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L’employeur est-il obligé d’organiser une enquête en cas de plainte pour harcèlement ? Par Avi Bitton, Avocat et Manon Laguilliez, Juriste.
Parution : jeudi 8 avril 2021
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L’employeur est-il obligé d’organiser une enquête en cas de plainte pour harcèlement ?
Quelle est la sanction en l’absence d’enquête ?

Le Code du travail prévoit des dispositions spécifiques en matière de harcèlement moral et de harcèlement sexuel au travail.

L’article L1152-1 du Code du travail dispose qu’« aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail ». A ce titre, l’employeur doit prendre

« toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral » [1].

L’article L1153-1 du Code du travail prévoit qu’aucun salarié ne doit subir des faits, soit de harcèlement sexuel, soit des faits assimilés au harcèlement sexuel. A cet effet, l’employeur doit prendre

« toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner » [2].

Toutefois, aucune disposition du Code du travail ne prévoit la mise en place d’une enquête interne ou externe en matière de harcèlement moral ou sexuel lorsqu’une plainte est communiquée à l’employeur.

La jurisprudence, dynamisée notamment par l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 portant sur le harcèlement et la violence au travail, a détaillé les mesures de prévention imposées à l’employeur aux articles L1152-4 et L1153-5 du Code du travail.

L’une de ces mesures est l’enquête. L’enquête menée par l’employeur en cas de plainte pour harcèlement n’apparait pas être une obligation légale mais bien un devoir et une nécessité (1). Cette enquête peut être lourde de conséquences sur les suites données à la plainte au sein de l’entreprise mais également devant les juridictions (2).

1. L’obligation pour l’employeur de mettre en place une enquête en cas de plainte pour harcèlement.

Les mesures de prévention des risques psychosociaux telles que l’enquête doivent être prises en charge par l’employeur en vertu notamment de son obligation de sécurité imposé à l’article L4121-1 du Code du travail.

Cette disposition légale affirme que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». L’article L4121-1 du Code du travail

« prévoit notamment que les mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels ; des actions d’information et de formation ; la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés ».

La Cour de cassation a pu estimer que l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral [3].

De ce fait, la jurisprudence a confirmé que l’employeur doit mettre en place des mesures de prévention pour faire cesser tout agissement constitutif de harcèlement dans l’entreprise [4].

En s’appuyant sur une ligne jurisprudentielle prévoyant l’obligation de l’employeur de prendre des mesures de prévention en matière de harcèlement moral au visa des articles L4121-1 et 2 du Code du travail, la Cour de cassation a consacré l’obligation pour l’employeur de mettre en place une enquête pour toutes les plaintes de harcèlement portées à lui [5].

Cet enseignement jurisprudentiel est notamment tiré de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 mars 2010.

L’article 4.2 de l’ANI visé prévoit que

« les plaintes doivent être suivies d’enquêtes et traitées sans retard et toutes les parties impliquées doivent bénéficier d’une écoute impartiale et d’un traitement équitable ».

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a retenu qu’

« il appartient à l’employeur, avisé de faits éventuels de harcèlement, de diligenter une enquête interne afin de vérifier les allégations qui lui sont rapportées » [6].

D’ailleurs, la chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà considéré que l’employeur doit engager « rapidement » une enquête dès lors que des faits de harcèlement sont dénoncés [7].

Au regard de ces dispositions jurisprudentielles et de l’accord national interprofessionnel, l’employeur a l’obligation de mettre en place une enquête dès que des faits de harcèlement sont dénoncés, qu’ils soient ou non établis et peu importe la qualification des faits donnés.

Autrement dit, l’enquête est désormais une réponse immédiate qui doit être donnée par l’employeur en cas de plainte pour harcèlement au regard de son obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser ce type d’agissement mais également au regard de son obligation de sécurité [8].

2. La sanction de l’absence d’enquête.

Si la jurisprudence montre un tel attachement à la mise en place d’une enquête par l’employeur en cas de plainte pour harcèlement, les conséquences d’un tel manquement sont importantes.

En effet, selon différents arrêts de la Cour de cassation, l’employeur qui ne met pas en place une enquête à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement engage nécessairement sa responsabilité.

A ce titre, l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 29 juin 2011 prévoit que si l’employeur n’a pas mené d’enquête suite à une plainte pour harcèlement, celui-ci commet une faute [9]. C’est notamment le cas, lorsqu’il y a des doutes et que les faits ne sont pas encore démontrés, qu’une enquête est nécessaire [10].

Ainsi, l’employeur qui n’organiserait pas une enquête immédiatement après la dénonciation des faits de harcèlement engage sa responsabilité civile et pénale dans la survenance des préjudices subis par les salariés victimes.

De ce fait, la Cour de cassation distingue les mesures de prévention visées par les articles L1152-4 et L4121-1 du Code du travail.

En effet, bien que des agissements de harcèlement moral ne soient pas établis, le manquement de l’employeur dans l’organisation d’une enquête engage sa responsabilité au regard de son obligation de sécurité prévue à l’article L4121-1 du Code du travail.

Autrement dit, que les faits de harcèlement dénoncés soient constitués ou non, si l’employeur n’a pas mené une enquête interne ou externe suite à cette dénonciation, il commet nécessairement une faute entrainant un préjudice pour le salarié victime.

L’enquête est donc une nécessité pour l’employeur en matière de prévention des risques psychosociaux dans un cadre plus large que le harcèlement au travail.

Par conséquent, à la lecture de ces arrêts et de l’accord national interprofessionnel, l’employeur a tout intérêt de mettre en place des mesures de prévention importantes et notamment diligenter des enquêtes en cas de plainte pour harcèlement afin de protéger les salariés mais également l’entreprise face à la survenance de risques professionnelles et de troubles psychosociaux.

A ce propos, de nombreuses entreprises ont instauré la mise en place de commission d’enquête en cas d’alerte de harcèlement moral ou sexuel dans l’entreprise.

Ces commissions peuvent être prévues directement par le règlement intérieur, un engagement unilatéral de l’employeur ou par la voie de la négociation collective.

L’enquête apparait donc être un nouveau levier juridique dans la détermination de la responsabilité civile et pénale de l’employeur et la préservation des risques psychosociaux des salariés.

Avi Bitton, Avocat, et Manon Laguilliez, Juriste Courriel: [->avocat@avibitton.com] Site: [->https://www.avibitton.com]

[1Article L1152-4 du Code du travail.

[2Article L1153-5 du Code du travail.

[3Cass, soc,. 19 octobre 2011, n°09-68.272.

[4Cass, soc,. 1er juin 2016, n°14-19.702.

[5Cass, soc,.29 juin 2011, n°09-70.902.

[6Cass, soc,. 27 novembre 2019, n°18-10.551.

[7Cass, soc,. 7 avril 2016, n°14-23.705.

[8Article L1152-4 et L1153-5 du Code du travail.

[9Cass, soc,. 29 juin 2011, n°09-70.902

[10Cass, soc,. 27 novembre 2019, n°18-10.551.