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Anticiper l’inexécution contractuelle dans une relation d’affaire. Par Claude Baziluka Busina, Avocat.
Parution : jeudi 25 mars 2021
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Le contrat est la loi des parties ; il doit par conséquent être négocié et exécuté de bonne foi, dit le Code civil.

Et pourtant, l’on constate en pratique que le contentieux lié à l’inexécution contractuelle est compté parmi les différends régulièrement soumis aux juges.

Etant donné les multiples désagréments liés à l’inexécution contractuelle, et les aléas du recours aux juges pour obtenir la réparation du préjudice subi, il s’avère indispensable que les futurs partenaires puissent, dans le cadre de leurs projets d’affaire envisagés, anticiper cette inexécution contractuelle.

Dans cette perspective, insérer préventivement des clauses qui anticipent l’inexécution des contrats constitue une prudence.

Dans ce contexte, les clauses pénales, les clauses de réserve de la propriété et l’exception d’inexécution constituent des moyens de pression, des sûretés et des moyens préventifs entre les mains des partenaires d’affaires.

1. La clause pénale.

Un moyen de pression du créancier sur le débiteur.
- Qu’est-ce qu’on attend par clause pénale ?
- Quelle est la validité de la clause pénale ?
- Comment se fait l’évaluation de la clause pénale ?
- Comment se fait la mise en œuvre de la clause pénale ?
- Le juge peut-il réviser le montant de la clause pénale ?

Définition.

L’ article 1231-5 alinéa 1er du Code civil dispose :

Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre [1].

De cette disposition légale, on peut déduire que la clause pénale est avant tout une clause contractuelle par laquelle les parties à un contrat fixent à l’avance et de façon forfaitaire le montant de dommage intérêt dans le but de prévenir et de sanctionner l’inexécution contractuelle ou la mauvaise exécution contractuelle.

Il sied de noter, comme le rappellent Yvaine Buffelan-Lanore et Virginie Larribau-Terneyrr, que la clause pénale a pour but de fixer à l’avance, conventionnellement et forfaitairement, les dommages intérêts qui seront dus en cas d’inexécution afin d’éviter les difficultés d’évaluation judiciaire et d’agir comme moyen de pression sur le débiteur [2].

Validité.

Le consentement des parties suffit.

Il faut noter qu’aucune disposition légale ne subordonne la validité de la clause pénale à la vérification du juge ; le consentement des parties au contrat étant suffisant pour sa validité.

C’est dans ce sens que la jurisprudence a toujours jugé en précisant que la validité de la clause pénale n’est pas subordonnée à sa vérification par le juge, [3].

Dans une autre décision, la jurisprudence a jugé que l’indemnité due au titre de la cluse pénale stipulée dans un contrat de location de matériel et correspondant à la totalité des loyers à échoir au jour de la résiliation du contrat ne constitue ni un enrichissement injustifié pour le bailleur, ni la continuation du paiement des loyers par le preneur mais n’est que l’exécution de la clause pénale acceptée, [4].

Evaluation à l’avance, forfaitaire et contractuelle.

Sanction contractuelle.

Aux termes de l’article 1231, alinéa 1er du Code civil, les futurs partenaires peuvent à l’avance, de façon forfaitaire et censuelle, insérer dans leur contrat une clause qui permet d’anticiper et de sanctionner tout manquement à l’exécution contractuelle.

Il s’agit dons d’une évaluation faite à l’avance, de façon forfaitaire et contractuelle ; bref, il s’agit d’une sanction contractuelle décidée d’avance par les parties au contrat.

C’est dans ce sens que la jurisprudence a notamment jugé lorsqu’elle souligne que constitue une clause pénale, la clause d’un contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractuelle [5].

Il faut cependant s’efforcer de différencier la clause pénale de certaines notions voisines qui ne constituent aucunement des évaluations forfaitaires et anticipées ; il s’agit notamment de l’avance sur les dommages intérêts [6], des clauses limitatives de la responsabilité [7], des clauses résolutoires [8].

Dans le même ordre d’idées, il est impératif de distinguer la clause pénale des clauses qui ne sanctionnent pas l’inexécution d’une obligation ; C’est le cas notamment de la cluse de dédit, de la clause de remboursement anticipée, de la clause résolutoire unilatérale.

La mise en œuvre de la clause pénale.
- Tout manquement du débiteur à son obligation contractuelle ;
- Nécessité de la mise en demeure préalable du débiteur.

Il faut se rappeler que, face à l’inexécution contractuelle du débiteur de l’obligation, la clause pénale constitue un véritable moyen de pression entre les mains du créancier de l’obligation.

Cependant, ce moyen de pression ne peut être actionné, comme le prévoit l’article 1231-5 alinéa 1er du Code civil, qu’en cas exclusivement de manquement, et de tout manquement, venant du débiteur de l’obligation, sans aucune considération de l’éventuel préjudice subi par le créancier de l’obligation.

A ce sujet, il a été jugé qu’il est possible de sanctionner par une clause pénale non seulement l’inexécution de l’obligation principale, mais aussi tous autres manquements [9].

Dans une autre décision, il a été jugé que la clause pénale, sanction contractuelle du manquement d’une partie à ses obligations, s’applique du seul fait de cette inexécution (absence de justification d’un préjudice par le créancier) [10].

Ainsi donc, face au manquement du débiteur de l’obligation contractuelle, il est important de noter que le créancier de l’obligation doit, sur le fondement de l’article 1231-5, alinéa 5 du Code civil, sauf en cas d’inexécution définitive, obligatoirement et préalablement mettre en demeure le débiteur de l’obligation [11].

Cependant, il faut souligner, comme le rappelle la jurisprudence, que les parties peuvent insérer une clause qui permet de se passer de l’obligation de la mise en demeure.

C’est dans ce contexte qu’ il a notamment été jugé que dès lors que les parties ont fixé, dans un marché à forfait, un terme pour l’achèvement des travaux, les juges du fond ne peuvent retenir, pour refuser au maitre de l’ouvrage le bénéfice de la clause pénale insérée dans le contrat, l’absence de justification de mise en demeure, sans chercher si les parties n’avaient pas eu l’intention de dispenser le créancier l’obligation de toute mise en demeure [12].

Dans une autre décision, il a été jugé que la dispense spéciale d’une mise en demeure peut s’induire des termes de l’acte constitutif d’obligation, et il relève du pouvoir des juges du fond de décider que l’engagement de payer une indemnité comporte convention dérogatoire à la formalité de la mise en demeure.

En même temps, il convient de noter qu’on ne doit pas perdre de vue le fait que la responsabilité du débiteur de l’obligation ne pourra pas être retenue en cas de survenance d’un évènement ne dépendant pas de sa volonté et de sa puissance.

La possibilité accordée au juge de réviser le montant de la clause pénale.
- Si le montant de la clause pénale est manifestement excessif ou dérisoire ;
- En cas d’exécution partielle.

En application de l’article 1231-5, alinéa 2, du Code civil :

le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire [13].

Ainsi donc, à partir du moment où le montant de la pénalité est manifestement excessif, le débiteur de l’obligation peut saisir le juge de fond en vue d’obtenir la réduction du montant de la pénalité.

La jurisprudence a notamment jugé à ce sujet que la disproportion manifeste s’apprécie en comparant le montant de la peine conventionnellement fixé et celui du préjudice effectivement subi [14].

Dans un autre arrêt, il a été jugé que des motifs tirés du comportement du débiteur de la pénalité sont impropres à justifier à eux seuls le caractère manifestement excessif du montant de la clause [15].

Inversement, si le montant de la pénalité est dérisoire, le créancier de l’obligatoire peut aussi saisir le juge de fond en vue d’obtenir augmentation du montant de cette pénalité.

Dans ce contexte, il a été jugé qu’il appartient de juge d’apprécier souverainement le montant de la réévaluation d’une clause pénale manifestement dérisoire (5 juin 1996).

Dans le même ordre idée, l’article 1231-5, alinéa 3, du Code civil édicte et précise que lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent [16].

Ainsi donc, en matière contractuelle, la clause pénale constitue un réel moyen de pression entre les mains du créancier de l’obligation contractuelle.

2. La clause de réserve de propriété.

Une sûreté entre les mains du créancier pour s’assurer de la bonne exécution des engagements par son partenaire, débiteur de l’obligation.

Mais qu’est-ce qu’on attend par la clause de réserve de la propriété ?
- Quelles sont les conditions de sa validité ?
- Quelle est son utilité ?
- Quel est son effet ?
- Dans quel type de contrat peut–on insérer la clause de réserve de la propriété ?

Définition.

L’article 2367 du Code civil dispose :

la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie [17].

La clause de réserve de propriété est donc une clause contractuelle par laquelle les parties à un contrat, généralement dans des contrats de vente, conviennent à l’avance, qu’à défaut de complet paiement, le créancier peut demander la restitution du bien afin de recouvrer le droit d’en disposer.

Il est donc admis que les futurs partenaires puissent, dans le but de prévenir l’insolubilité du débiteur, insérer dans leur contrat une clause de réserve de propriété.

Il faut noter que la clause de réserve de la propriété, en retardant le transfert de la propriété, comme l’indique l’article 2371 du Code civil, constitue un véritable moyen de pression, bien plus une sûreté entre les mains du créancier pour s’assurer de la bonne exécution des engagements par son partenaire, débiteur de l’obligation.

La Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, dans son arrêt du 17 octobre 2018, 17-14.986, Publié au bulletin, a jugé ce sujet que la clause de réserve de propriété était une sûreté suspendant l’effet translatif de propriété du contrat de vente jusqu’à complet paiement du prix [18].

Nécessité d’un écrit.

Il importe cependant de souligner que, pour produire ses effets, la clause de réserve de propriété doit, en application de l’article 2368 du code civil, être constatée par écrit et acceptée par toutes les parties [19].

Une clause de réserve de propriété verbale n’est pas envisageable.

3. L’exception d’inexécution.

Droit de suspendre préventivement l’exécution de son obligation.

Plusieurs dispositions légales permettent à une partie liée par un contrat de refuser préventivement d’exécuter ses obligations s’il est établi que son cocontractant n’exécutera pas les siennes.

- Qu’est-ce qu’on attend par l’exception d’exécution ?
- Faut–il nécessairement une mise en demeure ?

Définition.

L’ article 1220 du Code Civil dispose qu’ :

une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle.

Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais .

De son côté, l’article 1613 du Code civil, s’agissant particulièrement de la vente, édicte que :

il ne sera pas non plus obligé à la délivrance, quand même il aurait accordé un délai pour le paiement, si, depuis la vente, l’acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix ; à moins que l’acheteur ne lui donne caution de payer au terme [20].

Bref, il se dégage de ce qui précède que l’exception d’inexécution peut être définie comme étant le droit pour une partie liée par un contrat de suspendre préventivement l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifestement établi que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance

Il faut noter que cette exception d’inexécution peut être opposée par toutes les parties au contrat ; Cependant, pour pourvoir l’opposer à son cocontractant, l’inexécution doit présenter une certaine gravité.

Preuve de l’inexécution du contractant.

Il importe de préciser que les parties au contrat ne doivent pas opposer l’exception de l’inexécution à la légère étant donné qu’il incombe à la partie qui se prévaut de l’inexécution de son cocontractant d’en apporter la preuve.

C’est de cette façon que la Cour de cassation a jugé que le cocontractant de l’excipiens peut saisir le juge pour faire constater que l’exception d’inexécution a été opposée à tort, les conditions n’en étant pas réunies.

Il appartient alors à celui qui oppose l’exception d’inexécution en alléguant que son cocontractant n’a rempli que partiellement son obligation d’établir cette inexécution [21].

De même, les parties doivent faire de preuve de prudence avant d’opposer l’exception de l’inexécution surtout lorsque le débiteur de l’obligation se trouve dans une situation de dépendance telle que l’exception d’inexécution qui pourrait être opposée à ce débiteur risque de mettre son entreprise en péril [22].

Faut–il préalablement adresser une mise en demeure au débiteur ?

La loi est muette sur la question de savoir s’il faut notifier une mise en demeure au débiteur avant de lui opposer l’exception d’inexécution.

Cette carence a été comblée par la jurisprudence qui a jugé que celui qui oppose l’exception non adimpleti contractus contractus n’est pas tenu à une mise en demeure préalable, [23].

Cependant, pour éviter de surprendre le partenaire, l’article 1220, alinéa 2, du Code civil oblige la partie qui envisage de suspendre son obligation de notifier cette suspension dans les meilleurs délais.

L’ exception d’inexécution, appliquée avec prudence et bonne foi, permet effectivement au créancier de l’obligation de suspendre préventivement sa propre obligation s’il est établi que le partenaire n’exécutera pas la sienne.

En définitive, les clauses pénales, les clauses de réserve de propriété et l’exception d’inexécution constituent bien des moyens de pression, des sûretés et des moyens préventifs entre les mains des partenaires d’affaires pour anticiper l’inexécution contractuelle.

C’est pourquoi, il est conseillé aux futurs partenaires de penser au moment de la négociation et de la rédaction de leurs contrats à toutes les éventualités qui peuvent se produire au moment de l’exécution de leurs contrats.

Dans cette perspective, insérer préventivement des clauses qui anticipent l’inexécution des contrats constitue une prudence.

Claude Baziluka Busina, Avocat inscrit au barreau de Kinshasa Gombe

[1Article 1231-5 alinéa 1er du code civil.

[2Buffelan-Lanore Yvaine et Larribau-Terneyrr Virginie, Droit civil – les obligations, 15 éme édition, 2017, p.586.

[3Civ. 2 éme, 5ril 1993, n° 91-19.979 P : D. 1994.

[4Com. 22 juin 1977, Bull. civ. IV, n° 58

[5Civ. 1er , 10 octobre 1995, n° 94-11.209 P.

[6Com. 5 avril 1994, JCP 1995. II, note Dagome–Labbe.

[7Com. 18 déc. 2007, n° 04-16.069 P.

[8Civ. 3°, 20 juillet 1989 : Bull. civ. III, n° 172.

[9Civ. 1er , 10 février 1960, Bull. Civ. I, n° 94.

[10Civ. 3 ème, 12 janvier 1994, n° 91-19.540 P.

[11Article 1231-5, alinéa 5 du Code civil.

[12Civ. 3 éme, 17 nov. 1971 : Bull. civ. III, n° 564.

[13Article 1231-5, alinéa 2, du code civil.

[14Com.11 fév.1997, n° 95-10.851 P : CCC 1997. 75°.

[15Com. 11 fév.1997.

[16Article 1231-5, alinéa 3, du Code civil.

[17Article 2367 du code civil.

[18Cassation, civile, Chambre commerciale, du 17 octobre 2018, 17-14.986, Publié au bulletin.

[19Article 2368 du Code civil.

[20Article 1220 du Code civil, Article 1613 du Code civil.

[21Civ. 1er , 18 déc. 1990, n° 89 – 14.975 P.

[22Toulouse, 30 octobre 1985 : RTD, civ. 1986, 591.

[23Com. 27 janvier 1970 : JCP 1970, II. 16554.