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Accident d’accouchement : indemnisation des frais des méthodes Pëto, Doman, Biofeedback et Essentis. Par Dimitri Philopoulos, Avocat.
Parution : samedi 27 février 2021
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La famille de la victime et son avocat ne manqueront pas de remarquer un arrêt rendu le 16 février 2021 par le Conseil d’Etat dans le cadre d’une demande d’indemnisation des frais liés à la rééducation d’un enfant IMC par les méthodes de Pëto, d’Essentis et de Biofeedback.

L’avocat en droit de la santé sait que les méthodes de rééducation et de réadaptation font l’objet d’une recherche assidue de la part des parents d’un enfant victime d’une erreur médicale pendant l’accouchement et la naissance.

Voilà pourquoi la famille de la victime et son avocat noteront un arrêt rendu le 16 février 2021 par le Conseil d’Etat [1]

Cette décision de la Haute juridiction administrative a été rendue dans le cadre d’une faute médicale commise par la sage-femme d’une maternité pendant la naissance d’un enfant qui a subi une anoxie cérébrale.

La faute de la sage-femme était à l’origine d’une encéphalopathie anoxo-ischémique et par suite un handicap par infirmité motrice cérébrale (IMC) appelée aussi paralysie cérébrale (PC).

Dans cette affaire, la sage-femme qui a surveillé le travail d’accouchement n’a pas appelé le gynécologue obstétricien de garde malgré des anomalies du rythme cardiaque vues sur le tracé du monitoring du fœtus.

A cet égard, il convient de rappeler que la compétence de la sage-femme se limite strictement aux accouchements eutociques (des accouchements physiologiques et sans difficulté mécanique particulière). Cette compétence professionnelle résulte des dispositions de l’article L4151-3 du Code de la santé publique suivant lesquelles :

« En cas de pathologie maternelle, fœtale ou néonatale pendant la grossesse, l’accouchement ou les suites de couches, et en cas d’accouchement dystocique, la sage-femme doit faire appel à un médecin ».

La sage-femme a également commis une faute médicale au regard de la durée excessive de la période d’expulsion. En raison des efforts expulsifs de la mère, la période de l’expulsion s’accompagne de ralentissements profonds pouvant conduire à une encéphalopathie anoxo-ischémique de l’enfant à naître. Pour cette raison, la durée de l’expulsion doit être limitée pour prévenir celle-ci.

Le Conseil d’Etat approuve le second juge qui a décidé que ces manquements fautifs de la sage-femme de la maternité sont de nature à engager la responsabilité de l’hôpital. 

En revanche, la Haute juridiction administrative annule l’arrêt en ce qui concerne certains chefs relatifs à l’indemnisation. 

1) Indemnisation des méthodes de la rééducation et de la réadaptation dites « non conventionnelles » ou « alternatives ».

a) Dépenses de santé contestées devant le Conseil d’Etat.

Les enfants nés avec une infirmité motrice cérébrale (paralysie cérébrale) ont recours à la rééducation et à la réadaptation en particulier de la fonction motrice. 

Cependant, les méthodes dites non conventionnelles ne sont pas remboursées par la sécurité sociale, ni pratiquées par le corps médical traditionnel en France.

Les parents d’enfants atteints d’une infirmité motrice cérébrale après un manque d’oxygène à la naissance découvrent rapidement ces méthodes à travers les témoignages d’autres parents d’enfants handicapés.

De fait, les parents d’un enfant IMC sont souvent déçus par les résultats de la rééducation conventionnelle outre le manque d’offre de tels soins en province.

b) Méthodes alternatives de rééducation et de réadaptation.

Les parents d’un enfant victime d’une erreur médicale pendant l’accouchement ont recours à différentes méthodes alternatives pour la rééducation et réadaptation.

De manière non limitative (car il y en a beaucoup d’autres), les méthodes suivantes sont souvent utilisées :
- la « pédagogie conductive », selon le docteur Pëto (Hongrie) : elle est proposée à des jeunes enfants déficients moteurs selon un programme thérapeutique très structuré sur le plan éducatif et médical. Il fait appel à des techniques d’émulation de groupe et de rééducation kinésithérapique, ergothérapique et orthophonique ;
- la méthode Essentis (Barcelone, Espagne) : il s’agit d’un programme dit de neuro-réhabilitation à travers l’ostéopathie, l’acupuncture, la kinésithérapie neurologique, la technique de myoténofaciotomie ainsi que d’autres techniques ;
- la méthode Biofeedback du docteur Brucker (Miami, Etats-Unis) : elle repose sur l’utilisation du biofeedback électromyographique afin de détecter et par suite d’améliorer les capacités de mouvement. Une rééducation musculaire et d’autres procédés (stimulations) sont utilisés en complément aux séances de biofeedback ;
- la méthode Doman de structuration psychomotrice (avec pour base « le patterning ») : le but est de reproduire les mouvements naturels dans l’espoir d’enseigner au cerveau lésé sa propre fonction. Un concept clé de la rééducation motrice est « le patterning », qui consiste à reproduire de façon passive les mouvements de la reptation, du déplacement à quatre pattes et de la marche debout.

c) Position de la Haute juridiction administrative.

Sans surprise, les gynécologues obstétriciens responsables et leurs assureurs en contestent l’indemnisation faisant valoir que ces méthodes alternatives ne sont pas pratiquées par le corps médical français ni remboursées par la sécurité sociale. 

Il en va ainsi dans l’arrêt rapporté car l’hôpital a contesté l’indemnisation de telles dépenses de santé. 

Le second juge a suivi l’hôpital dans son raisonnement.

Or, le Conseil d’Etat a annulé la décision du second juge sur ce point :

« Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. et Mme Y... ont demandé le remboursement de séances de "biofeedback" suivies par le jeune X... ainsi que des frais de déplacement du médecin espagnol en charge du suivi des interventions de "myoténotomie" également suivies par l’enfant. La cour ne s’est pas prononcée sur ces chefs de préjudice. Par suite, les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a omis de statuer sur ces conclusions ».

Ce faisant le Conseil d’Etat permet aux parents de demander l’indemnisation des dépenses de santé du Biofeedback et de la myoténotomie pratiquée en Espagne.

Compte tenu de l’harmonisation de la jurisprudence des deux ordres de juridictions en matière de droit de la santé et du principe de la réparation intégrale du préjudice appliqué scrupuleusement par ceux-ci, on peut logiquement s’attendre à la même solution de la Cour de cassation.

2) Indemnisation des frais de transport pour les mêmes soins.

Les méthodes alternatives peuvent entraîner des déplacements importants.

Par exemple, la méthode Pëto pourrait nécessiter un déplacement en Hongrie étant précisé que l’association Enfance handicap moteur (EHM) la pratique en France à Pouilly-sur-Loire (58).

La méthode Essentis exige des déplacements en Espagne à Barcelone.

La méthode Biofeedback peut mener à un déplacement aux Etats-Unis à Miami.

Dans l’arrêt rapporté, l’hôpital responsable des fautes de la sage-femme conteste l’indemnisation de ces frais de déplacement sous le même prétexte selon lequel les soins ne sont pas conventionnels ou acceptés par le corps médical français. 

Le Conseil d’Etat censure le second juge qui a rejeté la demande des parents agissant en leur qualité de représentants légaux de leur enfant handicapé :

« Après avoir constaté que la victime avait dû suivre, compte tenu de son état de santé, des séances de "biofeedback" à Miami, plusieurs séances de "myoténofasciotomie" à Barcelone et que ses parents avaient en outre dû le conduire à diverses consultations médicales et séances de soins, la cour a cependant rejeté, faute de justificatifs suffisants, la demande de M. et Mme Y... tendant au remboursement des frais de déplacement occasionnés par ces séances. En excluant ainsi toute indemnisation à ce titre, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que l’existence du préjudice des demandeurs présentait un caractère certain, la cour a commis une erreur de droit ».

Il en va de même pour le Conseil d’Etat en ce qui concerne l’indemnisation desdits frais demandés par les parents en leur nom personnel :

« En rejetant la demande de M. et Mme Y... tendant au remboursement des frais de déplacement occasionnés pour accompagner leur fils à Miami, afin que celui-ci bénéficie de soins de "neurofeedback" au seul motif que la facture du billet d’avion n’était pas produite, alors qu’elle avait pourtant constaté la nécessité de ces soins, la cour a commis une erreur de droit ».

3) Position de la Haute autorité de santé.

Souvent les assureurs des gynécologues obstétriciens demandent aux experts de préciser s’il existe une évaluation scientifique fiable des programmes de rééducation non conventionnels et si un bénéfice est démontré chez l’enfant.

A cet égard, la Haute autorité de santé (HAS) qui a déjà mis en place un groupe de travail sur la question, rappelle nettement [2] :

« En l’absence de données scientifiques et de cadre réglementaire, aucune recommandation reconnue n’existe pour ces pratiques. La pertinence, les indications et les modalités des prises en charges rééducatives et réadaptatives nécessitent donc d’être précisément étudiées pour permettre un meilleur accompagnement de l’ensemble des personnes porteuses de paralysie cérébrale ».

De fait, aucune étude ne montrent la supériorité d’une prise en charge conventionnelle par rapport aux méthodes de Pëto, de Biofeedback, de Doman ou d’Essentis.

Le groupe de travail de la HAS n’a encore pas rendu ses conclusions au moment de la rédaction du présent article.

4) Problème des frais futurs dans l’attente de la consolidation des séquelles.

 

Avant la consolidation, les gynécologues obstétriciens fautifs et leurs assureurs s’opposent souvent aux frais futurs de l’enfant IMC sous prétexte qu’il faut attendre la consolidation des séquelles avant de pouvoir les indemniser.

Dans l’arrêt rapporté, il s’agissait d’une opposition d’indemnisation des frais futurs de soutien psychologique de l’enfant handicapé étant ajouté que cette opposition peut surgir également dans le cadre des frais de soins alternatifs.

Le Conseil d’Etat la rejette fermement au motif suivant : 

« En estimant que le besoin du jeune X... en soutien psychologique n’était pas établi pour la période comprise entre la date de lecture de son arrêt et le dix-huitième anniversaire de l’intéressé alors que la nécessité d’un tel accompagnement de l’enfant jusqu’à sa majorité ressortait, de façon suffisamment prévisible, tant des rapports d’expertise que du rapport d’évaluation sociale établi par la maison départementale des personnes handicapées, la cour a dénaturé les pièces du dossier ».

En conséquence, peuvent faire l’objet d’une indemnisation les frais futurs entre les dates de la décision du juge et de la consolidation de la victime à la condition que les éléments de preuve montrent leur nécessité de manière suffisamment prévisible.

Il s’agit d’une appréciation souveraine du juge du fond qui doit néanmoins respecter certaines limites notamment celle de ne pas dénaturer les pièces du dossier comme le rappelle le Conseil d’Etat.

5) Côté pratique pour la famille de la victime et son avocat.

L’absence de reconnaissance des méthodes de rééducation et de réadaptation alternatives par le corps médical français ouvre la porte à de nombreuses contestations devant le juge.

Les avocats en droit de la santé et en droit médical qui interviennent dans la défense et l’indemnisation des victimes d’erreurs médicales pendant l’accouchement peuvent obtenir l’indemnisation des dépenses de santé fût-elles non conventionnelles.

A cet égard, d’une part, la famille de la victime doit réunir scrupuleusement l’ensemble des pièces nécessaires pour justifier cette demande : par exemple, comptes-rendus, factures, devis et billets. 

Elle doit communiquer celles-ci à l’expert et au juge afin de permettre l’indemnisation.

D’autre part, dans le cas où l’expert pourrait émettre des réserves quant aux méthodes alternatives, l’avocat peut verser aux débats un avis technique d’un médecin conseil spécialiste de pédiatrie. Le juge attache une importance considérable à un tel avis.

Enfin, les recommandations à intervenir de la Haute autorité de santé pourraient apporter des précisions fort utiles aux juges mais aussi aux experts.

Au total, l’arrêt rapporté du Conseil d’Etat montre aux parents d’enfants victimes de fautes médicales commises pendant l’accouchement que le droit positif permet l’indemnisation des dépenses de santé alternatives restant à leur charge.

Dimitri PHILOPOULOS Avocat à la Cour de Paris Docteur en médecine https://dimitriphilopoulos.com

[1CE, 5ème ch., 16 févr. 2021, n° 428513.