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Heures supplémentaires : la preuve ne doit pas reposer sur le seul salarié. Par Kevin Bouleau, Avocat.
Parution : lundi 22 février 2021
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Dans un arrêt du 27 janvier 2021 (Cass. Soc., 27 janvier 2021, n° 17-31.046), la Cour de cassation vient clarifier le régime probatoire des heures supplémentaires. Elle précise qu’un décompte des horaires de prise de poste et de fin de service est suffisant, même en l’absence d’indications d’éventuelles pauses méridiennes.

Pour rappel, l’article L3171-4 du Code du travail prévoit qu’en

« cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles (…) ».

Dans cette affaire, un salarié souhaitait voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, et obtenir le paiement de diverses sommes au titre de l’exécution de son contrat de travail.

A l’appui de sa demande portant sur le paiement de rappel d’heures supplémentaires et de congés payés y afférent, le salarié produisait un décompte des heures de travail qu’il prétendait avoir accomplies durant l’exécution de son contrat de travail.

Ce décompte produit mentionnait :
- Les heures de prises et de fin de service ;
- Les rendez-vous professionnels avec la mention du nombre de magasins visités dans le cadre de ses fonctions de technico-commercial et
- Le décompte des heures quotidiennes et hebdomadaires effectués.

De son côté, l’employeur admettait ignorer le nombre d’heures effectué au total, dès lors qu’il ne les contrôlait pas le temps de travail du salarié concerné.

La Cour d’appel de Nîmes déboutait le salarié de sa demande, au motif que le décompte produit était

« insuffisamment précis en ce qu’il ne précisait pas dans son décompte la prise éventuelle d’une pause méridienne ».

Saisie d’un pourvoi formé contre cet arrêt, la Cour de cassation rappelle utilement que l’employeur est tenu d’établir les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective pour chacun des salariés ne travaillant pas selon l’horaire collectif de travail.

De plus, elle reprend la jurisprudence rendue au visa de l’article L3171-4 du Code du travail le 18 mars 2020 [1], qui considère dorénavant concernant la preuve des heures supplémentaires que le salarié doit présenter

« des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments ».

Explicitant pour la première fois ce que recouvre la notion « d’éléments suffisamment précis », il apparaît donc que l’ensemble des documents produits par le salarié entrait dans ce champ, d’autant plus que l’employeur ne présentait de son côté aucun élément. La solution rendue par la Cour d’appel conduisait donc à faire peser sur le seul salarié la charge de la preuve.

Preuve de l’importance de cet arrêt, la Cour de cassation l’a accompagné d’une note explicative.

Dans cette dernière, elle indique que la notion « d’éléments suffisamment précis » doit s’interpréter à la lumière de l’article 6 du Code de procédure civile, qui impose à chaque partie d’alléguer les faits nécessaires au succès de ses prétentions.

La précision des éléments produits doit alors être appréciée d’après un objectif d’organisation du débat judiciaire. Elle n’est pas de la même nature et de la même intensité que celle qui incombe à l’employeur, s’agissant de son obligation de contrôle de la durée de travail.

L’arrêt en déduit qu’en l’espèce, malgré l’absence de mentions des temps de pause dans les décomptes produits,

« le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre ».

Cette jurisprudence est donc d’une importance fondamentale, en ce qu’elle explique aux juridictions du fond comment apprécier les éléments probatoires, s’agissant d’un contentieux abondant et reposant particulièrement sur la production de preuves.

Maître Kevin BOULEAU Avocat au Barreau de Paris Cabinet EKIPE AVOCATS http://ekipe-avocats.com

[1Cass. soc., 18 mars 2020, n°18-10.919.