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Courtage matrimonial et crédit affecté : un conte du Code de la Consommation. Par Emmanuel Bruneau, Avocat.
Parution : mardi 9 mars 2021
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Parmi les nombreux contrats spéciaux visés par le Code de la consommation, le contrat de courage matrimonial n’est pas le plus connu.
Pourtant, il comporte quelques spécificités qui méritent d’être rappelées, et ce d’autant plus qu’il peut être financé par un contrat de crédit à la consommation.
En voici une illustration.

Le conte : La mère, l’entremetteuse et l’usurier.

Il était une fois une mère qui, souhaitant le meilleur pour sa fille, décida de lui faciliter la rencontre d’un prince charmant.

Elle décida pour cela de solliciter les services d’une entremetteuse.

Hélas, le coût des services de celle-ci était fort élevé.

L’entremetteuse, qui ne souhaitait pas laisser passer une occasion d’exercer son commerce, conseilla à la mère les services d’un usurier qui saurait lui avancer l’argent nécessaire.

Et c’est ainsi que la mère s’endetta auprès de l’usurier pour s’attacher les services de l’entremetteuse.

Hélas, non seulement l’entremetteuse ne trouva pas de prince pour la fille, qui alla de crapaud en crapaud baveux, mais les remboursements exigés par l’usurier dépassaient les moyens de la mère, qui se trouva ruinée.

Celle-ci, abattue, décida de consulter un homme de loi.

L’homme de loi, après avoir compulsé ses recueils, saisit le magistrat local de la difficulté, démontrant que la loi du pays n’avait pas été respectée par l’entremetteuse et l’usurier.

Et c’est ainsi que la mère se trouva libérée de ses contrats avec les deux compères.

L’usurier fut condamné à rembourser à la mère les sommes qu’elle lui avait versées ainsi qu’à payer les honoraires de l’homme de loi.

Fin.

La réalité : la décision du juge des contentieux de la protection.

Voilà une fin heureuse comme on aimerait en rencontrer plus souvent. Evidemment, la réalité qui fut soumise au Juge des contentieux de la protection du Mans est un peu plus complexe que le conte ne peut laisser le croire.

L’entremetteuse du conte était évidemment une agence matrimoniale et l’usurier, une société de crédit à la consommation. Et effectivement, une mère souscrit un contrat de crédit à la consommation pour financer le contrat de courtage matrimonial de sa fille.

Ses revenus ne lui permettaient cependant pas de faire face au remboursement de ce crédit et des impayés donnèrent lieu à une inscription au Fichier National des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP).

Afin de résoudre cette situation, le Cabinet, après analyse des contrats, assigna l’agence matrimoniale et l’organisme de crédit afin d’obtenir la nullité des deux contrats.

Il se trouve, même si c’est peu connu, que le contrat de courtage matrimonial (que fait signer une agence matrimoniale à ses clients) est un contrat régi par des dispositions d’ordre public du Code de la consommation. Ainsi, aux termes de l’article L224-90 du Code de la consommation :

« L’offre de rencontres en vue de la réalisation d’un mariage ou d’une union stable, proposée par un professionnel, fait l’objet d’un contrat écrit, rédigé en caractères lisibles, dont un exemplaire est remis au cocontractant du professionnel au moment de sa conclusion.
Le contrat mentionne le nom du professionnel, son adresse ou celle de son siège social, la nature des prestations fournies, ainsi que le montant et les modalités de paiement du prix. Est annexée au contrat l’indication des qualités de la personne recherchée par le cocontractant du professionnel.
Ces contrats sont établis pour une durée déterminée, qui ne peut être supérieure à un an ; ils ne peuvent être renouvelés par tacite reconduction. Ils prévoient une faculté de résiliation pour motif légitime au profit des deux parties
 ».

Ces dispositions sont d’ordre public en application de l’article L224-95 du même code et l’article L242-32 du Code de la consommation prévoit que :

« Les mentions prescrites au deuxième alinéa de l’article L224-90 sont prévues à peine de nullité du contrat ».

En l’espèce, l’exemplaire du contrat de courtage remis par l’agence à sa cliente ne comportait pas les mentions prévues par l’article L224-90 du Code de la consommation.

En premier lieu, il ne comportait pas le « nom du professionnel » prévu par l’article : le nom porté sur le contrat n’était pas la raison sociale de la société mais celui de la franchise sous le nom de laquelle elle exerçait son activité de courtage matrimonial.

En second lieu, le contrat ne comportait pas le montant et les modalités de paiement du prix, non plus que la répartition entre frais fixes et frais proportionnels. Le contrat portait la mention « par CB en dix fois », qui ne correspondait pas aux modalités de paiement mises en place par les parties. En effet, comme les deux sociétés défenderesses le précisaient elles-mêmes dans leurs conclusions et comme l’a relevé la juridiction :

« l’intégralité du montant du crédit à la consommation avait été versé par la société de crédit à la société de courtage matrimonial. Les modalités de paiement au professionnel de courtage matrimonial ne correspondent donc pas directement à un paiement par carte bleue, puisque le financement du contrat d’adhésion a été effectué en une fois, par le versement du montant du crédit à la consommation ».

Le contrat de courtage matrimonial fut donc déclaré nul, suivant jugement du Juge des contentieux de la protection du Mans en date du 13 octobre 2020.

Mais ce n’était qu’une première étape puisque restait le problème du contrat de crédit à la consommation souscrit afin de régler le coût du contrat de courtage matrimonial.

Aux termes de l’article L312-55 du Code de la consommation :

« En cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé.
Les dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l’instance ou s’il a été mis en cause par le vendeur ou l’emprunteur
 ».

La nullité du contrat de crédit à la consommation découlait donc nécessairement de celle du contrat de courtage matrimonial.

Mais cette nullité obligeait en principe l’emprunteuse à rembourser le capital emprunté.

Toutefois la Cour de cassation a établi une jurisprudence selon laquelle :

« En versant des fonds à la société sans procéder préalablement aux vérifications nécessaires auprès du vendeur et des emprunteurs, ce qui lui aurait ainsi permis de constater que le contrat était affecté d’une cause de nullité, la banque avait commis une faute la privant de sa créance de restitution » [1].

En l’espèce, le Juge des contentieux de la protection relève que l’établissement de crédit :

« n’a pas effectué les vérifications minimum nécessaires pour s’assurer que le contrat principal (...) était valable et n’était pas susceptible d’être frappé de nullité. En tant qu’établissement professionnel, habitué des dispositions protectrices du crédit à la consommation, il a donc commis une faute de nature entraînant sa responsabilité et l’empêchant de réclamer la restitution des capitaux prêtés ».

L’établissement de crédit fut donc condamné à rembourser les échéances déjà versées par l’emprunteuse, à lever l’inscription au FICP sous astreinte et, avec l’agence matrimoniale, à régler les honoraires du Cabinet au titre de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

Il appartient donc aux agences de courtage matrimonial et aux sociétés de crédit qui financent de tels contrats d’être particulièrement vigilantes sur la rédaction des mentions relatives au prestataire et aux modalités de paiement du prix.

Quant aux clients de ces sociétés qui s’en trouverait malheureux, ces dispositions du Code de la consommation leur offrent un nouvel espoir.

Maître Emmanuel BRUNEAU Avocat au Barreau du MANS www.mebruneau.com

[1Cass. 1re civ., 10 déc. 2014, n°13-26.585.