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L’enseignement du droit au lycée : un voeu pieux en passe de devenir réalité ?
Parution : mardi 23 mars 2021
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Apprendre le droit n’est pas une mince affaire. A l’université, les premières années sont ardues et les étudiants doivent s’accrocher pour maîtriser le vocabulaire, la méthodologie et la logique juridiques. La matière a fait son entrée au lycée au début de la précédente décennie et, depuis 2020, en tant qu’option en filière générale. Retour sur les programmes des filières et l’intérêt de cette introduction au droit au lycée.

Ils sont très nombreux, en France, à plaider pour un enseignement du droit dans les lycées. Parmi eux, Régine Dhoquois-Cohen, maîtresse de conférence honoraire à l’Université Paris Diderot [1], défendait en 1998 un enseignement du droit au lycée : « Il faut enseigner le droit dans les collèges et lycées pour que les élèves cessent d’être effrayés et comprennent qu’il constitue l’ordonnancement concret de la cité. Nul n’est censé ignorer les élèves » [2] Elle justifiait cette réflexion par « l’étendue de l’ignorance des jeunes gens, mais aussi la relative facilité à expliquer l’essentiel des fondements du droit dès lors qu’ils s’appuient sur des exemples concrets ».

Des enseignements pour introduire au droit.

En guise d’introduction au droit au bac professionnel, la spécialité « Droit et économie » est proposée aux élèves en filière STMG depuis la rentrée 2012 avec un programme réformé en 2019 [3]. Celle-ci, obligatoire, prône une approche concrète afin de « former des citoyens conscients des règles et des mécanismes juridiques qui régissent le fonctionnement de la société, les rapports entre les personnes ainsi que les enjeux économiques, sociaux et environnementaux liés à la croissance et au développement. » [4] En guise d’introduction, les élèves de première STMG étudient le droit au travers de quatre problématiques : « Qu’est-ce que le droit ? Comment le droit permet-il de régler un litige ? Qui peut faire valoir ses droits ? Quels sont les droits reconnus aux personnes ? » [5] L’année suivante, prélude à l’entrée dans la vie professionnelle, aborde le rôle du contrat ; la responsabilité ; l’encadrement du travail salarié par le droit ; le cadre et les clés de l’entreprenariat. [6]

La réforme du lycée de 2019 entrée en vigueur à la rentrée 2020 a modifié en profondeur l’architecture du bac général en supprimant les filières et en introduisant des spécialités afin d’individualiser encore davantage les parcours des élèves. Parmi ces options, on trouve ainsi « Droit et grands enjeux du monde contemporain » (DGEMC), laquelle, à raison de 3h de cours hebdomadaires, aborde les instruments du droit (loi, contrat, jurisprudence, responsabilité...), les sujets du droit (la famille, la personne, le travailleur, Internet...), l’organisation (la constitution, les conventions internationales...). Le programme se découpe en deux parties : une première qui expose « les différentes sources de droit afin de mettre en évidence leur hiérarchie et leur complémentarité. Chaque source de droit est mise en perspective avec la ou les institutions créatrices. »

L’accent est mis sur « des exemples choisis dans une diversité de champs, mais aussi dans la vie quotidienne de l’élève » ; une seconde orientée vers à la fois « l’examen de situations concrètes, de décisions de justice ou de cas pratiques, en vue d’identifier les règles applicables et leur application en l’espèce » ; mais également « la construction d’une argumentation juridique autour d’une problématique donnée ou dans le cadre de sujets de débat. » [7]

La première année de droit reprend ces procédés et ces méthodes, ce qui démontre que la voie suivie par l’option ici décrite s’inscrit dans le même esprit. Ces programmes, bien que différents dans leur appréhension de la matière juridique selon à qui ils s’adressent, ont le mérite d’essayer de faire honneur à la maxime « Nul n’est censé ignorer la loi ». En faisant découvrir les instruments du droit, son rôle social, ainsi que la méthodologie du raisonnement juridique ; et, surtout, en donnant aux élèves l’occasion de « réfléchir à l’existence et à l’utilité des normes juridiques, à leur portée sociale, à leur vertu pacificatrice, aux conditions de leur adoption et à celles de leur application » [8], ces enseignements semblent s’inscrire dans le prolongement des cours d’éducation civique.

Des enjeux importants.

Ainsi, on observe plusieurs finalités importantes dans ce travail porté depuis l’introduction de ces deux spécialités. Concrètement, elles illustrent une volonté affichée d’améliorer la culture juridique des lycéens et de leur faire prendre conscience que le droit est partout et qu’il est pluriel. Comprendre les mécanismes et le raisonnement juridiques pourront leur servir au quotidien pour contester un contrat et pouvoir mieux se défendre.

Politiquement également, cela doit permettre de lutter contre le « désenchantement démocratique [en rétablissant] la confiance publique » [9]. Réaffirmer l’utilité et la légitimité de la règle de droit en permettant aux citoyens et futurs électeurs de réfléchir à celle-ci, c’est finalement redonner du souffle à la démocratie et ses fondements. Pour cela, donner les clés de lecture de la loi, afin d’en comprendre l’essence, et une condition nécessaire…mais pas unique, puisque, faut-il le rappeler, « simple, claire, intelligible et économe  » [10] est le descriptif d’une bonne loi. Il reste donc du travail pour redorer le blason démocratique.

Plus modestement, cela peut également servir à comprendre le processus d’adoption d’une loi, le fonctionnement des institutions. Nul doute que votre entourage sera heureux d’avoir des piqures de rappel juridique sur certains points simplifiés par l’actualité bouillonnante.

Une vraie demande de la part des lycéens.

Les chiffres que nous a communiqué le ministère de l’Education nationale soulignent un véritable intérêt pour la matière juridique de la part des candidats au bac, que ce soit en filière générale, professionnelle ou technologique : « Jusqu’à l’année 2020, l’option en voie générale n’était ouverte qu’aux bacheliers de la voie L à raison d’environ 8 500 candidats par an. Depuis l’entrée en vigueur de la réforme à la rentrée 2020, l’option est ouverte à tous les bacheliers de la voie générale. Le nombre d’élèves ayant choisi l’option a ainsi été multiplié par 3 pour arriver à 26 658. » Évoquant une « vraie demande », notamment en vue d’une entrée en Licence de droit, ce choix d’ouverture vient répondre à celle-ci.

Plus globalement, en voie professionnelle, l’enseignement d’économie-droit concerne 231 265 jeunes, ce qui représente « un nombre important » et sur des thématiques « conséquentes ». De même, « en voie technologique, au cours de l’année scolaire 2020-2021, 73 000 élèves passeront une épreuve de droit. Ils sont chaque année autour de 70 000. »

Qui pour enseigner cette matière ?

On peut s’interroger sur le pedigree des enseignants qui vont transmettre les savoirs aux lycéens que ce soit dans l’enseignement de spécialité ou bien pour l’option. Le ministère nous a ainsi transmis les informations suivantes :

- en voie technologique, les enseignants peuvent être recrutés avec le CAPET [11]. Ce diplôme est accessible notamment via concours externe aux étudiants inscrits en master. L’autre voie d’accès se fait via l’agrégation d’économie-gestion avec une épreuve, depuis l’année 2020, de 5h qui allie le droit et l’économie.

En voie professionnelle, les enseignants sont recrutés via le Concours d’Accès au corps des Professeurs de Lycée Professionnel avec plusieurs épreuves d’admissibilité et d’admission.
La formation initiale des enseignants se fait via les INSP (Institut National Supérieur du Professorat) : une fois lauréats, ils effectuent une année de stage et une année de formation continue où ils reçoivent des compléments de nature théorique et didactique.

- en voie générale, une majorité d’enseignants vient d’études d’économie-gestion puisque le droit est intégré dans leurs programmes. Il y a aussi des enseignants qui ont « traversé le droit » en faisant des études de sciences politiques ou d’AES (Administration Economique et Sociale), et qui ont donc acquis des bases de droit. Ils sont recrutés sur CV en fonction soit de leur formation initiale soit de leur parcours professionnel. Enfin, pour ceux qui sont intéressés mais n’ont pas de formation, ils bénéficient du tutorat et de la formation en académie.
Cela semble représenter une part de 60% d’enseignants venant d’économie-gestion, 30% de sciences sociales et économiques et 5% de philosophie ou histoire-géographie (N.D.L.R : sous réserve des résultats de l’enquête dont le ministère recevra les résultats au mois d’avril).

Rédaction du Village de la Justice

[11Certificat d’Aptitude au Professorat de l’Enseignement Technique