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Référé-suspension et recours en contestation de la validité d’un contrat public. Par Laurent Bidault, Avocat.
Parution : vendredi 26 février 2021
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Le tiers (candidat évincé notamment) à un marché public ou un contrat de concession de service public peut former un recours en contestation de la validité du contrat. Il peut accompagner son recours d’un référé-suspension pour obtenir la suspension de l’exécution du contrat. Par une décision du 15 février 2021, le Conseil d’Etat en donne une nouvelle illustration de (CE, 15 février 2021, Commune de Toulon, n°445488). Quelles sont les conditions de ce recours ?

Un tiers (candidat évincé, élus, préfet) à un contrat administratif (marché public, concession de service public, délégation de service public) peut contester un tel contrat, dès lors qu’il s’estime susceptible d’être lésé dans ses intérêts par la passation du contrat ou certaines des clauses du contrat lui-même.

Plus encore, le tiers au contrat a également la possibilité de saisir le juge des référés afin d’obtenir la suspension de l’exécution du contrat. La décision récente « Commune de Toulon » (CE, 15 février 2021, Commune de Toulon, n°445488) en est l’illustration [1].

Quelles sont alors les conditions pour former une telle action en référé suspension ?

1. Première condition : l’introduction d’une action devant le juge du fond.

En substance, l’introduction d’un référé suspension suppose au préalable d’avoir obligatoirement saisi le juge du fond d’une requête en annulation.

Ainsi, pour mémoire, l’article L521-1 du code de justice administrative prévoit que :

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

A défaut de saisine du juge du fond, la demande en référé-suspension est irrecevable.

En l’occurrence, il s’agira pour le requérant d’avoir saisi au préalable le juge administratif d’un recours en contestation de la validité du contrat [2].

Ainsi, tout tiers à un contrat administratif, s’estimant susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation du contrat ou ses clauses, a la possibilité de former devant le juge administratif, un recours contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles.

Ce recours peut être formé tant à l’encontre d’un marché public, d’une concession de service public (ou délégation de service public), d’une concession d’aménagement, d’une convention d’occupation du domaine public ou d’un avenant au contrat [3].

Il est en outre rappelé qu’un tel recours doit être introduit dans un délai de 2 mois suivant les mesures de publicité relatives à la conclusion du contrat. L’introduction d’une action en référé suspension n’est, elle, enfermée dans aucun délai.

Partant, le juge administratif rappelle que

« lorsque le tribunal administratif est saisi d’une demande contestant la validité d’un contrat, le juge des référés peut être saisi, sur ce fondement, d’une demande tendant à la suspension de son exécution, qu’il peut ordonner lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ce contrat et à conduire à la cessation de son exécution ou à son annulation, eu égard aux intérêts en présence » [4].

La saisine du juge du fond est donc un préalable obligatoire.

2. Deuxième condition : le contrat doit être en cours d’exécution.

Le contrat administratif, dont il est demandé la suspension de l’exécution, doit être toujours en cours d’exécution…

3. Troisième condition : l’urgence à suspendre l’exécution du contrat.

L’article L521-1 du code de justice administrative susvisé prévoit que : « le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie… ».

Ainsi, il est nécessaire de démontrer qu’il y a urgence à ce que le juge des référés prononce la suspension du contrat, c’est-à-dire que l’exécution du contrat « porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » [5].

Dans ce cadre, le juge des référés appréciera concrètement, au regard des justifications fournies, si les effets du contrat sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution du contrat soit suspendue.

Il reste que l’urgence n’a été que rarement admise par le juge administratif.

Ne permet pas d’établir une situation d’urgence :
- la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence ;
- le rejet de l’offre du requérant ;
- la perte de chiffre d’affaires liée au contrat litigieux qui ne représente que 3% du chiffre d’affaires global du requérant [6] ;
- le fait que le marché public en cause représentait jusqu’à 36,7% du chiffre d’affaires de la société qui en contestait la validité, de sorte que l’intérêt pour cette société de conclure le marché constituait une situation d’urgence [7].

A l’inverse, rarement donc, la condition d’urgence a été considérée comme remplie, dans la mesure où l’exécution du contrat risque d’affecter substantiellement les finances de la collectivité locale et qu’il est susceptible de créer, à brève échéance, une situation difficilement réversible en raison des travaux importants qui étaient prévus au contrat [8].

De même, il a été très récemment reconnu l’urgence à suspendre un contrat (concession de service public) dont l’attribution porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la société titulaire sortante, dans la mesure où son chiffre d’affaires dépendait intégralement de l’exécution du contrat (l’exploitation de salles de spectacles), de sorte que son avenir à court terme est fragilisé [9].

Le juge administratif se fonde donc, aux termes de ces quelques décisions favorables avant tout sur des conditions économiques liées à la situation des requérants (candidat évincé, impact sur les finances de la collectivité, imminence et ampleur des travaux).

Dès lors, l’urgence à suspendre l’exécution du contrat, notamment si elle est fondée sur des considérations économiques (privation importante de chiffre d’affaires par exemple), doit être précisément justifiée, documents comptables à l’appui.

A défaut, le juge administratif rejette la demande [10].

4. Quatrième condition : l’existence d’un doute sérieux quant à la validité du contrat.

Il faut ensuite démontrer qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité du contrat ("...et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision").

Le moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la validité du contrat s’entend comme étant

« un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ce contrat et conduire à la cessation de son exécution ou à son annulation » [11].

Il peut s’agir particulièrement d’un manquement de la part de la personne publique à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, à ses obligations en matière de transparence des procédures et d’égalité de traitement des candidats.

Par exemple, dans sa décision Commune de Toulon, le Conseil d’État a relevé que la Commune a « manqué à ses obligations de transparence et de mise en concurrence », ce qui créait un doute sérieux quant à la validité du contrat.

De même, toujours dans cette affaire, il a été souligné que la méthode d’appréciation des offres par la Commune créait une rupture d’égalité entre les candidats.

Notons également que le choix erroné d’une procédure de passation ou encore la durée excessive du contrat sont des moyens faisant naître un doute sérieux quant à la légalité du contrat et peuvent ainsi justifier la suspension du contrat, puis son annulation [12].

En tout état de cause, il est important de démontrer, en droit et en fait, en quoi la validité du contrat est entachée, à l’instar de ce qui aura été fait devant le juge du fond dans le cadre du recours en contestation de la validité du contrat.

Il reste enfin que le juge administratif tiendra compte, lorsqu’il prendra sa décision, sur l’impact de celle-ci au regard de l’intérêt général, particulièrement au regard de l’exigence de continuité du service public. La suspension - du moins immédiate - de l’exécution du contrat ne devant pas remettre en cause celle-ci.

Laurent Bidault Avocat au Barreau de Paris Novlaw Avocats www.novlaw.fr

[2CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n°358994.

[3Voir par exemple : CE, 20 novembre 2020, Association Trans’Cub, n°428156.

[4CE, 15 février 2021, Commune de Toulon, n°445488.

[5CE, Sect., 29 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n°228815 ; V. également en ce sens : CE, 26 juillet 2018, M. B., n°421049.

[6CE, Région Champagne-Ardennes, 28 mars 2012, n°356209.

[7CE, 19 janvier 2015, Société Ribière, n°385634.

[8CE, 10 octobre 2018, Cirest et autres, n°419406.

[9CE, 15 février 2021, Commune de Toulon, n°445488.

[10CE, 18 septembre 2017, Communauté de communes Centre Dombes, n°408894.

[11CE, 14 octobre 2015, Région Réunion, n°391183.

[12CE, 10 octobre 2018, Cirest et autres, n°419406.