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Avocat-médiateur : vers une nouvelle approche des litiges ? Par Jean-Philippe Mariani, Avocat.
Parution : jeudi 4 mars 2021
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A l’heure où le contexte sanitaire exacerbe les tensions et met à l’épreuve le « vivre ensemble », il est légitime de s’interroger sur la place de la Justice, et donc des avocats, dans la résolution des conflits.

Depuis une dizaine d’années, l’Etat tente de promouvoir les alternatives au procès. L’objectif affirmé serait de créer une « culture de la médiation » propre à éviter une procédure contentieuse.

A titre d’exemple, le Code de procédure civile, prévoit en son article 750-1, en vigueur depuis le 1er janvier 2020, que lorsque la demande porte sur « un conflit de voisinage », la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative. Comme le souligne l’exposé des motifs de la loi à l’origine de cette disposition [1],

« les modes alternatifs de règlement des litiges doivent continuer à se développer pour alléger l’activité des juridictions mais, surtout pour favoriser des modalités plus apaisées et plus rapides de règlement des différends pour les citoyens ».

Toutefois, certains commentateurs considèrent que l’Etat ne fait en réalité que répondre à sa propre défaillance dans l’organisation du service public de la Justice : l’Etat français est en effet régulièrement condamné pour dépassement du délai raisonnable de jugement. Il est ainsi fréquent d’attendre 2 ou 3 ans un jugement en droit du travail ou dans un litige de copropriété, délai porté respectivement à 3 et 4 ans en cas d’appel.

L’état de délabrement de la justice n’est donc certainement pas étranger à cet encouragement aux modes amiables.

Pour autant, cette motivation un peu « honteuse » suffit-elle à invalider la démarche ? Nous ne le pensons pas.

Nous nous devons d’acquérir cette culture non pour faire plaisir à la Chancellerie mais pour les justiciables eux-mêmes ! Car pour bon nombre d’entre eux, un procès sera une catastrophe psychologique, et parfois même en cas de succès : après l’adage, toujours récité mais jamais entendu, « mauvais arrangement vaut mieux que bon procès » il est aussi courant de dire qu’un procès fait deux perdants : le vainqueur, épuisé et le vaincu, revanchard...

En conséquence, les avocats doivent tirer profit de leur profonde connaissance du conflit pour le comprendre, l’analyser et le synthétiser dans toutes ses dimensions, y compris humaines et irrationnelles, et non pour l’attiser.

Alors, lorsque cela sera possible, les avocats peuvent réduire les souffrances, rétablir le dialogue et chercher des solutions créatives, et seulement lorsque cela ne le sera pas, présenter au Juge un dossier déjà instruit afin de le solliciter sur les questions qu’il lui appartient de trancher en droit.

Les outils existent : avec le processus collaboratif et la procédure participative, les avocats peuvent et doivent devenir les premiers acteurs de tous les modes de règlement des conflits, amiables comme contentieux. Ils ajouteront ainsi une autre dimension à la classique et uniforme approche judiciaire des dossiers, approche que les avocats maitrisent si bien mais dont ils constatent, au fil des années, l’inefficacité croissante.

Il s’agit là d’un changement profond d’ADN pour le barreau. Alors, à quand les avocats génétiquement modifiés ?

Jean-Philippe MARIANI, avocat .

[1Article 3 II de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 qui modifie l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.