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Mon employeur peut-il m’imposer une mutation géographique ? Par Guilain Lobut, Avocat.
Parution : jeudi 11 mars 2021
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Le lieu de travail constitue bien souvent un paramètre crucial pour le salarié qui accepte un contrat de travail. Pourtant, dans la plupart des cas, la mention du lieu de travail dans le contrat n’a qu’une valeur informative, qui peut, sous certaines conditions, être unilatéralement modifié par l’employeur au cours de la relation de travail, à moins qu’une clause particulière ne prévoie un lieu de travail exclusif ou n’indique que le lieu de travail constitue un élément essentiel du contrat, dont la modification nécessitera alors l’accord préalable du salarié [1].

La possibilité pour l’employeur de muter géographiquement un salarié dépend de la présence ou non dans le contrat de travail d’une clause de mobilité.

1/ En présence d’une clause de mobilité dans le contrat de travail.

Lorsque le contrat de travail contient une clause de mobilité, il convient de se référer à la zone géographique définie par cette clause. Si la mutation souhaitée par l’employeur est comprise dans cette zone, alors l’accord préalable du salarié pour y procéder n’est pas nécessaire. Dans la situation inverse, l’acceptation préalable du salarié s’impose.

La validité du contenu d’une clause de mobilité géographique est subordonnée à plusieurs conditions :

- La zone géographique d’application doit être définie de manière précise. A défaut, la clause est nulle [2] ;

- L’employeur ne peut se réserver le droit d’en étendre unilatéralement la portée, notamment par l’usage d’une formulation extensive du type « tout lieu que son employeur lui désignera » ou « dans tous les établissements que la société détient ou détiendra » [3]. Le salarié doit en effet savoir précisément à quoi il s’engage. Dès lors que la clause est précise, la zone géographique d’application peut être relativement importante, par exemple l’ensemble du territoire national [4].

La mise en œuvre d’une clause de mobilité doit également répondre à plusieurs conditions cumulatives :

- La mutation doit être indispensable aux intérêts légitimes, justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché [5] ;

- La mutation ne peut avoir pour objet de sanctionner, de manière détournée, le salarié ;

- La mutation ne doit pas entraîner une modification du contrat de travail, en particulier concernant le niveau de la rémunération, par exemple dans le cas où le salarié est muté dans un magasin générant un chiffre d’affaires inférieur au précédent, impactant de ce fait le montant de sa rémunération variable contractuelle. De même, une mutation entraînant le passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit peut être refusée par le salarié [6] ;

- L’employeur doit respecter un délai de prévenance suffisant, et, le cas échéant, celui prévu par la convention collective applicable [7] ;

- Enfin, l’employeur doit veiller au respect du droit du salarié à une vie personnelle et familiale (laissé à la libre appréciation du juge). Dans de multiples contentieux, le juge a ainsi invalidé le licenciement de salarié ayant refusé une mutation, en considérant que celle-ci faisait peser sur sa vie personnelle et familiale de trop fortes contraintes [8].

Le refus par le salarié d’une mutation géographique ne doit pas être abusif, au risque de justifier un licenciement, notamment dans les cas suivants :
- Les refus successifs de mobilité d’un salarié, sans motif légitime, accompagnés d’un abandon de poste, malgré des mises en demeure de l’employeur [9] ;

- Le refus catégorique d’une salariée de changer d’affectation, cette dernière manifestant également sa volonté de n’accepter pour l’avenir aucun autre poste [10].

Cas particulier de la clause de mobilité géographique issue d’un accord de performance collective.

Les conditions de la mobilité géographique peuvent également être prévues par un accord de performance collective dont le but est de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou de préserver ou développer l’emploi » (article L. 2254-2 du Code du travail).

Dans ce cas, la clause de mobilité géographique prévue par l’accord se substitue de plein droit à celle prévue par le contrat de travail, si ces deux clauses sont incompatibles ou contraires.

Le salarié peut toutefois refuser la modification de son contrat de travail résultant de l’application de l’accord, dans le délai d’un mois à compter du moment où le contenu de cet accord a été porté par l’employeur à sa connaissance. En cas de refus par le salarié de se voir appliquer l’accord, l’employeur a la possibilité de procéder à un licenciement pour cause réelle et sérieuse. Il ne s’agit pas d’un licenciement pour motif économique, au sens du Code du travail. En cas de contentieux, le juge aura alors la tâche difficile d’apprécier si la mise en œuvre de l’accord répond ou non « aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise » ou s’il a pour objectif « de préserver ou développer l’emploi » [11].

2/ En l’absence de toute clause de mobilité dans le contrat de travail.

Dans le cas où le contrat de travail ne contient aucune disposition relative à la mobilité géographique du salarié, il faut se référer à la notion jurisprudentielle du secteur géographique.

Tout changement du lieu de travail au sein du même secteur géographique que le lieu de travail précédent n’entraîne pas de modification du contrat et ne nécessite donc pas l’accord préalable du salarié. Autrement dit, la nouvelle affectation du salarié constitue un simple changement des conditions de travail, relevant du pouvoir de direction de l’employeur. A l’inverse, l’accord du salarié est obligatoire lorsque la nouvelle affectation n’est pas située dans le même secteur géographique.

La délimitation d’un même secteur géographique s’apprécie notamment au regard des critères suivants :
- Le temps de trajet supplémentaire ;
- La distance entre l’ancien et le nouveau lieu de travail ;
- Le réseau de transport entre l’ancien et le nouveau lieu de travail ;
- Les fonctions occupées par le salarié.

A titre d’exemple, en appliquant ces critères, la région parisienne ne constitue pas systématiquement un seul et unique secteur géographique.

Le changement de lieu de travail à travers le prisme du secteur géographique doit s’analyser de manière objective, c’est-à-dire de façon identique pour tous les salariés compris dans le même secteur géographique et non d’une manière subjective par rapport à la situation de chaque salarié considéré individuellement [12].

La localisation des deux lieux de travail, l’ancien et le nouveau, détermine si ces deux lieux se situent ou non au sein du même secteur géographique. En principe, les particularités personnelles (domicile du salarié, moyens financiers…) n’entrent pas en ligne de compte.

Toutefois, l’impact important du changement de lieu de travail sur l’organisation de la vie personnelle et familiale du salarié est de plus en plus pris en considération par les juges pour invalider une mutation, y compris à l’intérieur d’un même secteur géographique.

Guilain Lobut Avocat au barreau de Paris Email: [->gl@lobut-avocat.com] Site: guilainlobutavocat.fr

[1Cass. Soc. 2 avril 2014, n° 13-11.922

[2Cass. Soc. 12 juillet 2006, no 04-45.396 ; Cass. Soc 16 juin 2009, no 08-40.020

[3Cass. Soc. 2 octobre 2019 n° 18-20.353

[4Cass. Soc. 13 mars 2013 n° 11-28.916

[5Cass. Soc. 3 novembre 2004, n° 03-40.158

[6Cass. Soc. 15 décembre 2004, no 02-44.714 ; Cass. Soc. 14 octobre 2008, no 07-41.454 ; Cass. Soc 14 octobre 2008, no 07-40.092

[7Cass. Soc. 3 mai 2012, n° 10-25.937 ; Cass. Soc. 4 mars 2020, n° 18-24.329

[8Cass. Soc.14 octobre 2008, n° 07-40.523 ; Cass. Soc. 10 février 2016, nº 14-17.576

[9Cass. Soc. 12 janvier 2016, n° 14-23.290

[10Cass. Soc. 24 octobre 2018, n° 17-22.600

[11Cf. en ce sens Cass. Soc. 2 décembre 2020, n° 19-11.986

[12Cass. Soc. 4 mai 1999, no 97-40.576 ; Cass. Soc. 17 novembre 2010 no 09-66.755