peut directement saisir la chambre de l’instruction ».

La saisine doit être inscrite au greffe de la chambre de l’instruction.

Si l’on s’en réfère à l’article 81 du Code de procédure pénale qui traite notamment des demandes d’actes faites au juge d’instruction, plus particulièrement à son dernier alinéa renvoyant aux troisième, quatrième et cinquième alinéas de l’article 186-1, il appartient alors au président de la chambre de l’instruction, dans un délai de 8 jours, de décider s’il y a lieu ou non de saisir la chambre de l’instruction. Sa décision est insusceptible de recours.

Si la chambre de l’instruction est saisie, elle dispose d’un délai de deux mois pour statuer, délai qui commence à courir à compter de la transmission du dossier au procureur général par le président de la chambre de l’instruction [20].

Avi Bitton, Avocat, et Clémence Ferrand, Juriste Tél. : 01.46.47.68.42 Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Fiche d’orientation Dalloz, Expertise pénale, septembre 2020.

[2Article 159 du Code de procédure pénale.

[3Article 157 du Code de procédure pénale.

[4Article 158 du Code de procédure pénale.

[5Alinéa 1 de l’article 161 du Code de procédure pénale.

[6Article 166 du Code de procédure pénale.

[7Alinéas 1 et 2 de l’article 167 du Code de procédure pénale.

[8Alinéa 5 de l’article 167 du Code de procédure pénale.

[9Paris, 1ère ch. acc., 22 octobre 1962, JCP 1962. II. 12920, note A. P.

[10Crim. 5 janvier 1977, n°75-13.003, Bull. crim. n°8.

[11Voir par exemple Crim. 6 juin 1988, n°88-81.990, Bull. crim. n°249.

[12Au sens de l’article 122-1 du Code pénal.

[13Alinéas 1 et 4 de l’article 185 du Code de procédure pénale.

[14Alinéa 4 de l’article 167 du Code de procédure pénale qui vise les ordonnances de rejet des demandes de complément d’expertise ou de contre-expertise.

[15Crim. 5 août 1932, n°D.1933.1.127.

[16Crim. 4 décembre 2007, n°07-87.047, Bull. crim. n°296.

[17Alinéa 4 de l’article 186.

[18Alinéa 2 de l’article 185 du Code de procédure pénale.

[19Alinéas 2 et 4 de l’article 185 et alinéa 4 de l’article 186 du Code de procédure pénale.

[20Alinéa 2 de l’article 194 du Code de procédure pénale.

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