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La relation entre Monaco et l’Espace Schengen. Par Camille Dire, Avocat.
Parution : mercredi 3 mars 2021
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La signature par la France de l’accord de Schengen et de sa convention d’application aurait dû avoir pour conséquence le rétablissement des contrôles aux frontières avec Monaco, qui n’est pas partie à l’accord. Aussi, la « convention de voisinage » signée en 1963 fût modifiée afin de la rendre compatible avec les nouveaux engagements internationaux ratifiés par la France.
Article vérifié et mis à jour par son auteur en septembre 2023.

Les deux pays entretiennent de longues date des relations privilégiées : en effet, la France et Monaco forment un espace de libre circulation depuis le rattachement du comté de Nice à la France en 1860 [1]. Ce régime a été formalisé par l’adoption de traités fondamentaux : le traité franco-monégasque du 2 février 1861 consacre les limites territoriales de la principauté, tandis que le traité d’amitié protectrice du 17 juillet 1918 prévoit que la France garantisse l’intégrité du territoire monégasque « comme s’il faisait partie intégrante de la France ».

A l’issue d’un conflit diplomatique historique survenu en 1962 entre l’Hexagone et la Principauté, le plénipotentiaire de la Principauté de Monaco et le plénipotentiaire du Gouvernement de la République française signeront à Paris le 18 mai 1963 une série de conventions bilatérales, et particulièrement la « Convention de voisinage » régissant les conditions d’entrée, de séjour et d’établissement des personnes.

S’agissant des droits accordés aux ressortissants français et aux monégasques, elle prévoit en l’espèce que ceux-ci « entrent, circulent et s’établissent librement sur le territoire de l’autre Partie dans le respect de ses engagements internationaux et de sa législation en vigueur ».

1/ Monaco : un quasi Etat Schengen.

Suite à la signature par la France de l’accord de Schengen (14 juin 1985) et de sa convention d’application (19 juin 1990) [2], les deux Etats ont procédé à un échange de lettres du 15 décembre 1997 [3] et celui des 12 septembre et 16 octobre 2006 [4], afin de rendre compatible cette convention historique avec le nouvel ordre juridique résultant de la création de l’espace Schengen, instituant des contrôles obligatoires aux frontières extérieures de la France, et donc à la frontière franco-monégasque.

Le comité exécutif Schengen du 23 juin 1998, prenant acte que la liberté de circulation entre la France et Monaco avait été instituée avant l’entrée en vigueur de la convention d’application de l’accord de Schengen, que les parties contractantes à ladite convention n’avaient pas remis en cause ces règles de libre-circulation, et que, sur la base de cette convention de voisinage, les autorités françaises appliquaient les règles et les contrôles tirées de cette même convention lorsqu’elles procèdent aux contrôles des conditions d’entrée, de séjour et d’établissement des ressortissants de pays tiers dans la principauté de Monaco, décidera que :

Contrairement au Liechtenstein, à la Suisse, à la Norvège et à l’Islande, la Principauté de Monaco va alors bénéficier d’un régime particulièrement intégré, et ce sans jamais avoir signé d’accord avec les autres parties contractantes, du fait de cette inclusion de la convention de voisinage dans l’acquis de Schengen.

Ainsi, pour les séjours de courte durée (inférieurs à trois mois), dans la Principauté, le régime d’entrée et de circulation des étrangers est identique à celui qui s’applique à ces étrangers en France : les visas valables pour l’espace Schengen et ceux dont la validité est territorialement limitée à la France [5] sont valables pour le territoire de la Principauté.

En France, le régime d’entrée et de circulation des étrangers titulaires d’un titre de séjour monégasque est identique à celui qui s’applique aux étrangers titulaires d’un titre de séjour français.

De même, la convention prévoit que le Gouvernement français s’efforce d’obtenir de ses partenaires que le régime d’entrée et de circulation des ressortissants monégasques soit identique à celui qui s’applique aux Français et que le régime d’entrée et de circulation des étrangers titulaires d’un titre de séjour monégasque soit identique à celui qui s’applique aux étrangers titulaires d’un titre de séjour français.

Enfin, la convention stipule que les visas valables pour le territoire de la Principauté seront délivrés par les consulats français.

S’agissant des séjours de longue durée des étrangers dans la principauté, la convention va distinguer d’abord les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Confédération Suisse (UE/EEE/CH), lesquels doivent déposent une demande d’autorisation de long séjour auprès des autorités monégasques, qui communiqueront à l’ambassadeur de France à Monaco la demande dont elles sont saisies en lui fournissant les éléments d’appréciation nécessaires.

Quant aux ressortissants d’autres États, ils doivent présenter une demande de visa de long séjour au Consul de France territorialement compétent, le visa n’étant délivré qu’après consultation et accord des autorités monégasques. Les étrangers non UE/EEE/CH établis en France depuis au moins un an formulent leur demande d’autorisation de long séjour à l’ambassadeur de France à Monaco, qui la transmet avec ses observations éventuelles aux autorités monégasques. Afin de prendre sa décision, le Gouvernement princier tient compte des éventuelles oppositions qui pourraient être formulées par les autorités françaises.

La différence est notable avec les autres micro-Etats européens (Vatican, Saint-Marin et Andorre).

A titre d’exemple, alors que la situation géographique de la principauté d’Andorre est semblable à celle de Monaco, celle-ci ne bénéficie pas d’un régime aussi favorable, restant un pays tiers tant à l’égard de l’Union que vis-à-vis de l’espace Schengen : Andorre possède un point de passage frontalier terrestre avec la France au Pas de la Case-Porta et avec l’Espagne à La Seo de Urgel. Les questions de circulation avec Andorre trouvent également leur résolution dans deux conventions tripartites non intégrées dans l’acquis de Schengen, signées le 4 décembre 2000 entre la République française, le Royaume d’Espagne et la Principauté d’Andorre, traitant respectivement des conditions de circulation des ressortissants de ces trois pays, et de celles des ressortissants des Etats tiers. La première prévoyant que pour un séjour de plus de quatre-vingt-dix jours sur le territoire d’une Partie contractante, les ressortissants de l’autre Partie doivent être en possession d’un titre de séjour [6].

2/ La gestion des points de passage frontaliers (PPF).

Conformément aux dispositions qui précèdent, la frontière entre la France et Monaco est « ouverte », c’est-à-dire que les flux de voyageurs, terrestres, maritimes ou aériens, n’y sont pas contrôlés.

En revanche, la principauté possède bien deux points d’entrée dans l’espace Schengen, situé sur son territoire : l’héliport et le port maritime de la Condamine. Ces deux points figurent dans la liste émise par la France, parmi les 122 autres PPF hexagonaux.

Les modalités des contrôles y sont organisés par un accord sous forme d’échange de lettres signées à Paris et à Monaco le 15 décembre 1997 [7], entré en vigueur le 1er mai 2000.

Afin de se conformer aux exigences du droit européen, et notamment de la notification tirée de l’article 39 du Code frontières Schengen (CFS) [8] établissant que les autorités habilitées à diligenter des contrôles transfrontaliers sur les PFF français sont la police aux frontières (PAF) ou la douane (DGDDI), l’accord bipartite réserve aux autorités françaises ce droit d’exercer les contrôles frontaliers « sur les personnes en provenance ou à destination d’un Etat tiers n’appliquant pas les accords relatifs à la suppression des contrôles des personnes aux frontières communes conclus par la France avec d’autres Etats ».

En effet, octroyer ce droit aux autorités monégasques serait revenu à leur donner un pouvoir de contrôle des flux entrants et sortant de l’espace Schengen, alors que la principauté n’est pas signataire des accords.

En revanche, afin que la principauté puisse assumer sa souveraineté, les autorités monégasques peuvent exercer des contrôles d’entrée ou de sortie, après ceux diligentés par les autorités françaises. L’accord prévoyant que « Les conditions requises par les autorités de contrôle françaises et les autorités de contrôle monégasques pour autoriser l’admission sur le territoire de la Principauté sont cumulatives ».

3/ L’effectivité des contrôles.

En pratique, la plupart des étrangers se rendant à Monaco en provenance d’un pays tiers arrivent dans l’espace Schengen via un point de passage frontalier situé dans un Etat Schengen, qu’il s’agisse de l’aéroport de Nice ou de celui de Milan, par exemple. Dans ce cas, les contrôles d’entrée sont effectués par les autorités nationales, conformément aux dispositions pertinentes du Code frontières Schengen, sans difficultés.

La principauté voit également accoster annuellement en escale au port de la Condamine environ 230 navires de croisière [9] et de très nombreux (et volumineux…) navires de plaisance [10]. Le CFS prévoit des modalités de contrôle particulières en fonction de l’itinéraire et de la provenance des navires, les agents de la section du contrôle frontalier de la division de police maritime et aéroportuaire pouvant procéder aux vérifications qui s’imposent sur l’équipage et les passagers, le cas échéant.

La Principauté se singularise toutefois dans la présence particulièrement abondante de navires de plaisance au mouillage dans ses eaux territoriales. A titre liminaire, il convient de rappeler que les personnes à bord d’un navire ancré dans les eaux territoriales ne sont pas en situation de séjour. Le droit national s’applique pleinement (disposition fiscales, pénales, environnementales, …) mais pas celles relatives au séjour (nul besoin d’un visa de long séjour pour séjourner dans les eaux territoriales). C’est le « droit de passage inoffensif » prévu par la convention de Montego Bay.

En provenance de pays tiers, ces navires de plaisance s’approchent des côtes monégasques, puis les occupants prennent un hélicoptère pour se rendre à terre, à l’héliport de Monaco. Dans ce cas, le régime d’entrée fixé pour les navires de plaisance n’est pas applicable, puisqu’ils n’ont pas accosté dans un port et stationnent temporairement dans les eaux territoriales. Les vérifications aux frontières sont alors assurées par l’unité de contrôle aéroportuaire de l’héliport.

Mais, comme il a été vu précédemment, les autorités monégasques ne peuvent décider d’octroyer un droit d’entrée à des voyageurs en provenance de pays tiers, et, n’étant pas membre à part entière de l’espace Schengen, elles ne disposent pas d’un composteur spécifique à leurs points de passages frontaliers.

La procédure applicable sera alors celle prévue par l’arrangement administratif relatif aux modalités d’exercice des contrôles conjoints aux points de passage des frontières aériennes et maritimes de la Principauté de Monaco, signé le 21 avril 2000 [11], et octroyant au service de la police aux frontières territorial (SPAFT) de Menton (département des Alpes-Maritimes) la charge d’exercer les contrôles pour la France : les fonctionnaires français sont avisés dès que possible par les autorités monégasques de toute arrivée ou départ prévus d’un aéronef ou d’un navire assurant un trajet non-Schengen. Des locaux leur sont réservés dans les bâtiments des points de passage frontaliers afin qu’ils puissent y diligenter les contrôles. In fine, les voyageurs doivent satisfaire à la fois aux exigences Schengen et à celles de la Principauté. La non-satisfaction d’une quelconque de ces obligations entraîne la non-admission, qui est exécutée par les autorités monégasques.

En pratique, il peut arriver que les personnes devant se voir apposer un compostage d’entrée soient conduites au poste frontalier de Menton (ou invitées à s’y rendre…), où les vérifications sont effectuées, et le cachet apposé sur le document de voyage.

L’avènement du système entrée-sortie [12], prochainement déployés dans les PPF de l’espace Schengen, va supprimer cette exigence de compostage.

Il appartiendra aux autorités françaises et monégasques de se coordonner à nouveau afin de déterminer une procédure d’enrôlement conforme aux prescriptions du règlement.

4/ L’épisode « Covid ».

Preuve que le droit à circuler librement entre la France et Monaco reste un sujet majeur entre les deux Etats, l’année 2021 a été marquée par un léger regain de tensions, suite aux mesures mises en place par la France au début du mois de février, limitant la circulation avec les pays frontaliers :

Ainsi les Monégasques, sauf à justifier d’un motif impérieux ou présenter un test PCR négatif de moins de 72 heures, ne pouvaient se déplacer que dans un rayon de trente kilomètres autour de Monaco et pour une durée inférieure à 24 heures ! [13].

Le texte évoquant sans distinction « Toute personne âgée de onze ans ou plus entrant par voie terrestre sur le territoire national », il limitait également les déplacements des 9 000 ressortissants français qui résident en Principauté.

Jugeant cette décision en totale contradiction avec les dispositions conventionnelles liant les deux pays, les autorités monégasques avaient à leur tour adopté des mesures « en stricte réciprocité des dispositions françaises », renforçant ainsi les contrôles à leurs propres frontières.

Camille Dire, Avocat Barreau de Nice DIRE-Avocat-NICE Droit européen - Droit international Circulation transfrontalière - Schengen Droit administratif - Fonction publique

[1Traité signé à Turin le 24 mars 1860 entre la France et la Sardaigne.

[2Entrée en vigueur le 26 mars 1995.

[3Rendu exécutoire à Monaco par l’ordonnance n° 14.512 du 20 juin 2000.

[4rendu exécutoire par l’ordonnance n° 1.114 du 16 mai 2007.

[5Art. 25 du règlement (CE) n° 810/2009 du parlement européen et du conseil du 13 juillet 2009 établissant un Code communautaire des visas.

[6Convention entre la République française, le Royaume d’Espagne et la Principauté d’Andorre relative à l’entrée, à la circulation, au séjour et à l’établissement de leurs ressortissants, signée à Bruxelles le 4 décembre 2000, publiée au JORF par décret n° 2003-739 du 30 juillet 2003.

[7Publié par décret n° 2000-592 du 29 juin 2000.

[8Règlement (UE) 2016/399 du parlement européen et du conseil du 9 mars 2016 concernant un Code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes.

[9Art. 2.17 CFS.

[10Art. 2.18 CFS.

[11entrée en vigueur le 1er juillet 2000.

[12Règlement (UE) 2017/2226 du parlement européen et du conseil du 30 novembre 2017 portant création d’un système d’entrée/de sortie (EES).

[13Article 14-1 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, dans sa rédaction issue du décret n°2021-99 du 30 janvier 2021 - art. 2