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Annulation d’une marque pour mauvaise foi : Attention à l’intention d’usage ! Par Anne Chanteloup, Conseil en Propriété Industrielle.
Parution : jeudi 4 mars 2021
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En janvier 2020, nous vous faisions part de l’annulation partielle de l’une des marques Monopoly par les chambres de recours de l’EUIPO, son dépôt ayant été considéré comme étant de mauvaise foi.
Le Tribunal de l’Union européenne vient de rendre une décision prenant à nouveau en compte l’intention du déposant et s’interrogeant sur sa bonne foi. Cette décision confirme la nécessité pour les déposants de rester vigilants s’agissant de leur stratégie de dépôt et de défense de leurs droits…

Si la mauvaise foi est encore de mise dans cette affaire, elle est cette fois-ci analysée sous un autre angle.

En effet, l’Office européen avait partiellement annulé la marque européenne Monopoly, considérant qu’il s’agissait ici d’un dépôt « répété » effectué dans l’unique but d’échapper à l’obligation d’usage sérieux des autres marques Monopoly (enregistrées depuis plus de 5 ans) [1].

Dans le cas présent, est mise en cause la volonté du déposant d’étendre la portée de la protection d’un autre droit antérieur (légèrement différent), sans réelle intention d’usage de la marque nouvellement déposée.

En l’espèce, la société Target Partners GmbH (ci-après « Target Partners ») gère des fonds de capital-risque sous la dénomination Target Partners (protégée à titre de nom commercial, de marques et via le nom de domaine <targetpartners.de> ). En 2015, elle a obtenu l’enregistrement d’une marque Target Ventures, dénomination qu’elle avait déjà réservée via les noms de domaine <targetventures.de> et <targetventures.com> , noms de domaine qui pointaient vers son site "targetpartners.de".

En réponse à une lettre d’injonction adressée à la société Target Ventures Group Ltd (ci-après « Target Ventures ») gérant aussi un fonds de capital-risque, lui demandant de cesser son usage de Target Ventures à titre de nom commercial, cette dernière a demandé l’annulation de la marque Target Ventures.

Cette demande en annulation a été rejetée en première instance puis par la Chambre de recours, considérant qu’il n’était pas démontré que Target Partners connaissait l’existence de la société Target Ventures à la date de dépôt de la marque contestée.

Le Tribunal en a toutefois décidé autrement et a adopté un autre raisonnement pour justifier de sa décision. Celui-ci a considéré qu’il ressortait « d’indices objectifs pertinents et concordants » que l’intention de la société Target Partners n’était pas de faire un usage à titre de marque de la dénomination Target Venture mais uniquement d’étendre et de renforcer sa protection sur la dénomination antérieure Target Partners. A ce titre, le tribunal constate que ce dépôt de marque n’a entraîné aucun changement quant à l’usage de Target Venture toujours utilisé après le dépôt de la marque comme c’était le cas préalablement c’est-à-dire en tant que noms de domaine <targetventures.de> et <targetventures.com> , renvoyant toujours sur le site officiel de Target Partners https://www.targetpartners.de/.

Autrement dit, le dépôt d’une marque ayant uniquement vocation à accroître un monopole sur un signe antérieur différent mais proche, ne démontre pas l’intention du déposant d’en faire un usage à titre de marque mais, au contraire, caractérise à lui seul la mauvaise foi.

Nous attirons particulièrement votre attention sur le fait que cette demande en annulation a été introduite après que la société Target Partners ait adressé un courrier de mise en demeure à la société Target Ventures, lui demandant de cesser l’exploitation de son nom commercial. Le mécanisme d’action en annulation à l’encontre des marques françaises étant désormais facilité avec l’introduction d’une procédure de déchéance directement devant l’INPI, nous vous recommandons donc de faire preuve d’une grande prudence, notamment lors de l’envoi de courriers de réclamation à des personnes et/ou sociétés tierces.

Ainsi, cette décision rappelle qu’il est essentiel en amont d’analyser l’objectif poursuivi lors d’un dépôt de marque et, dans un second temps, de refaire une analyse des risques avant de contacter un tiers et/ou d’agir à son encontre.

Anne CHANTELOUP Conseil en Propriété Industrielle Conseil Européen en Marques, Dessins et Modèles [->chanteloup@regimbeau.eu ] REGIMBEAU www.regimbeau.eu

[1Voir notre article sur le sujet ici.