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Troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence temporaires : une porte d’entrée aux CCI et à l’indemnisation au titre de la solidarité nationale ? Par Florence Verhaeghe et Estelle Dhimolea, Avocates.
Parution : mercredi 3 mars 2021
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Une étude approfondie des troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence tels que prévus à l’article D1142-1 du Code de la santé publique permet d’envisager ce critère de recevabilité aux commissions d’indemnisation des accidents médicaux et d’ouverture de droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale sous un angle peu utilisé : le caractère temporaire de ces troubles.

La recevabilité devant une Commission de Conciliation d’Indemnisation (CCI) des accidents médicaux et l’admission à une indemnisation au titre de la solidarité nationale en matière d’accident médical, d’affection iatrogène ou d’infection nosocomiale sont conditionnées à la démonstration, par la victime, du caractère de gravité de ses préjudices [1].

Ce « caractère de gravité » est fixé à l’article D1142-1 du Code de la santé publique.

La victime doit être en mesure de justifier d’un taux d’incapacité permanente d’au moins 24% ou d’un arrêt temporaire des activités professionnelles d’une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, ou de gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire (DFT) supérieur ou égal à un taux de 50% sur une même période.

L’article prévoit également à titre « exceptionnel » que le caractère de gravité peut être reconnu lorsque « la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l’activité professionnelle qu’elle exerçait avant la survenue de l’accident médical, de l’affection iatrogène ou de l’infection nosocomiale » mais encore « lorsque l’accident médical, l’affection iatrogène ou l’infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d’ordre économique, dans ses conditions d’existence ».

Ainsi sont exclus d’un accès aux CCI et par suite à l’indemnisation au titre de la solidarité nationale les victimes en recherche d’emploi, en réflexion pour reconversion professionnelle, en invalidité, retraitées ou étudiantes.

Il reste pour ces victimes l’option relative à l’existence d’un DFT au moins égal à 50% sur une durée d’au moins six mois consécutifs ou non consécutifs sur une période de douze mois.

L’acquisition de ce critère de gravité nous le savons reste complexe.

C’est alors qu’il convient de rappeler un critère peu utilisé : les troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence (TPGCE) prévus à l’article D1142-1 du Code de la santé Publique.

Ces derniers n’ont pas de de définitions légales ou réglementaires et doivent leur reconnaissance d’une part, à l’imagination des demandeurs puis d’autre part, à l’appréciation souveraine des Juges du Fond.

Par exemple, la Cour d’appel de Douai a pu retenir que la preuve de TPGCE était rapportée en raison de « bouleversement considérable dans les conditions de vie » de la victime caractérisé par des douleurs chroniques, des gênes permanentes (assise, debout), une perte d’autonomie, une prise quotidienne d’antalgique et d’antidépresseurs, l’arrêt de nombreuses activités de loisirs, et déformation abdominale [2].

L’étude de la jurisprudence permet deux principaux constats.

Le premier, il est fait une appréciation très stricte du recours au TPGCE en raison du caractère « exceptionnel » de ce critère tel que rapporté à l’article D1142-1 du CSP, et de la nécessaire « gravité » des troubles.

Le second, l’appréciation des TPGCE est faite après consolidation. C’est d’ailleurs la position avancée de l’ONIAM lors des opérations d’expertise.

Ce dernier constat conduit à s’interroger, l’analyse des TPGCE devrait-elle être réduite à l’état post consolidation de la victime ?

Cette règle n’a selon nous pas lieu d’être.

Le texte lui-même n’établit pas cette distinction.

De plus, il existe un versant temporaire aux troubles dans les conditions d’existence qui est explicitement exposé dans le référentiel indicatif d’indemnisation de l’ONIAM qui s’inspirant de la Nomenclature Dinthilac définit le déficit fonctionnel temporaire comme « les troubles dans les conditions d’existence de toutes natures ».

Le caractère temporaire des troubles dans les conditions d’existence a été apprécié par la Cour de Cassation aussi au regard de l’indemnisation accordée aux victimes par ricochet pour ce préjudice [3].

Il est de ce fait inconcevable que la victime directe d’un fait médical ne puisse pas se prévaloir de TPGCE temporaires.

Un avis de CCI de Bordeaux a déjà retenu des troubles particulièrement graves dans les conditions d’existence temporaire pour le port d’une stomie pendant cinq mois.

Il est déterminant que les juges consacrent également cette analyse.

A notre sens, il est essentiel d’inclure dans les missions d’expertise une meilleure caractérisation de cette évaluation et de l’évoquer avec les experts pour pouvoir développer ce critère devant la CCI ou devant les juges du fond : quels sont les troubles avant et après consolidation, quelles conséquences ont-ils eu sur la vie quotidienne familiale, sociale, sexuelle, de loisirs, économique…

Bien que restrictif par son caractère exceptionnel, la subjectivité associée à la notion de gravité, ce dernier critère doit donner lieu à un approfondissement plus important et un rôle plus actif de l’avocat pour en définir le contenu et ses limites.

Cette brèche doit être utilisée à chaque fois que cela est possible pour le demandeur afin d’obtenir une chance à toutes les victimes d’accidents médicaux une indemnisation de leurs préjudices.

Florence VERHAEGHE et Estelle DHIMOLEA AVOCATES Barreau de Rouen

[1Voir en ce sens l’article L1142-1 du Code de la Santé Publique.

[2CA Douai 3ème ch. ; 8 mars 2012 ; RG n°11/03020.

[3Voir en ce sens Cass. 2ème civ. 14 juin 2018 ; n°17-18.503.