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Covid-19 : L’obligation essentielle de garantie de l’assureur. Par Arnaud Lucien, Avocat.
Parution : mardi 2 mars 2021
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Les décisions des juridictions d’appel et probablement de la Cour de Cassation sont particulièrement attendues de la part des professionnels visés par les interdictions administratives liées à la Covid-19 en ce que les contrats d’assurances manquent de clarté quant aux garanties offertes face à l’épidémie de Covid-19.

CA Aix 25 février 2021 n° 20/10357.

Les termes équivoques employés tant dans l’évènement garanti que dans les clauses d’exclusion stipulées sont sources d’incertitudes.

La Cour d’Appel d’Aix en Provence fait œuvre de pédagogie en rappelant les règles applicables à la garantie des contrats d’assurance rappelant les principes légaux et jurisprudentiels protecteurs de l’assuré. La clause d’exclusion équivoque, imprécise et non limitée et qui priverait de sa substance l’obligation essentielle de garantie est réputée non écrite. L’assureur Axa est ici condamné pour la première fois par une Cour d’Appel.

L’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 25 février 2021, n° 20/10357 vient confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Marseille du 15 octobre 2020 qui avait déclaré réputée non écrite, la clause d’exclusion de garantie dont se prévaut la Société Axafrance Iard telle que ci-dessous reproduite :

« sont exclues les pertes d’exploitation, lorsque, a la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l ’établissement assure, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

Pour confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Marseille et condamner la société AXA à indemniser, les motifs adoptés par la Cour d’Appel d’Aix en Provence sont fondés sur les articles 1170 ancien du Code civil et 1171 du Code civil ainsi que l’article L113-1 du Code des assurances et sur les articles 1190 et 1191 du Code civil.

En application de l’article 1170 du Code civil, dans sa version en vigueur à compter du 1er octobre 2016 : « Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».

En outre, en vertu de l’article 1171 alinéa premier du même code, dans sa version en vigueur à compter du 1er octobre 2016 :

« Dans un contrat d’adhésion toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties est réputée non écrite ».

L’article L 113-1 alinéa premier du Code des assurances énonce que :

« les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ».

Enfin, lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat, dans le doute, il convient de privilégier l’interprétation favorable au débiteur, et, lorsqu’une clause est susceptible deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun [1].

La Cour d’appel d’Aix en Provence adoptait une motivation juridique implacable au regard du risque évident de pourvoi.

La Cour dans un attendu de principe rappelle qu’

« en matière d’assurance, l’assuré doit connaître l’étendue des garanties incluses dans le contrat d’assurance qu’il a souscrit et être en mesure de les comprendre ».

Elle rappelle de même qu’

« il a été jugé qu’il résulte de l’article L113-1 du Code des assurances que les clauses d’exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu’elles doivent être interprétées et qu’elles ne se réfèrent pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées ».

Sur la base de cet « attendu de principe » la Cour précise

« qu’en l’espèce, dans les conditions particulières du contrat d’assurance multirisque du 23 août 2017, figure sous le titre :
« perte d’exploitation suite à fermeture administrative » (page 9),
une garantie des pertes d’exploitation consécutive à une fermeture administrative intervenue notamment à la suite d’une épidémie, ainsi rédigée :
La garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même
2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication
 ».

Cette stipulation emporte selon la Cour une obligation essentielle de l’assureur est d’indemniser son assuré des pertes d’exploitation subies suite à fermeture administrative en raison d’une épidémie.

La Cour poursuit son raisonnement et analyse la clause d’exclusion stipulant :

« Sont exclues : les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».

La Cour écarte l’application de cette clause comme « réputée non écrite » en ce que

« l’application pure et simple de cette clause d’exclusion aboutirait donc à ne pas garantir l’assuré des pertes d’exploitation subies en raison de la fermeture administrative de son restaurant pour épidémie de coronavirus, et donc, à priver de sa substance l’obligation essentielle de garantie ».

Il s’agit ici d’une application de la jurisprudence classique depuis 1996 [2] avec l’affaire Chronopost qui avait retenu

« qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite ».

La Cour d’Appel d’Aix en Provence n’en reste pas là et ouvre les portes pour écarter les stipulations équivoque des contrats d’assurance.

En effet, l’Arrêt rappelle en outre que si les stipulations contractuelles doivent être interprétées, elles doivent obligatoirement l’être au bénéfice de l’assuré.

Elle prend le soin de rappeler la règle : L’article L113-1 alinéa premier du Code des assurances énonce que :

« les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ».

De jurisprudence constante, la Cour de cassation est exigeante et contrôle si l’assuré avait connaissance de l’étendue exacte de la garantie [3].

La clause ne doit pas être sujette à interprétation sinon, elle ne constitue pas une clause formelle et limitée, et n’est donc pas conforme aux exigences de l’article L113-1 [4].

La Cour ajoute ainsi que l’imprécision des conditions d’indemnisation par l’absence de définition précise des évènements ouvrant droit à la garantie ou emportant déchéance de la garantie une obligation de couverture par l’assureur.

Ainsi, la Cour d’Appel d’Aix en Provence justifie sa position pour le cas d’espèce en indiquant

« qu’aucune distinction n’est opérée quant à la population visée, aucune définition des termes maladie contagieuse et épidémie ne figure au contrat L’obligation essentielle de l’assureur est donc celle d’indemniser son assuré des pertes d’exploitation subies suite à fermeture administrative en raison d’une épidémie ».

Il est ainsi probable que l’ensemble des polices d’assurances qui font état d’une garantie en cas d’épidémie ou d’évènements naturels survenus dans le voisinage ou de fermeture administrative mais qui prévoient une exclusion trop large, imprécise ou équivoque pour priver l’assuré de l’exécution de l’obligation essentielle stipulée retrouvent devant les juridictions leur pleine application.

Enfin, à titre superfétatoire, la Cour le rappelle : il est nécessaire pour l’assuré de déclarer les différents sinistres intervenus constitués dans les trois arrêtés de fermeture administrative applicables :
- Le premier pour la période du 15 mars 2020 au 2 juin 2020,
- Le second pour la période du 28 septembre 2020 au 4 octobre 2020,
- Le troisième pour la période qui commence depuis le 30 octobre 2020,

En effet, les trois décisions gouvernementales de fermeture constituent 3 sinistres différents.

Il convient de rappeler que le contrat d’assurance puisse imposer des délais de déclaration et qu’en tout état de cause la prescription biennale est encoure.

Pour les plus frileux qui préfèreront attendre une position plus assise de la jurisprudence, il conviendra a minima d’interrompre la prescription par l’envoi d’une mise en demeure par LRAR et ainsi interrompre la prescription [5].

La Juridiction pourra alors imposer la conduite de la procédure d’expertise amiable ou à la demande de l’assuré ordonner une expertise judiciaire.

Outre les conséquences immédiates pour les assurés Axa bénéficiant des garanties du contrat d’espèce, la Cour fait ici un rappel utile s’agissant de l’obligation de garantie de l’assureur face à des polices souvent difficiles à lire ou équivoques quant aux évènements garantis.

Maître Arnaud LUCIEN, Avocat au Barreau de TOULON [->contact@adl-avocat.fr] https://barreautoulon.fr/avocat/lucien-arnaud/

[1Articles 1190 et 1191 du Code civil.

[2Cass. Com., 22 oct. 1996, n° 93-18.632.

[3Cass. 1re civ., 22 mai 2001, no 99-10.849, Bull. civ. I, no 140.

[4Cass. 3e civ., 27 oct. 2016, no 15-23.841, Bull. civ. II, no 140.

[5Article L114-1 du Code des assurances.