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Licenciement nul : réintégration possible même si le salarié a retrouvé un emploi. Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : mercredi 17 mars 2021
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Dans un arrêt du 10 février 2021 (n°19-20397), publié au Bulletin, la Cour de cassation a réitéré sa position selon laquelle la réintégration d’un salarié, dont le licenciement avait été déclaré nul, n’était pas rendue matériellement impossible par le fait que ce dernier était entré au service d’un nouvel employeur.

A) Les faits.

Un salarié, Chef d’escale de la société Air Corsica à Marseille avait été licencié pour motif personnel.

Soutenant que son licenciement était lié à des agissements de harcèlement moral, le salarié a saisi le Conseil de prud’hommes d’Ajaccio pour solliciter la nullité de la rupture ainsi que sa réintégration au sein de la société.

Le Conseil de prud’hommes d’Ajaccio puis la Cour d’appel de Bastia ont retenu l’existence d’agissements de harcèlement moral et constaté la nullité du licenciement.

En revanche, les juges du fond ont débouté le salarié de sa demande de réintégration.

Par arrêt du 14 février 2018, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Bastia en ce qu’il avait débouté le salarié de sa demande de réintégration.

Le 20 février 2019, la Cour d’appel de Bastia a finalement ordonné la réintégration du salarié, constatant qu’il n’était pas démontré que celle-ci était impossible et ce malgré le fait que le salarié était entré au service d’un autre employeur.

Contestant cette décision, la société a formé un pourvoi en cassation, estimant que la réintégration du salarié était matériellement impossible, celui-ci étant lié par un nouveau contrat de travail.

La Cour de cassation n’a toutefois pas suivi cette argumentation.

B) La solution de la Cour de cassation.

Dans son arrêt du 10 février 2021, publié au Bulletin, la Haute Juridiction considère que le seul fait pour le salarié d’être lié à un nouvel employeur ne caractérisait pas l’impossibilité de réintégration.

En effet, le salarié pouvant démissionner sa réintégration n’était pas matériellement impossible.

C’est d’ailleurs ce qui était relevé par la Cour d’appel de Bastia, celle-ci estimant que le salarié avait la possibilité de démissionner et que la réintégration pourrait donc intervenir à l’expiration de son préavis.

Cette solution n’est toutefois pas nouvelle.

Ainsi, dans un arrêt du 21 octobre 1992 (n°90-42.477), confirmé par la suite le 2 février 2005 (n°02-45.085), la Cour de cassation avait considéré que le fait pour des salariés d’avoir retrouvé un emploi ne caractérisait pas une impossibilité matérielle de les réintégrer.

Par cet arrêt, la Cour de cassation continue de préciser les contours de la réintégration du salarié, et notamment les cas dans lesquels la réintégration est ou n’est pas matériellement impossible.

C) Dans quels cas la réintégration d’un salarié peut-elle être ordonnée ?

Aux termes de l’article L1235-3-1 du Code du travail, un salarié peut solliciter sa réintégration lorsque son licenciement a été considéré comme nul en raison :
- D’agissements de harcèlement moral ;
- D’agissements discriminatoires ;
- De la violation d’une liberté fondamentale ;
- D’une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
- De l’exercice de son mandat ;
- Du non-respect des dispositions relatives au licenciement d’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.

Seul le salarié peut demander sa réintégration : elle est de droit et ne peut ni lui être imposée ni par les juges, ni par son ancien employeur.

En cas de réintégration ordonnée par les juges, le salarié a droit au paiement d’une indemnité correspondant aux salaires qu’il aurait dû percevoir entre son éviction et sa réintégration.

Cette indemnité n’est en revanche pas génératrice de congés payés.

Doivent en outre être déduis les éventuels revenus de remplacement du salarié durant cette période (allocations chômage ou salaires), sous réserve que l’employeur en fasse la demande.

En revanche, lorsque la nullité a pour fondement la violation d’une d’un droit ou d’une liberté fondamentale garantis par la Constitution, l’indemnisation est forfaitaire et il ne peut être tenu compte des éventuels revenus de remplacement perçus durant l’éviction.

C’est notamment le cas en présence de licenciements du fait de l’état de santé du salarié, de l’exercice du droit de grève ou d’une action en justice ou encore du licenciement d’un salarié protégé intervenu du fait de l’exercice de son mandat.

Toutefois, dans certains cas, et même lorsque le salarié en fait la demande, la réintégration peut être refusée par les juges du fond.

D) Dans quels cas la réintégration du salarié peut-elle être considérée comme matériellement impossible ?

Dans certaines hypothèses, et malgré la demande du salarié, la réintégration peut lui être refusée par les juges du fond.

Pour se faire, encore faut-il démontrer qu’elle est matériellement impossible [1].

A titre d’exemples, la Cour de cassation a pu considérer que la réintégration du salarié était rendue matériellement impossible dans les hypothèses suivantes :
- Le salarié, victime de harcèlement moral, sollicitait l’éviction immédiate de l’auteur du harcèlement [2] ;
- Le salarié avait été reconnu coupable d’actes de concurrence déloyale postérieurement à son licenciement [3] ;
- Le salarié percevait une pension de retraite [4].

A l’inverse, la Haute Juridiction a pu constater que la réintégration n’était pas matériellement impossible dans les cas suivants :
- Les relations entre le salarié et l’employeur sont arrivées à « un point de non-retour » [5] ;
- Le salarié avait commis des actes de concurrence déloyale très anciens et qui avaient cessé [6] ;
- Plus aucun poste n’était vacant [7] ;
- La société avait procédé à l’externalisation du service dans lequel le salarié travaillait [8].

L’appréciation du caractère matériellement impossible de la réintégration se fait donc au cas par cas, en fonction des circonstances de l’espèce.

Toutefois, l’arrêt du 10 février 2021 apporte une précision importante, à savoir que le seul fait que le salarié soit déjà lié par un contrat de travail ne suffit pas à rendre sa réintégration impossible.

Il sera donc nécessaire pour les sociétés de démontrer cette impossibilité sur la base d’autres éléments pour tenter d’échapper à la réintégration.

Source : site internet de la Cour de cassation
- Arrêt n°201 du 10 février 2021 (19-20.397) - Cour de cassation - Chambre sociale

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Article L1235-3-1 du Code du travail.

[2Cass.soc., 9 avril 2015, n°13-23.314.

[3Cass.soc., 25 juin 2003, n°01-46.479.

[4Cass.soc., 17 octobre 2018, n°16-27.597.

[5Cass.soc., 14 février 2018, n°16-22.360.

[6Cass.soc., 26 avril 2006, n°04-42.681.

[7Cass.soc., 2 février 2005, n°02-45.085.

[8Cass.soc., 14 septembre 2016, n°15-15.944.